Dans cette Annexe, nous présentons:
a) d’une part, la traduction intégrale en français du texte pasolinien et b) d’autre
part, dans la mesure du possible, les poèmes cités, ou commentés, par Pasolini,
dans leur langue d’origine. On ajoute, en note en bas de page, une traduction en
français dont le seul but est d’aider le lecteur étranger à comprendre. Dans certains
cas précis, qu’on signale en bas de page, il a été impossible de retrouver l’original:
on propose alors une traduction en français de la traduction en italien, en espérant
que ce nouveau texte ne soit pas trop éloigné de l’original. [Lilian Pestre de Almeida]
La première impression que l’on a en lisant ces poètes,
est celle d’une lecture légèrement ancienne: je dis légèrement, car la “date” (si
cette lecture est datée) ne dépasse pas celle d’une dizaine d’années.
Telle
est la saveur de la Résistance: une saveur fort signifiante, non seulement pour
ses regrets, non seulement pour l’intermittence
du cœur, [1] non seulement pour
la poéticité objective qu’elle en a, non seulement: car la Résistance nègre n’est
pas finie; et ne doit pas finir, me semble-t-il, comme est finie chez nous, avec
les cléricaux et De Gaulle au pouvoir. Cependant que, si pour nous “Résistance”
équivaut encore à “espérance”, la résistance historique, celle qui est achevée,
culturellement, il y a une dizaine d’années, est désormais sans espérance, en Afrique,
c’est clair, n’a pas eu lieu la scission entre résistance et Résistance. On lutte
partout. L’intégration figurée de chacun de ces poètes nègres c’est cette lutte;
mais cette lutte factuelle, pressante, pratique. Et donc fatalement informe, comme
toujours lorsque l’action est en excès, ou mieux, en fonction primaire.
Le
caractère dominant de cette poésie est donc sa clandestinité: une clandestinité,
je dirais, métahistorique, devenue une catégorie de l’être, une forme culturelle.
Si
l’intégration figurale demandée par chaque poète est cependant une lutte en tant
que lutte, une lutte qu’on ne discute point, ontologique, irremplaçable, irrévocable,
incessante, on comprend que l’allusif de cette poésie est à la fois trop vieux et
trop générique. La Résistance – surtout parce qu’action – n’y produit point comme
en Italie, comme en Europe des années quarante, un produit culturellement autonome.
Il s’agit presque toujours d’un hybride, d’une contamination culturelle. La vraie [2] culture de la Résistance
semble consister dans cette dose de significatif qu’elle puisse intégrer, je dirais
presque dans la lettre, chaque poésie: c’est à dire son être, et naturellement,
son grand avenir.
Notre
poésie désormais ne regarde plus au futur, obligée de se retirer sur ses problèmes
spécifiques ; sur les résurgences du passé: à se définir dans la nouvelle situation
où l’action ne doit plus avoir de sens. Le “regard
vers l’avenir”, typique chez nous dans les fameuses années quarante, nous le retrouvons
ici, avec la même presque impudique fraîcheur, avec la même imprécise mais émouvante
irruption, avec la même merveilleuse conviction de l’autosuffisance de l’espoir.
Et
aussi, avec les mêmes caractéristiques d’un ingénu et quasi passif pastiche [3] stylistique.
Les
Nègres eux-aussi, comme nous naguère, se servent d’un langage poétique qui précède
la Résistance et son esprit, pour exprimer la Résistance et son esprit: pour les
raisons que j’avançais tout d’abord: par manque de maturité de la contemplation
dû à l’urgence de l’action, et par tout ce que la seconde impose à la première.
Aussi la poésie de la Résistance nègre se caractérise-t-elle en somme par la coexistence
d’une langue culturellement antérieure, stylistiquement déjà bien “fixée”,
et d’une langue nouvelle, encore stylistiquement sans tradition aucune.
Nous rebâtirons
Copan
Palenque
et les Tiahuanacos socialistes
Ouvrier blanc de Detroit
péon noir d’Alabama… [4]
s’écrie,
d’Haïti, Jacques Roumain. Le “cursus” pourrait être celui,
par exemple, de Neruda, ou, de toute façon, changé par Neruda de la mécanique à
intention surréaliste. Car il est clair que la langue culturelle de cette Résistance
pas encore culture autonome, historiquement nouvelle, est celle du décadentisme
européen: de l’Afrique à l’Amérique du Sud, aux Etats-Unis. C’est un fait évident
même pour le lecteur le plus inexpérimenté. Il y en a des affirmations explicites:
Deixa-me coração louco
Deixa-me acreditar no grito
de esperança lançado pela paleta viva de Rivera
e pelos oceanos de ciclones
frescos das odes de Neruda ;
deixa-me acreditar que do
desespero másculo de Picasso sairão pombas
que como nuvens voarão os
céus do mundo de coração em África. [5]
ce
sont des vers du poète de Sao Tomé, Cœur en
Afrique, F. J. Tenreiro.
Cependant
un spécialiste pourrait prendre goût à chercher les “sources”
décadentes de chacun de ces langages. Il en résulterait au maximum que reste exclu
le symbolisme, dans ses formes les plus typiques (syntaxe complexe, dilatation sémantique:
en somme jargon hyper-grammatical et classique): tandis que le plus grand quantitatif
est de parenté surréaliste. De même que pour la Résistance européenne. Et c’est
naturel, car le surréalisme, pré-grammatical, itératif, inspiré, est l’héritier
le plus direct du romantisme. La poésie ininterrompue: voilà un canon stylistique
pour la plupart de la poésie africaine. Que sur la lignée romantique se greffent
mieux les possibles suggestions, on le comprend par le fait que certains poètes,
moins cultivés, prennent leur langage directement à un romantisme générique, non
pas celui du XIXe siècle, mais se rattachant à l’expérience de l’école retardataire
du XXe siècle. (Lorsque, cependant, on ne peut pas faire référence aux proto-romantiques:
Coleridge, par exemple, d’une part et Whitman de l’autre, réunis par un pareil élan
linguistique, dilatoire et excédentaire.) À côté du surréalisme, leur commun dénominateur
linguistique – mais, comprenons-le, le surréalisme dont s’est déjà approprié la
Résistance européenne, devenu pure rhétorique ou stylistique si l’on veut, et trafiqué
de façon décisive pour exprimer d’autres significations, ou plus simplement mis
au service de telles significations – à côté du surréalisme, je le répète, nous
pouvons mettre Eliot, et Dylan Thomas, pour les poètes africains de langue anglaise
et, naturellement, quelques russes (probablement pour beaucoup Essenine et Maïakovski);
pour les poètes de langue espagnole, Guillén et Lorca, en dehors des grands Machado,
Anton et Jiménez. Ces sources, formulées de façon aride, avec l’élémentarité signalétique,
veulent démontrer, surtout, combien est compréhensible la poésie de la Résistance
nègre. Et plus ces sources chez un poète sont à la fois reconnues et assimilées,
plus grande je dirais, en est sa valeur, même de nouveauté chez ce poète.
Comme
toujours c’est le maximum de culture qui consent le maximum d’immédiateté, même
là où est – dans le contenu – une transformation culturelle qui en réalité exigerait
une transformation de la langue poétique. Il est émouvant de voir comment les vieux
moyens (vieux, de façon idéale, car en réalité sont très récents, sans doute produits
du néo-capitalisme contemporain) se prêtent à soutenir, comme un poids étrange,
les nouvelles significations.
Même
là où ces significations sont d’une part les plus romantiquement immédiates (l’injustice
générique d’être nègre, vivre en situation humaine inférieure) ou plus idéologiquement
élaborées (la coïncidence de cette situation avec le marxisme, par exemple). (Mais
ce sont les cas les plus rares, encore).
Parmi
les premiers cas, je voudrais citer les belles compositions de G. F. D. Tchicaya
U Tam’si, du Congo, de M. Thew’Adjié, de la Côte d’Ivoire:
C’est ainsi
Willie Mac Gee
Homme de couleur
Père de quatre fils
Citoyen de l’Etat du Mississipi
Accusé de stupre d’une blanche
En prison cinq ans
Torturé
Chaise électrique
En l’an de la grâce
Mil neuf-cent– cinquante-et-un
Le mardi huit mai
A sept heures dix
Sous la présidence
De Harry Truman
De l’Amérique du Nord
Souvenez-vous de lui. [6]
d’Albert
Kayper Mensah, du Ghana (avec “l’aveugle qui vient du Nord”), de Gwendolyn Brooks,
des Etats-Unis (avec “Edifice à ruche”), de Paul
Vesey, lui aussi des Etats-Unis (“Un moment s’il vous plaît”).
Néanmoins, sur cette ligne – de douleur aprioristique, de pure angoisse par complexe
noir – j’ai constaté qu’il y a des poésies non seulement remarquables mais tout
à fait splendides, à faire entrer parmi les meilleures d’une idéale poésie du siècle.
C’est le cas de la “Mort de l’oncle Tom” du poète
déjà cité Paul Vesey, aux vers – surtout au “spiritual”
déjà connu en Italie “Crachoirs
en laiton”
– de Langston Hughes (je ne résiste pas à la tentation de citer la “Song for a dark
girl”:
Way Down South in Dixie
(Break the heart of me)
They hung my black young lover
To a cross roads tree.
Way Down South in Dixie
(Bruised body high in air)
I asked the white Lord Jesus
What was the use of prayer.
Way Down South in Dixie
(Break the heart of me)
Love is a naked shadow
On a gnarled and naked tree. [7]
Au splendide poème “Je t’écris de Paris” du Martiniquais
Lionel Attuly, aux trois splendides poésies (“L’immigrant”, “… et l’autre immigrant”
et “La voisine”) du nigérien Wole Soyinka.
Sur la seconde ligne – celle des nouveaux contenus orientés
idéologiquement de façon non générique devenus eux-mêmes objet explicite d’une poésie
dont la langue appartient à une autre, raffinée, idéologie – je peux citer au moins:
mais il s’agit de textes très forts: “Je n’aime pas l’Afrique” de Paul Niger (né en Guadeloupe), l’un des deux chefs-d’œuvre de cette Anthologie,
“Réveille-toi, Joseph !” de Gilbert Gratiant, Martiniquais, “Appel
de la jeune Afrique” du nigérien Dennis Osadebay, et enfin
l’autre chef-d’œuvre, “Instantanés du Sud cotonnier” de l’américain Frank Marshall Davis:
You disciples of Progress
Of the Advancing Onward
Communist, Socialist, Democrat, Republican
See today’s picture—
It is not beautiful to look upon.
Meanwhile paint pots drip over
There is fresh canvas for the asking.
Will you say,
“But that is not my affair”
Or will you mould this section
So its portrait will fit
In the sunlit hall
Of Ideal America? [8]
qui est un grand appel, le plus progressiste qu’on puisse
imaginer, à l’urgence historique des problèmes d’énormes masses de sous-prolétariats
de la moitié du monde: la moitié du monde qui ne produit pas, mais consomme, qui
ne fait pas l’histoire, mais la subit, mais qui cependant est à la tête de la lutte
commune, en tant que résistante et armée.
A la limite la plus basse – à dire vrai bien peu en sont
les produits dans cette anthologie – la poésie de la Résistance nègre présente un
typique revers psychologique. Le “Nègre” et sa terre (chez
les poètes écrivant en Afrique), ou le “Nègre” et sa situation
sociale (chez les poètes écrivant en Europe ou en Amérique), subit une transformation
radicale: tout ce qui l’humilie, qui fait de son statut un statut d’infériorité
sociale, économique, raciale, se rachète et se fait donc raison de palingenèse et
aussi de dénonciation, dans son “salut”, dans la typicité
d’une inimitable expérience naturelle.
La mécanique de cette consolation rhétorique garantit,
pour nous lecteurs italiens, une immédiate compréhension: en fait nous trouvons
dans notre récente littérature des exemples similaires. Je fais référence à la poésie
du Sud d’Italie (celle qui dérive de l’expérience de Levi, et de l’immédiat après-guerre:
occupation des terres etc.): cette poésie méridionale fut, du point de vue temporel,
le dernier chapitre de notre poésie de la Résistance. Ici également les “disgrâces” du Sud, viennent énoncées dans un ton auto-consolateur, et ainsi
ceux qui les vivent pourraient y trouver une expérience en soi de palingenèse. Donc:
exaltation de la couleur, de la nature méridionale, etc., en clef soit affligée,
soit récriminatoire. Quelques exemples d’amour, donc, nationaliste, mystique, narcissique,
ou appelez-le comme vous voudrez: “j’écrirai en lettres de feu/
ton nom/ Ô Afrique !” (“Couronne pour l’Afrique ”) [9] du poète de la Côte d’Ivoire, Bernard
B. Dadié, clause de “raptus” typiquement emphatique) ; ou,
avec “raptus” analogue pour l’enfance particulière, ces vers du Ghana de G. Adali-Mortty:
[10] “lorsque j’étais tout petit,
– et Joe et Fred des géants de six ans, – eux et moi nous malaxions terre – à l’engrais
de la cour – et nous y plantions des cocos – mon père, nous appelant de nos noms
fraternels…. – Comme les petites boucles d’oreilles de mes sœurs – sont venues les
tendres fleurs d’or… etc. ” – sans jamais sortir de
l’auto-enchantement du souvenir. Dans d’autres cas – celui du cubain Nicolas Guillén
– c’est un défaut physique du Nègre (défaut, bien entendu, par rapport au canon
esthétique européen), des grosses lippes, qui devient forcément raison d’éloge –
même si toujours pathétique – en tant qu’élément impossible d’être remplacé, donné
par la nature même, rendu d’une certaine manière épique pour l’injustice soufferte
par cette nature particulière. On comprend, que d’une telle nature, sont les “laudes” encore plus naïves. Voir les vers du guadeloupéen Guy Tirolien:
les mains frappées
les lentes mélopées dont s'enivrent là-bas au pays de Guinée
nos sœurs
noires et nues
et font lever en moi
ce soir
des crépuscules nègres
lourds d'un sensuel émoi
car l'âme du noir
pays où dorment les anciens
vit et parle ce soir
ou ceux du martiniquais Georges Desportes:
Nous avons délaissé les hardes, les défroques,
Nous nous sommes dépouillés de nos vêtements d'Europe
En brutes magnifiques et barbares que nous sommes;
Et nous avons dansé tout nus.
C’est l’alternative de la vitalité. Il y a toujours, dans
la culture précédente d’un peuple, celle que l’histoire a dépassé, cette réserve
de vitalité que, chez le poète, bien que vivant dans l’histoire, ne peut pas ne
pas devenir rhétorique. Les nègres nus qui dansent autour du feu sont comme les
sous-prolétaires qui se réunissent autour de la bouteille de vin ou des rustres
méridionaux qui jouent la guitare: de purs objets de rhétorique (lorsqu’ils sont
élevés au niveau “cultivé”, naturellement, et non pas compris et mimés stylistiquement jusqu’au
fond de leur être…)
Ainsi les poètes les plus intelligents – même lorsqu’ils
ne rejoignent pas le niveau idéologique des meilleurs – rejettent l’acceptation
poétique de cette vitalité: ils en sont plutôt déçus. Explicite, est la désillusion
dans un beau poème de Davidson Nicol, de Sierra Leone, un Africain qui ne connaissait
pas l’Afrique, car il s’en était allé, et l’a vue:
Africa, you were once just a name to me
But now you lie before me with sombre green challenge [11]
Et il la voit bien, désormais, avec les yeux bien ouverts,
Nicol:
Now you lie before me passive
With your unanswering green challenge.
Is this all you are?
This long uneven red road, this occasional succession
Of huddled heaps of four mud walls
And thatched, falling grass roofs
Sometimes ennobled by a thin layer
Of white plaster, and covered with thin
Slanting corrugated zinc.
These patient faces on weather-beaten bodies
Bowing under heavy market loads.
The pedalling cyclist wavers by
On the wrong side of the road,
As if uncertain of his new emancipation.
The squawking chickens, the pregnant she-goats
Lumber awkwardly with fear across the road,
Across the windscreen view of my four-cylinder kit
car.
An overloaded lorry speeds madly towards me
Full of produce, passengers, with driver leaning
Out into the swirling dust to pilot his
Swinging obsessed vehicle along… [12]
ce qui constitue l’une des pièces les plus poétiquement
objectives de l’anthologie. Qui connaît l’Afrique pour y avoir été, c’est de visions
surtout simples comme celle-ci, qu’il comprend le “mal d’Afrique”: de ce côté physique “passif et réel”, de ce “vert défi qui ne répond pas”. Mais un Européen peut en être enchanté avec son esthétique gratuite d’étranger.
Pas un nègre. Un nègre ne peut être que déçu: “et ainsi je suis allé, plein
d’espoir… et de tout ceci qu’en sais-je ? ” ou ne peut qu’avoir un regret détaché:
Only those within you who know
Their circumscribed plot,
And till it well with steady plough
Can from that harvest then look up
To the vast blue inside
Of the enamelled bowl of sky
Which covers you and say
‘This is my Africa’ meaning
‘I am content and happy.
I am fulfilled, within,
Without and roundabout
I have gained the little longings
Of my hands, my loins, my heart
And the soul that follows in my shadow.’
I know now that is what you are, Africa:
Happiness, contentment, and fulfilment,
And a small bird singing on a mango tree. [13]
Pour un nègre comme Nicol, d’origine nègre mais de culture
européenne, l’Afrique est ce qu’elle est pour nous tous:
… tu n’es pas un pays,
Afrique, tu es un concept…
Mais quel concept est-ce l’Afrique, Nicol ne le dit pas:
il ne le dit pas non plus un autre poète sans illusion de cette anthologie, Paul
Niger (“Je n’aime pas l’Afrique”), et sans doute seul Frank Marshall Davis en a une
idée: le concept “Afrique” c’est le concept d’une condition sous-prolétarienne extrêmement complexe
encore non-utilisée comme force révolutionnaire. Et sans doute peut-on mieux le
définir, ce concept, si l’on identifie l’Afrique au monde entier de Bandung, de
l’Afro-Asie, qui, disons-le clairement, commence à la périphérie de Rome, comprend
notre Mezzogiorno, une partie de l’Espagne, la Grèce, les états méditerranéens,
le Moyen Orient. N’oublions pas qu’à Turin il y a des graffiti sur les murs disant
“Hors les ploucs = Arabes”… Dans ce sens le concept “Afrique” comprend le
monde du sous-prolétariat “consommateur” par rapport au capitalisme producteur: le monde du sous-gouvernement, de la sous-culture, de la civilisation préindustrielle exploitée par la civilisation industrielle. C’est l’inquiétude “en détresse”, mélange des vertiges inébriants de la vitalité, de ce monde exclus, que les poètes nègres de cette anthologie expriment ; l’inquiétude en détresse non exorcisée encore, née d’un confus espoir ou de l’allusion à une lutte armée en action. Parce que – et ceci est la donnée la plus importante de toute la question – cette lutte existe: et si son objectif immédiat est l’Indépendance, le vrai objectif c’est “la justice sociale”: union typique de toute Résistance, comme était typique des “Risorgimenti” du XIXe siècle, l’union indépendance-libéralisme. Il est tout à fait symptomatique qu’à lutter pour la justice sociale soient les peuples les plus éloignés de la civilisation industrielle qu’on puisse imaginer: des sous-prolétariats en vérité préhistoriques par rapport à cette civilisation. C’est le phénomène, me semble-t-il, le plus significatif de notre moment historique. Et, si on y réfléchit, si le fait de consommer de l’idéologie s’apaise dans notre aire néo-capitaliste (par désistement ou par rigidité: voilà les termes de l’alternative, par définition anti-idéologiques, du travail européen ou américain), chez les peuples préindustriels, purement consommateurs, il y a au contraire une soif violente d’idéologie. L’appui à leur lutte ne peut être seulement sentimental ou tactique: un moment “latéral” de la lutte générale politique: il doit être, maintenant, je le crois, le moment central de cette lutte. Ecoutons le cri du nègre étasunien, Franck Marshall Davis, réécoutons-le:
monde du sous-prolétariat “consommateur” par rapport au capitalisme producteur: le monde du sous-gouvernement, de la sous-culture, de la civilisation préindustrielle exploitée par la civilisation industrielle. C’est l’inquiétude “en détresse”, mélange des vertiges inébriants de la vitalité, de ce monde exclus, que les poètes nègres de cette anthologie expriment ; l’inquiétude en détresse non exorcisée encore, née d’un confus espoir ou de l’allusion à une lutte armée en action. Parce que – et ceci est la donnée la plus importante de toute la question – cette lutte existe: et si son objectif immédiat est l’Indépendance, le vrai objectif c’est “la justice sociale”: union typique de toute Résistance, comme était typique des “Risorgimenti” du XIXe siècle, l’union indépendance-libéralisme. Il est tout à fait symptomatique qu’à lutter pour la justice sociale soient les peuples les plus éloignés de la civilisation industrielle qu’on puisse imaginer: des sous-prolétariats en vérité préhistoriques par rapport à cette civilisation. C’est le phénomène, me semble-t-il, le plus significatif de notre moment historique. Et, si on y réfléchit, si le fait de consommer de l’idéologie s’apaise dans notre aire néo-capitaliste (par désistement ou par rigidité: voilà les termes de l’alternative, par définition anti-idéologiques, du travail européen ou américain), chez les peuples préindustriels, purement consommateurs, il y a au contraire une soif violente d’idéologie. L’appui à leur lutte ne peut être seulement sentimental ou tactique: un moment “latéral” de la lutte générale politique: il doit être, maintenant, je le crois, le moment central de cette lutte. Ecoutons le cri du nègre étasunien, Franck Marshall Davis, réécoutons-le:
You disciples of Progress
Of the Advancing
Onward
Communist, Socialist,
Democrat, Republican
See today’s picture—
It is not beautiful
to look upon.
Meanwhile paint
pots drip over
There is fresh
canvas for the asking.
Will you say,
“But that is
not my affair”
Or will you mould
this section
So its portrait
will fit
In the sunlit
hall
Of Ideal America?
NOTAS
1. En français, dans
le texte de Pasolini.
2. Souligné dans
le texte de Pasolini.
3. En français dans
le texte de Pasolini.
4. Nous avons décidé
de toujours revenir au texte originel.
Voir ROUMAIN, Jacques. “Pourtant”, in
Bois-d’ébène, in Œuvres complètes.
Edition critique de Léon-François Hoffmann. Collection Archivos, Agence Universitaire
de la Francophonie, 2003, p. 59.
5. Voir TENREIRO,
Francisco José. Coração em África. Lisboa,
Editor África, 1982, p. 128. Voici une traduction en français: Laisse-moi cœur fou/
laisse-moi croire au cri d’espoir lancé par la palette vive de Rivera/ et aux océans
de cyclones frais des odes de Neruda; / laisse-moi croire que du mâle désespoir
de Picasso sortiront des colombes qui, comme des nuages, voleront sur les cieux
du monde dont le cœur est en Afrique.
6. Attention: on n’a pas
pu retrouver le texte original intégral en français. Toutes nos recherches n’ont
trouvé que le début de ce poème mais nullement ces vers en particulier. Pour garder
une certaine cohérence à notre Annexe, nous avons retraduit en français la traduction
en italien. Nous nous en excusons auprès du lecteur.
7. Tout en bas du Sud en Dixie/ (mon coeur se brise) / Ils ont pendu mon jeune
amant noir / A un arbre au carrefour.
Tout
en bas du Sud en Dixie/ (Le corps meurtri haut en l'air) / J'ai demande au Seigneur
Jésus blanc/ A quoi servent les prières.
Tout en bas du Sud en Dixie/
(mon Coeur se brise) / L'Amour est une ombre nue/ Pendu d'un arbre noueux et nue.
8. Vous disciples du Progrès/
de tout ce qui progresse/ communistes, socialistes, démocrates, républicains,/ regardez
le tableau d’aujourd’hui:/ il n’est pas beau à voir/ En attendant les boîtes de
vernis débordent/ il y a une nouvelle toile pour satisfaire les demandes/ Vous direz/
“ce ne sont pas mes affaires”/ou alors vous ferez de sorte/ que son portrait s’adapte/
au salon éblouissant au soleil/ de l’Amérique idéale.
9. Ce poème est publié
pour la première fois in Présence Africaine,
nº 5, 1948, p. 788.
10. G. Adali-Mortty publie en anglais: là encore, nous
n’avons pas trouvé son texte d’origine.
11. Afrique, tu n’étais
qu’un nom pour moi,/ mais maintenat que tu es devant moi, sombre défi vert.
12. Mais maintenant tu es
devant, passive et réelle/avec ton vert défi qui ne répond pas/ c’est tout ça que
tu es?/ cette longue et irrégulière route rouge cette casuelle succession/de grappes
bondées de quatre murs de boue/ et ces toits pluvieux de paille,/ parfois ennoblis
d’une main subtile/ de plâtre blanc, et couverts de zinc ondulé,/ opaque et argenté./
Ces visages patients sur des corps tourmentés par les saisons,/ courbés sous la
lourde charge du marché./ Le cycliste passe dérapant/ sur le mauvais côté de la
route, / encore incertain de cette nouvelle émancipation./ Des poules trépidantes,
des chèvres grosses/ dégingandées et engourdies traversent timorées la route/ le
long du pare-brise de ma quatre chevaux./ Un camion surchargé me dépasse comme un
fou, / plein de marchandises et de passagers, le chauffeur sur la fenêtre/ dans
la grande poussière à piloter son/ chancelant, possédé véhicule…
13. “The Meaning of Africa”, de Nicol, est le poème
le plus longuement cité par Pasolini. Voici encore un essai de traduction: Seul
celui qui au dedans de toi te connais circonscrit/ dans ton petit champ et le laboure
du soc tenace/ peut lever les yeux du récit/ sur l’ampleur bleu profond de la coupe
émail du ciel, / qui te couvre, et dit “Celle-là c’est mon Afrique”, comprenant/
je suis content et heureux. Je suis satisfait, au dedans, / au-dehors et dans l’entour.
J’ai conquis le peu/ que mes mains, mon cœur, ma peau et mon âme/ qui chemine dans
l’ombre, avaient désiré”. Je sais désormais que cela c’est toi, Afrique, / Bonheur,
contentement et apaisement,/ et un oiseau qui chante sur un manguier.
*****
PIER
PAOLO PASOLINI (Itália, 1922-1975). Poeta, cineasta, narrador, ensaísta. Tradução ao francês de Lilian Pestre de Almeida. Página ilustrada
com obras de Valdir Rocha (Brasil, 1951), artista convidado desta edição de ARC.
*****
● ÍNDICE # 103
Editorial | Os horizontes não param de brotar
ESTER FRIDMAN | Como tornar-se uma obra de arte - a escultura de si mesmo
GABRIEL JIMÉNEZ EMÁN | Algunas variaciones sobre la metamorfosis de Franz Kafka
HAROLD ALVARADO TENORIO Piedra y Cielo 1936-1942
http://arcagulharevistadecultura.blogspot.com.br/2017/10/harold-alvarado-tenorio-piedra-y-cielo.html
LILIAN PESTRE DE ALMEIDA | O teatro de Aimé Césaire: Une saison au Congo
LILIAN PESTRE DE ALMEIDA | Pier-Paolo Pasolini et l’anthologie de Mario Pinto de Andrade sur la poésie nègre de langue portugaise
MARIA LÚCIA DAL FARRA | Florbela Espanca e Ada Saffo Sapere: Alentejo e Reggio Calábria no feminino
http://arcagulharevistadecultura.blogspot.com.br/2017/10/maria-lucia-dal-farra-florbela-espanca.html
OSCAR JAIRO GONZÁLEZ HERNÁNDEZ | En la muerte de Germán List Arzubide (1898-1998)
OSCAR JAIRO GONZÁLEZ HERNÁNDEZ | Meditaciones antimetafísicas
PIER PAOLO PASOLINI | La Résistance nègre
ROXANA RODRÍGUEZ | Rubén Sicilia y el Teatro del Silencio
ARTISTA CONVIDADO | VALDIR ROCHA | ELVIO FERNANDES GONÇALVES JUNIOR | Valdir Rocha, um olhar sobre o abismo
*****
Agulha Revista de Cultura
Número 103 | Outubro de 2017
editor geral | FLORIANO MARTINS
| floriano.agulha@gmail.com
editor assistente | MÁRCIO
SIMÕES | mxsimoes@hotmail.com
logo & design | FLORIANO
MARTINS
revisão de textos & difusão
| FLORIANO MARTINS | MÁRCIO SIMÕES
equipe de tradução
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