terça-feira, 30 de abril de 2019

MARIE-FRANCINE DESVAUX-MANSOUR | André Breton et le groupe à la veille de la rencontre avec Joyce Mansour


Marc Polizzotti rappelle que, depuis les Entretiens avec Parinaud, et même depuis 1944 avec Arcane 17, Breton “n’a produit que des textes de circonstance, notices de catalogues d’exposition, brefs commentaires politiques, présentations de jeux surréalistes, hommages funèbres. Les temps sont loin où il pouvait donner le Second Manifeste, L’Immaculée Conception, et Ralentir travaux en l’espace d’une année”. [1] Breton a perdu l’énergie de sa jeunesse. Polizzotti relève une observation de José Corti, qu’il trouve intéressante: “la rencontre d’une femme est à l’origine de chacune de ses œuvres, de Nadja à “L’union libre”, de Valentine à la Jacqueline de L’air de l’eau et de L’amour fou. […] Depuis qu’il s’est remarié, plus de choix sentimental”. [2] Il cite encore sa deuxième épouse lui déclarant qu’André Breton avait besoin de “l’intrusion d’une autre femme “dans sa vie: “Une passion nouvelle nous vaudrait un livre nouveau”. [3]
Selon Polizzotti, au cœur des années cinquante, Breton se met à la recherche de cette “nouvelle passion” et se lie d’amitié avec plusieurs jeunes femmes séduisantes. En mars 1956, il rencontre la cinéaste Nelly Kaplan, lors d’une exposition d’art précolombien. Polizzotti décrit Nelly Kaplan errant seule dans le musée, quand elle réalise soudain qu’un homme la regarde et ne cesse de la suivre d’une salle à l’autre. Breton se présente. Elle l’invite à la projection du film qu’elle est en train de terminer avec Abel Gance, Magirama, qui utilise un nouveau procédé inventé par les deux cinéastes, la “Polyvision”. Le film a du retard et Breton ne renoue des relations avec Nelly Kaplan qu’en décembre. [4]
 Il a beau ne pas accorder “beaucoup d’intérêt au cinéma comme forme artistique”, Breton est captivé par Magirama, en joint le scénario sous forme de livret au n°2 du Surréalisme, même, du printemps 1957, puis le fait publier dans les Cahiers du Cinéma, où il célèbre aussi la Polyvision, étape décisive, selon lui, vers une “nouvelle structure du temps”. D’évidence, Breton est davantage conquis par Nelly Kaplan que par la Polyvision. Les deux amis vont commencer un cycle de “promenades quasi quotidiennes”. Nelly Kaplan, toujours dans “Une Rencontre”, témoigne: “Je vécus Paris avec lui, à travers lui, comme je ne l’avais fait auparavant. Conversations incandescentes dans des cafés impossibles […] dans les allées glacées du Palais-Royal; dans les pièces toujours désertes du musée Gustave Moreau; aux Puces, parmi les tableaux-messages”. [5] Breton ressent pour elle un amour passionné. Il lui écrit le 6 janvier 1957, dans une des nombreuses lettres d’amour qu’il lui adresse: “Je m’égare merveilleusement dans vos yeux […] Je vois à la dérobée, dans le pur vertige, la courbe splendide de votre corps quand vous marchez à mes côtés, je vois l’esprit passionnant qui l’habite […] Je reste imprégné de vous”. [6]
Fin juillet, un différend au sujet de Philippe Soupault, ami très proche de Nelly Kaplan, provoque une violent dispute – surtout de la part de Breton – au Café de la Paix. Elle met brusquement fin à leur relation. Il lui envoie une dernière lettre: “Je vous aimais, Nelly, avec toute la violence dont je suis capable. Vous aviez entendu parler de cette violence, elle ne vous prenait pas trop à court, c’est peut-être même ce qui vous attirait un peu vers moi”. [7] Même s’ils se réconcilient, “les promenades quasiment quotidiennes” cessent.
A en croire Polizzotti, la rencontre avec Joyce Mansour joua un rôle bien plus important dans la vie de Breton. D’emblée, il est attiré par cette jeune femme brune de vingt-six ans, son regard intense et cette “insouciance des personnes pour qui la richesse est chose naturelle”. À première vue, la vie de la poétesse semble être celle “d’une grande bourgeoise classique; elle se montre très attentionnée pour ses enfants, aime son mari”, se plaît à lui organiser de “somptueux dîners”. C’est surtout le contraste entre cette image de délicate femme mariée à un homme d’affaires et “les autres aspects de sa personnalité – l’érotisme sombre et fougueux de sa poésie et son comportement peu conventionnel en public – qui attirent le plus Breton. Peu après son entrée dans le groupe surréaliste une légende commence à circuler selon laquelle Joyce ne vit que d’huîtres, d’eau chaude et de cigares – description qui, si exagérée qu’elle fût, illustre bien les sentiments que la jeune femme suscitait autour d’elle”. [8]
André Breton a toujours été séduit par ce mélange “de talent poétique, d’exotisme et d’excentricité”. Si elle reste “dévouée” à son mari, Joyce est éblouie par la personnalité de cet homme, de trente-deux ans son aîné. Le coup de foudre fut donc réciproque, absolu. Elle avoue que: “le courant passe très fort avec celui qu’elle tient pour un enchanteur, un poète solaire, qu’elle admire à en perdre haleine, et à qui son œuvre sera totalement soumise, jusqu’à la fin de sa courte vie”. [9] Ainsi, pendant dix ans, les deux amis se voient quotidiennement, se promènent dans Paris, sont inséparables. Bien que Breton ait pour la jeune femme une attirance à la fois physique et affective, semblable à celle qu’il ressentait pour Nelly Kaplan, leur correspondance révèle un amour platonique. Certains membres du groupe verront en Joyce Mansour son dernier amour et elle deviendra, pendant un temps, “l’égérie des surréalistes, en raison aussi bien de son talent que de sa fortune et de son sens très personnel de l’excès”. [10]
Pourquoi n’y eut-il pas, entre eux, cette même passion sexuelle que Breton avait éprouvée pour Lise Deharme ou Valentine Hugo? Ou sinon, pas de façon explicite, selon Polizzotti? Il est possible qu’à la fin de sa vie, Breton n’ait pas voulu compromettre son troisième mariage qui, depuis quinze ans, s’avérait être le plus stable. Quant à Joyce, cette jeune épouse n’était sûrement pas sexuellement séduite par lui, comme il devait l’être par elle. Cela n’empêche pas la magie de s’exercer entre les deux poètes. Elle lui dédicace son deuxième recueil de poèmes, Déchirures, qu’elle lui porte elle-même. Ce recueil contient une photographie [11] la montrant à son bras dans les rues de Paris, au dos de laquelle elle inscrit ce message: “À André Breton, au mage noir de l’insoluble, à celui qui n’est jamais redescendu du Château étoilé. Joyce”. Au recto, Breton note “ces mots hugoliens” en les datant: “L’œil égaré dans les plis de l’obéissance. V.H.”. Malgré ses convictions surréalistes sur la liberté et le désir, il est difficile pour Breton de contrecarrer “les entraves que les rapports sociaux imposent au désir”. [12] Sa femme Elisa ne reste pas indifférente à cette liaison et menace Breton de rentrer au Chili. Il finit toutefois par susciter une amitié réciproque entre les deux femmes.
Selon Henri Béhar, [13] à partir de sa rencontre avec André Breton, Joyce Mansour, s’accorde sur le fond avec le surréalisme. Placée sous l’égide du poète, elle est immédiatement reconnue par ses membres.

André Breton et ses amitiés féminines
Dans un entretien accordé à Polizzotti le 16 novembre 1993, Nelly Kaplan affirme que Breton voulait renouer avec la passion, émotion qui n’existait plus dans son mariage. Suzanne Muzard [14] parle, quant à elle, “d’indépendantes impulsions”. Comme le remarque Polizzotti, ses relations avec Joyce ressemblait à un amour courtois, mêlant la séduction et la complicité, mais faite de longues périodes de frustration et de regret entrecoupées d’instants fugitifs de bonheur. Joyce considérait leur relation avant tout comme un lien de disciple à maître. En effet, la jeune poétesse adhère au surréalisme alors que le mouvement traverse une période difficile, avec des tensions internes, comme l’affaire Carrouges. Jehan Mayoux, [15] adhérant épisodique au mouvement, se vexe de voir confier la monographie consacrée à Benjamin Péret, dont la publication est prévue chez Seghers, à Jean-Louis Bédouin, alors qu’il espérait que Breton la lui confierait.
D’autres tensions surviennent lors des projets d’interventions formulées avec le groupe L’Internationale lettriste, [16] dont celui visant à “perturber la célébration du centenaire de Rimbaud”. Les surréalistes refusent “la phraséologie marxiste que les lettristes ont adopté dans le tract commun” et le projet n’aura aucune suite. Le lettriste Gil J. Wolman publie un réquisitoire contre Breton qu’il décrit sous les traits du P.D.G d’un empire d’édition: “Breton aujourd’hui c’est la faillite. Il y a trop longtemps que notre entreprise est déficitaire. Ce ne sont décidément pas vos
associés qui vous sortiront de là. Ils ne savent même pas se tenir à table. Vous n’êtes plus servi comme avant”. [17] Aux querelles du groupe dispersé, qui affaiblissent l’autorité de Breton, s’ajoute l’exclusion de Max Ernst à la fin de l’année 1954. La plupart des jeunes membres, plus doctrinaires que Breton, lui reprochent d’avoir obtenu le grand prix de la Biennale de Venise. Jugeant cette récompense “intolérable”, Jean Schuster et d’autres surréalistes décident de son exclusion lors d’une réunion chez de Breton, rue Fontaine. Malgré son désaccord, il doit s’y résigner.
Il est également très affecté par l’annonce de la mort brutale de Tanguy [18] en janvier 1955. Breton, souffrant d’une toux persistante, paraît physiquement diminué. Le Surréalisme ne semble plus être “une force unie”. Suite aux difficultés financières rencontrées par son éditeur Éric Losfeld, [19] la revue Medium, créée en 1953, cesse de paraître au bout de quatre numéros. Mais Breton, malgré ses problèmes de santé, désire créer une autre revue. Des réunions ont lieu au café de la Place Blanche puis au café Musset près du Palais-Royal. Dans une des lettres de l’importante correspondance entre Breton et Péret, Breton lui avoue mal supporter ces réunions auxquelles il doit se rendre une fois par semaine. Survient ensuite la mort, à l’âge de quatre-vingt-huit ans, de son père Louis, le 10 novembre 1955. Ce dernier, très discret, eut toujours une grande admiration pour son fils et conserva de nombreuses archives surréalistes.
L’année 1956 semble plus “active”. Le 12 avril 1956, les surréalistes répondent par un tract surréaliste, “Au tour des livrées sanglantes !”, aux révélations de Krouchtchev sur Staline. Dans ce tract, ils soutiennent que Staline a trahi la révolution de Trotski. Mais ils s’aperçoivent vite que “Krouchtchev ne se préoccupe guère des états d’âme d’une poignée d’intellectuels français”.
En avril 1956, Breton décide le lancement d’une nouvelle revue, Le surréalisme, même. Le tract “Prière d’insérer”, pour “Le Surréalisme, même”, propose la raison d’être de cette nouvelle revue: “Pour répondre à la confiance et à l’interrogation souvent pressante de cette partie de la jeunesse qui objecte à se laisser passer le nœud coulant; pour affliger et confondre, une fois de plus, ceux qui – depuis trente ans – s’entêtent à proclamer la mort du Surréalisme”. [20] Il conclut en exigeant que la nouvelle revue contribue à “la quête d’une toujours plus grande libération de l’esprit”. Prévue pour le mois de mai, la revue ne paraîtra finalement qu’en octobre. Son éditeur, Jean-Jacques Pauvert, est considéré comme “une référence littéraire à succès”. Elle est dirigée par Jean Schuster qui joue un rôle de plus en plus important dans le groupe. Le titre, Le surréalisme, même, est certainement une allusion à l’œuvre de Duchamp, La mariée mise à nue par les célibataires, même. [21]
Breton a soixante ans et sa maladie des bronches s’aggrave. Ses crises sont de plus en plus fréquentes. Sa fille Aube se marie avec le peintre Yves Elléouët, membre du groupe surréaliste depuis une année. Il prend de plus en plus conscience du temps qui passe. Polizzotti évoque la fermeture de la galerie, L’Étoile Scellée, pour cause de problèmes financiers. Breton n’en est pas prévenu. Il a du mal à écrire. L’Art magique, commencé trois ans auparavant, n’avance guère. Il en a terminé la préface, mais les autres participants semblent avoir développé un blocage. Breton doit reconnaître que le sujet peut sembler opaque. Comme Polizzotti, on se demande de quelle nature peut être la relation entre l’art et la magie et comment on pourrait la définir dans le cadre d’un livre. À ce sujet, Polizzotti rappelle l’entretien que Breton a eu avec Parinaud: “La quasi impossibilité de circonscrire, dès qu’on y prend garde, le concept d’un “art magique” qui ne
demande qu’à déborder de toutes parts (il est bien entendu que tout art authentique est magique) où à se rétrécir démesurément (quelle œuvre d’art peut se targuer, ne disons pas d’avoir changer la face du monde, mais même d’avoir transfiguré la vie de son auteur?)”. [22] Le critique Henry Auer lui demande, dans la NRF du 1er octobre 1957, “qu’appelle-t-on œuvre d’art authentique?”, même en supposant, suivant Polizzotti, que “toutes les œuvres d’art authentiques soient par essence magiques”. [23] Grâce à l’intervention de Gérard Legrand, L’Art magique, qui retrace “une longue histoire de l’art comme “véhicule de la magie”, depuis les peintures rupestres jusqu’à l’art moderne, le tout s’achevant bien évidemment par le Surréalisme”, est publié aux éditions le Club français du livre, le 25 mai 1957. Breton regrette que l’ouvrage n’ait pas connu le succès attendu. Seul les Cahiers du Sud en font l’éloge tandis que la NRF met l’accent sur “la confusion […] au cœur de l’ouvrage” qui est “l’image très exacte de l’anarchie intellectuelle et spirituelle de cette époque”. [24]
La rencontre avec Joyce Mansour se déroule dans ce contexte de crise, aussi bien chez Breton qu’au sein du mouvement surréaliste.
Le poète a toujours fait de ses rencontres sa raison de vivre, [25] si ce n’est l’élan vital nécessaire à la progression de son œuvre. Joyce Mansour ne fera pas exception à cette règle.

NOTAS
1. Marc Polizzotti, André Breton, biographie, NRF, Gallimard, 1995, p 672.
2. Idem, p.672.
3. José Corti, Souvenirs désordonnés, Éditions José Corti, 1983 p.126.
4. Belen (autre nom de Nelly Kaplan), “Une rencontre”, NRF 172, p.743-744 1993.
5. Belen, “Une rencontre”, op. cit pp.743-744.
6. Lettre de Breton à Kaplan, 6 janvier 1957, archives Kaplan.
7. Lettre de Breton à Kaplan, 30 juillet 1957, archives Kaplan.
8. P. Polizzotti, André Breton, op. cit. pp. 674-675.
9. Stéphanie Caron, “Joyce Mansour, André Breton et le mouvement surréaliste: histoire d’une reconnaissance” dans L’Entrée en surréalisme, Editions Phénix, 2004 pp. 247262.
10. Henri Béhar, André Breton, Édition Fayard, 2005, p.489.
11. Photographie en noir et blanc de Jacques Seneliet, André Breton et Joyce Mansour lors de leurs promenades quotidiennes, 1959, archives Mansour, cf notice iconographique, fig n°21, op. cit, note 457, p.160.
12. Henri Behar, op cit. p.490.
13. Henri Béhar, Breton, Éditions Fayard, 2005.
14. Suzanne Muzard fait partie des rencontres de “l’amour-folie” d’André Breton. En novembre 1927, il eut le coup de foudre pour la jeune femme, présentée par Emmanuel Berl au café Cyrano. Il connaît avec elle les extases de la “beauté convulsive”. La fréquentation de la jeune femme, à l’esprit très libre, provoque déchirements, divorce et scission au sein du groupe surréaliste. Photo d’André Breton et Suzanne Muzard dans l’atelier, 1929-1930, coll. part. cf notice iconographique, fig.n°24.
15. Jehan Mayoux, (1904 Cherves - 1975, Chatelars en Charente), ami de Tanguy et de Benjamin Péret, fait partie du groupe surréaliste très tôt. Il défend avant tout les idées libertaires. Sa création poétique est très riche et ne cesse de chanter l’amour. Son sens du merveilleux le rapproche de l’enfance. Il compose des “fausses fables”, des comptines caractérisées par leur syntaxe débridée. Il est contre toute logique. Il pense que “l’imaginaire est une des catégories du réel, et réciproquement”.
16. L’Internationale lettriste ne semble avoir eu aucun rapport avec le lettrisme d’Isidore Isou.
17. Polizzotti, op cité p.676. Et ça finit mal, tract lettriste, dans Tracts, II pp.360-361.
18. Tanguy meurt en janvier 1955 d’une hémorragie cérébrale, âgé de cinquante-quatre ans.
19. Eric Losfeld (1922 en Belgique-1979 à Paris) était l’ami et l’éditeur de la plupart des surréalistes.
20. Tracts surréalistes et Déclarations collectives, Tome II, Édition Éric Losfeld, p.441.
21. Marcel Duchamp, La mariée mise à nu par ses célibataires, même,(Le Grand Verre), 1915-1923, réalisé à New York sur deux panneaux de verre assemblés, huile, feuille de plomb, fil de plomb, poussière, vernis brisées volontairement quelques années plus tard et reconstituée, Philadelphia Museum of Art.
22. Parinaud, Breton : “Ce qui manque à l’art”, p.1.
23. Polizzotti, op. cit, p.681.
24. Henry Auer, NRF, 1er octobre 1957, p.p. 778-781.
25. cf. Geoges Sebbag, André Breton, l’amour folie, Édition Jean-Michel Place, 2004.


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EDIÇÃO COMEMORATIVA | CENTENÁRIO DO SURREALISMO 1919-2019
Artista convidada: John Welson (País de Gales, 1953)


Agulha Revista de Cultura
20 ANOS O MUNDO CONOSCO
Número 133 | Maio de 2019
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