sábado, 14 de julho de 2018

LILIAN PESTRE DE ALMEIDA | Deux créateurs caribéens: Aimé Césaire et Wifredo Lam



LES RAPPORTS ENTRE PEINTURE ET POÉSIE | L’articulation entre peinture et poésie a un long passé. Ut pictura poesis… L’expression d’Horace dans son Art poétique est la base même des études contemporaines sur image et poésie. Pour les classiques, l’analogie s’imposait: la poésie est une peinture qui parle, s’exprime par des vers et la peinture, une poésie muette, s’exprimant par des lignes et des couleurs. L’emblème de la Peinture chez Alciat présente une femme un mouchoir lui couvrant la bouche. Nous n’en ferons pas l’historique de cette analogie qu’on a glosée, le long des siècles, dans d’innombrables traités d’art.
Mais il y a encore un autre rapport, plus direct ou plus interne, entre poésie et peinture, celui qui fait correspondre un poème à une œuvre plastique, l’un étant la transposition de l’autre sans qu’on sache parfois laquelle de ces œuvres mises en parallèle vient la première. On me dira, dans notre cas, les eaux-fortes de Lam viennent les premières, c’est lui qui invite son ami martiniquais à apporter une illustration poétique à un groupe de gravures déjà terminées qui s’intitulent Annonciation. Césaire aurait composé alors 10 poèmes en regardant les eaux-fortes. 
D’ailleurs, il y a 10 poèmes pour 9 gravures et les choses ne sont pas si simples. Entre temps, le peintre est mort et l’ensemble poétique avant d’être terminé est devenu autre chose, un “tombeau”. Il y a même un poème écrit au moment de la mort de l’ami “in memoriam”. Un manuscrit de l’exposition nous le prouve. Mais regardons encore du côté poésie-peinture, texte-image, poème-gravure.
Car il y a une autre très, très antique tradition qui s’appelle un grec ekphrasis qui constitue la description poétique d’une œuvre plastique, parfois fictive. Je dirais même, le plus souvent, fictive. Mais les eaux-fortes de Lam ne sont pas fictives, elles existent, les matrices ont été imprimées et précèdent les poèmes. La question alors devient: est-ce que les poèmes de Césaire les décrivent ou illustrent d’un certain point de vue ces gravures ?
Avant d’y répondre, essayons de comprendre ce qu’est une ekphrasis. Il y en a bon nombre d’exemples dans le Nouveau Roman, ou chez Proust qui évoque la peinture, plus ou moins fictive, d’Elstir ou décrit longuement un petit pan de mur jaune dans une toile du Vermer. Un livre récent de Pascal Guignard, intitulé Georges de la Tour, est composé aux trois quarts, peut-être plus, de courtes ekphrasis sans commentaire ou analyse, et il renouvelle notre vision du peintre lorrain. Mais dans son cas, les toiles existent.
Une très belle et longue ekphrasis apparaît déjà chez Homère dans l’Iliade. Barbara Cassin explique l’ekphrasis ainsi:

L’ekphrasis (sur phrazô, faire comprendre, expliquer, et ek , jusqu'au bout) est une mise en phrases qui épuise son objet, et désigne terminologiquement les descriptions, minutieuses et complètes, qu'on donne des oeuvres d'art.
La première, et sans doute la plus célèbre, ekphrasis connue est celle qu'Homère donne, à la fin du chant XVIII de l'Iliade, du bouclier d'Achille forgé par Héphaïstos. L'arme a été fabriquée à la demande de Thétis, non pour permettre à son fils de résister à la mort, mais pour que “tous soient émerveillés” (466 sq.) quand le destin l'atteindra. C'est une œuvre cosmopolitique, où sont représentés, non seulement Terre, Ciel, Mer, bordés par le fleuve Océan, mais deux cités dans le détail de leur vie, l'une en paix et l'autre en guerre. Le poète aveugle produit la première synthèse du monde des mortels, prouvant ainsi pour la première fois que la poésie est plus philosophique que l'histoire.
Non seulement cette ekphrasis première est la description d'un objet fictif, mais elle est suivie dans le temps d'une seconde ekphrasis, dont le modèle est cette fois, comme pour un remake, la première ekphrasis elle-même: il s'agit du bouclier d'Héraclès, attribué à Hésiode. Ce palimpseste ne se conforme donc pas à un phénomène, un bouclier réel, ni, en deçà, à la nature même et aux cités, mais seulement à un logos. […]
L'ekphrasis se situe ainsi au plus loin de la métaphore, dont tout l'art, conformément à la doctrine de l’ut pictura poesis, consiste à mettre les choses “sous les yeux”, pour en produire ainsi une nouvelle et originale connaissance […] Il ne s'agit plus en effet dans l'ekphrasis d'imiter la peinture en tant qu'elle cherche à mettre l'objet sous les yeux — peindre l'objet comme en un tableau —, mais d'imiter la peinture en tant qu'art mimétique - peindre la peinture. Imiter l’imitation, produire une connaissance, non de l'objet, mais de la fiction d'objet, de l'objectivation: l'ekphrasis, c'est de la littérature.

Or si nous regardons les 10 poèmes césairiens, il n’y a pas à proprement parler de description des eaux-fortes de Lam, sauf dans un cas, le premier poème et sans doute le dernier de la série, encore que d’une manière assez discrète. Nous proposons ici de lire les poèmes de Césaire qui constituent un ensemble absolument magnifique, dans leur rapport aux eaux-fortes de Lam. Mais avant d’avancer, il faudrait faire allusion à une autre tradition littéraire, celle du tombeau, c’est à dire, le poème écrit à un mort. Comment l’ensemble dédié par Césaire à Lam se situe ou fonctionne entre l’ekphrasis et le tombeau ou encore autre chose, c’est ce qui nous intéresse ici d’élucider.

LA TRADITION POETIQUE DU TOMBEAU | Dans l’un des chapitres dans un livre publié l’année dernière, Mémoire et métamorphose. Aimé Césaire entre l’oral et l’écrit, intitulé “Les tombeaux césairiens”, j’essayais d’aborder non seulement l’hommage aux amis morts et aux héros admirés, mais surtout la problématique de l’Autre et du Même. Car, au fond, un tombeau se rattache à la problématique de l’amitié, si importante depuis les Grecs et les classiques français, et sur les réflexions qu’elle suscite. L’amitié est une des lignes de forces du poète Césaire. Son amitié exemplaire avec Senghor, Damas, Lam ou encore Asturias est bien connue de tous. Pendant longtemps, à Fort-de-France, Césaire a formé avec son vieil ami, le Dr. Pierre Aliker, un couple d’amis en tout semblable au couple modèle de Montaigne et La Boétie. Il était très émouvant de voir, aux funérailles de Césaire, ce vieux monsieur, tout vêtu de blanc, s’avancer et faire l’éloge de son cadet devant la foule dans un grand stade silencieux.
Reprenant la rhétorique de l’épitaphe, les discours philosophiques sur l’ami décédé détruisent la structure de symétrie et de réciprocité, qui domine la perspective antique de l’amitié, toujours associée aux idées d’égalité, de proportionnalité, d’équivalence et d’identité, y introduisant une asymétrie insurmontable qui est celle du mort et du vivant. Plusieurs poèmes césairiens chantent un mort: il s’agit de savoir comment Césaire le fait.
Le poète Césaire, dans ses tombeaux à des poètes et écrivains francophones, marque sa place à lui, à travers une très élaborée confrontation de poétiques: Paul Eluard (poésie française), Léon-Gontran Damas (négritude américaine), Alioune Diop (négritude africaine), Saint-John Perse (un autre type d’anabase). Césaire salue également un hispanophone, héritier et représentant de la Méso-Amérique: Miguel Angel Asturias, celui qui a fait connaître en France l’ancienne cosmogonie maya, le Popol-Vuh, par sa traduction et son roman Les Enfants du maïs. 
Les tombeaux césairiens saluent encore des personnages que le poète n’a pas personnellement rencontrés, car éloignés dans le temps ou dans l’espace: deux héros historiques des Caraïbes (Toussaint, le général Haïtien, dans le Cahier dès sa première version de 1939 et Delgrès, l’Antillais par excellence), un étranger qui vient de l’Ailleurs mais attentif à la voix collective et anonyme de l’oralité (Lafcadio Hearn) mettant en scène un conteur et un adolescent lynché au Mississipi (Emmet Till). Le poète se met alors à l’écoute de l’Histoire (passée et contemporaine) ou d’un maître de l’oralité qu’il imagine présent à une veillée de contes. La plupart de ces tombeaux font partie du recueil moi, laminaire…
Césaire explore enfin, dans le même recueil, une forme exemplaire de création enracinée dans les Amériques noires dans un tombeau complexe et fort beau de dix poèmes, dédié au peintre cubain, Wifredo Lam, connu dès 1941 et décédé 40 ans plus tard. Illustration ou commentaire tout d’abord d’une série de gravures et bientôt le plus important tombeau césairien, l’ensemble est exceptionnel pour plusieurs raisons: a) d’une part, l’exposition du Grand Palais montre pour la première fois au grand public en même temps les gravures et les textes; b) d’autre part, elle y ajoute des manuscrits et enfin c) elle permet de lire en contrepoint la création des deux caribéens.

LE TOMBEAU DU PEINTRE LAM DANS UNE PERSPECTIVE ANTHROPOLOGIQUE

…l’Essence par quoi qui tombe tombe
pour se relever
(in La Poésie, p. 334)

Le tombeau de Lam est tout un cimetière. Avec plusieurs tombes, réservoirs de la vie, lieux de fixation des âmes des morts et surtout espace de la manifestation des dieux, selon une certaine orthodoxie ancienne et selon une mythologie personnelle, celle de Césaire.
Les morts sont légion et ils sont puissants. Ainsi des voix dialoguent et s’enchaînent dans un tombeau complexe, entre tous.
Vous l’avez compris. Entre l’ekphrasis et le tombeau, je propose ici une troisième voie de lecture, celle de l’anthropologie culturelle. Mon hypothèse de départ: Césaire, connaissant parfaitement les deux traditions littéraires de l’ekphrasis et du tombeau, recrée à sa manière, librement, l’univers de Lam en s’inspirant des cultes afro-américains. Autrement dit: Césaire ne reprend pas directement les eaux-fortes de son ami Lam mais part de leur terreau commun, l’espace ancestral de la Plantation dans les Amériques noires avec leurs cultes enracinés et populaires.
Sur le problème des rapports de Césaire et l’anthropologie, nous pouvons laisser la question pour le débat final. Avançons immédiatement que l’anthropologie est une des lectures constantes de Césaire tout au long de sa vie.
L’ensemble de 10 courts poèmes avec une longue épigraphe tirée d’un texte autobiographique de Lam lui-même, met en scène plutôt un houmfò haïtien (ou un temple cubain ou un barracão brésilien) un jour de fête avec la descente de plusieurs loas/saints/orishas.
Le tombeau de Lam est composé d’un court texte de Lam lui-même (La Poésie, p. 459) mis en exergue évoquant la marraine Mantonica Wilson, et de dix poèmes intitulés successivement: “Wifredo Lam…” (La Poésie, p. 461), “conversation avec Mantonica Wilson” (La Poésie, p. 463), “connaître, dit-il” (La Poésie, p. 464), “genèse pour Wifredo” (La Poésie, p. 465), “façon langagière” (La Poésie, p. 466), “passages” (La Poésie, p. 467), “rabordaille” (La Poésie, p. 468), “que l’on présente son cœur au soleil” (La Poésie, p. 470), “insolites bâtisseurs” (La Poésie, p. 471), “nouvelle bonté” (La Poésie, p. 472).
Nous sommes dans des mises en abyme successives, dans des jeux sacrés, au son des tambours qui ponctuent et annoncent la descente rituelle (ou la sortie) successive des orishsas, santos ou loas (peut importe comment on les appelle), l’apparition d’Eshou, le chant au Seigneur des feuilles, le dialogue et les échanges des dieux, non pas en conserve mais enracinés et libres (la distinction, comme on le sait, est de Roger Bastide[1]).
Je reprends la distinction classique de Roger Bastide dans son ouvrage, Les Amériques noires, entre cultes en conserve (le mot conserve n’a aucune connotation négative) et cultes en liberté. Il n’y a pas eu de transposition directe, comme vous le savez certainement, toute prête d’Afrique en Amérique mais une longue reconstruction qui tend vers l’orthodoxie ou se développe au risque des rencontres en toute liberté. Le candomblé brésilien est un exemple du premier type de culte avec l’emploi d’une langue sacrée pour les chants (le Yorouba) et l’établissement d’un processus d’initiation en étapes; la macumba ou l’umbanda brésilienne, le vaudou haïtien et la santería cubaine, sont, avec des degrés divers, des cultes en liberté au syncrétisme intense, aboutissant au changement du profil des divinités (une déesse des eaux douces devenant une déesse des eaux salées de la mer, par exemple) ou à la création de nouveaux dieux, nés de la nouvelle terre. La santería[2] cubaine est “el camino de los santos”: littéralement “le chemin des saints” et son panthéon est très semblable à celui des cultes afro-brésiliens, avec des différences néanmoins dans la correspondance entre les saints catholiques et “los santos” de la santería.
Césaire a connu Wifredo Lam au même moment où il a connu André Breton, en 1941. Il y a tout un chassé-croisé entre ces trois hommes. Mais le dialogue entre Césaire et Lam est encore plus important que le dialogue entre Breton et Césaire[3]. Et très certainement, plus long. Nous connaissons les faits. Inutile de les reprendre.
Il nous manque une étude systématique sur le dialogue entre Lam et Césaire. Il a duré toute une vie et cette exposition du Grand Palais est une chance de reprendre ce dialogue á fond. Les deux textes du catalogue forment la base pour y aboutir.
Dans ses derniers recueils de poèmes, notamment dans moi, laminaire…, Césaire reprend la forme des orikis, petits poèmes souvent énigmatiques pour saluer les loas (divinités du vaudou). Il a, depuis la première phase de sa poésie, composé des poèmes tam-tam et il a caché des séquences énigmes[4] dans ses grands poèmes cosmogoniques. Et ils sont plusieurs: à côté du Cahier, il y a “Les pur-sang”, “Le grand Midi”, “Batouqe” et j’en passe. Tout cela est l’indice d’un rapport matriciel avec des formes de l’oralité traditionnelle.
Regardons les textes du tombeau dédié à Lam. Le premier texte, mis en exergue, est un morceau des mémoires de Lam; il y évoque sa marraine (Mantonica Wilson) et les dieux qui le protègent, lui, grâce à sa marraine: Yemanja, Shango, Ogun-Ferraille, Olorun. Le simple fait de présenter Yemanja comme déesse de la mer prouve qu’il s’agit déjà d’un culte américain, car à l’origine, en Afrique, Yemanja était la déesse des eaux douces, non-salées. Une transformation est déjà arrivée: Pierre Verger analyse cette transformation de façon très précise et documentée. Dans les dix poèmes, le premier relève de l’ekphrasis, les quatre poèmes suivants (poèmes 2 à 5) évoquent des divinités (loas ou orishas) des cultes afro-américains, dans les quatre autres (poèmes 6 à 9) le poète Césaire part d’un pas décidé vers une mythologie personnelle, le dernier (le dixième) enfin présente une sorte d’épilogue. Essayons de les considérer l’un après l’autre.

LE PREMIER POEME “WIFREDO LAM…”: UNE EKPHRASIS DE L’ENSEMBLE | Lisant le premier poème, tout suggère une ekphrasis non pas d’une gravure précise mais de l’ensemble. Césaire considère successivement les eaux-fortes de son ami et essaie d’en faire la synthèse: “mains implorantes/ mains d’orantes”, “toutes choses aiguës/ toutes choses bisaiguës”, “avatars d’un dieu animé au saccage” “envol de monstres”, “que cherches-tu à travers ces forêts/ de cornes de sabots d’ailes de chevaux” mais le poème annonce autre chose, en plus de la description d’un ensemble plastique ou d’un espace imaginaire. En tout premier lieu, une question est posée et déjà une réponse ou une reconnaissance se fait. À la question “que cherches-tu”, une première réponse apparaît déjà dans le poème et elle est apportée, non pas par le destinataire mais par le témoin lui-même qui affirme:

j’ai reconnu aux combats de justice
le rare rire de tes armes enchantées
le vertige de ton sang
       et la loi de ton nom

Dans “Wifredo Lam…”, Césaire salue son ami en tant que voyant et maître de l’art de la divination (“liseur d’entrailles et de destins violets” et “ récitant de macumbas”), mélangeant délibérément le vaudou haïtien, la santería cubaine et la macumba brésilienne, des religions en liberté des Amériques noires, cultes non soucieux d’orthodoxie, et s’identifie en quelque sorte à ce métis qui conjugue, comme lui, le rire et les armes miraculeuses (“ le rire rare de tes armes enchantées”). Ce poème aura une autre lecture lorsque nous aborderons le quatrième poème de la série. Malgré l’emploi du mot “macumbas”, nous pensons que ce poème tend déjà vers une orthodoxie.
Ekphrasis de l’ensemble, car les ”mains implorantes/ mains d’orantes” n’y apparaissent pas.

LES POEMES 2 A 5 DANS LE TOMBEAU A LAM: LE SALUT D’UN INITIE SOUCIEUX D’ORTHODOXIE | Le second poème, “conversation avec Mantonica Wilson” (Poésie, p. 463), est clairement autre chose. Ce poème ne correspond à aucune gravure. On pourrait dire, du point de vue anthropologique: c’est l’évocation d’Eshou sans que son nom apparaisse: avec sa tête d’hippotrague, “ouvreur de routes”, celui qui fait circuler la parole. Un saut se fait. La plupart des critiques qui ignorent les Amériques noires butent sur cette “étrange tête d’hippotrague”. On ouvre les dictionnaires et l’on trouve: “Zoologie: Antilope de grande taille, à l’aspect chevalin, vivant dans les savanes d’Afrique”. Comment expliquer cet animal africain dans un poème dédié à un métis cubain ? sans parler évidemment de cet autre étrange objet: “le chasse-mouches”
Par contre, ceux qui connaissent les Amériques noires identifient rapidement “la tête d’hippotrague” au bonnet des prêtes d’Eshou en souvenir du couteau sur la tête de cette divinité qui lui donne son aspect le plus caractéristique. Le poème est un salut à un go-between, à un personnage de trickster, connu dans toutes les Amériques, Eshou ou Legba. Et à partir de cette clé, le poème peut être lu sans difficulté. D’ailleurs “le sylphe bouffon de cette sylve” ne peut être que le joueur de tours, celui qui fait court-circuiter le sens. L’ironie césairienne y joue à plein, mélangeant de vagues souvenirs classiques “sylphe” et “sylve”. Nous y reviendrons plus tard lorsqu’il s’agira de mieux définir Eshou.
Comment y arrive-t-on si rapidement ? Il ne faut pas oublier les mots mis en exergue sur la marraine Mantonica Wilson, prêtresse de la santería. Le texte manuscrit d’Aimé Césaire reproduit une information de Wifredo Lam recueillie par lui au cours d’une conversation et reproduite par le poète en exergue aux dix poèmes écrits pour les eaux-fortes d’Annonciation. Le mot “Annonciation” apparemment se rattache au thème chrétien de l’Ange Gabriel annonçant la naissance de l’Enfant à la Vierge Marie. Or dans aucun de ces poèmes césairiens, on trouve une allusion quelconque au Christianisme. Dès le départ, nous sommes dans le “cycle des genèses” [qui] “vient sans préavis”.

Le troisième poème, “connaître, dit-il” (Poésie, p. 464), a la forme d’un oriki. Définissons un oriki: petit poème souvent énigmatique pour saluer les loas (divinités du vaudou) ou les orishas (divinités du candomblé, de la macumba ou de la santería). Dans ses derniers recueils, notamment dans moi, laminaire…, Césaire reproduit ou recrée la forme des orikis[5]. L’un des plus beaux orikis de Césaire s’intitule “inventaire des cayes” (in Poésie, p. 433).
Dans ce troisième poème, Césaire chante le “connaisseur” de l’action de connaître, en mouvement, en transformation permanente, il salue celui qui, par le sexe (Eshou est représenté avec un phallus gigantesque), enlève les voiles et révèle la vérité, si vérité il y en a. Sa capacité de transformation ne peut être saisie que par le galop du cheval-vent.
Calao. Oiseau tropical porteur d’un énorme bec recourbé que surmonte un grand casque corné. En regardant une photo du calao, on constate sa ressemblance avec la tête d’Eshou. Oiseaux étranges et beaux, les Calaos sont souvent impliqués dans les cultures locales. En Afrique où le peuple les respecte, ils font partie de la mythologie et du folklore, en particulier chez les Senoufo. D’autre part, il y a de nombreuses légendes sur la chèvre vendue par Eshou dans un marché semant la pagaille entre les orishas.
L’eau-forte qui lui correspond présente le même visage sardonique et atterrant, avec des cornes pointues, parfois juste la tête, parfois sur un corps féminin aux seins flasques, parfois sur un corps hermaphrodite (avec des seins gorgés et des couilles). Une tache rouge suggère la tête du calao qui se répète sur le sexe de la figure de droite. N’oublions pas qu’Eshou est à la fois mâle et femelle. Souvent il se dédouble, en une paire: au Brésil, Eshou et Pomba Gira, en Haïti, Legba et Man Brigitte. Ils se tiennent debout aux carrefours, tour à tour menaçants et soucieux ou protecteurs.
Dans le vaudou haïtien, deux divinités sont essentielles: Legba, mâle, génie de la mort et du revenir et la Grande Brigitte, son épouse. De même, dans la macumba ou l’umbanda brésiliennes, Eshou, le maître et gardien des ténèbres, peut apparaître avec sa femme (Pomba Gira) et alors la cérémonie devient chaotique.

Le quatrième poème, “genèse pour Wifredo” (Poésie, p. 465), reprend le thème des os purs, matière de création d’où part le “verbe parturiant”. Ces squelettes ne sont pas signe de mort. Dans ce poème si dense, nous retrouvons le souvenir de deux textes: l’un, classique et plus discret, lié au grand cycle thébain et au geste de Cadmos semant les dents du dragon qu’il vient de tuer: de ces semailles naîtront les Spartoï tout armés, les ancêtres lointains de la ville de Thèbes; l’autre, plus important encore, renvoie à la croyance des Bambaras, analysée par des anthropologues comme Germaine Dieterlen et Dominique Zahan: les os sont la matière première de la création.
Pour les Bambaras, les os, constituent la partie la plus durable, sinon impérissable du corps humain, l’intérieur, le support du visible et symbolisent l’essence de la création[6]. Rappelons seulement quelques textes oraux africains.
Yo, l’Esprit Premier, préexistant à toute création, est le grand constructeur de la moelle des os; le point central de la croix de directions cardinales de l’espace, d’où part la spirale du verbe créateur (Faro), appelée l’os du milieu du monde[7]. Nous y sommes, non pas dans les cultes afro-américains, mais dans un récit elliptique de cosmogonie primordiale. En réalité, dans le quatrième tombeau, il s’agit de la suggestion d’une nouvelle genèse, car ces os se sont emparés “de tout ce qu’il reste de vie” et provoquent un nouveau départ à partir du verbe.
Dans une série de poèmes qui glosent les cultes nègres de la grande zone des Plantations, ce tombeau dédié à Lam, constitue un retour à l’Afrique célébrant un récit de création primordiale. Mais comme souvent chez Césaire, la création se refait par cycles. Comme pour Asturias d’ailleurs, à l’exemple du Popol-Vuh, la grande épopée maya. Ce petit poème reprend de façon tout à fait explicite un verset du premier poème qui avait pour titre le nom du peintre: “le cycle des genèses vient sans préavis” (La Poésie, p. 461). C’est là la croyance profonde de la Méso-Amérique et le lecteur sait déjà que l’idée d’un cycle de genèses est la marque principale du Popol-Vuh.
Le titre du poème est intéressant. Le poème de Césaire s’intitule “genèse pour Wifredo”. On s’attendait à une autre préposition “par Wifredo”. La préposition pour ici est polyvalente au double sens de: a) d’après Lam et b) adressé à Lam par son ami.
L’eau-forte correspondante est la seule avec un fond doré plus uni où deux figures composites se séparent et tournent mutuellement le dos. Elles viennent de surgir, des monstres qui ont partout dans leur corps quelque chose de trop. Un monstre a toujours un élément ou plusieurs en trop, il porte dans son corps la réunion d’éléments disparates: il est entre le végétal et l’humain, entre l’humain et l’animal.

Le cinquième, “façon langagière” (La Poésie, p. 466) évoque de forme allusive un autre orisha, le Seigneur des feuilles, dit en portugais du Brésil, Ossain, celui qui interprète les signes obscurs. Il porte d’ailleurs le même nom en espagnol dans la santería cubaine. Il correspond à Papa Loko dans le vaudou haïtien: l’esprit du vent, le papillon, “Papa Loko” appelé aussi Loko Atissou, le gardien du poteau mitan, l’axe central du temple vaudou autour duquel tournent les cérémonies. Il est le Grand Prêtre des temples et préside aux initiations. Il vit dans les arbres et comme Grand Bois, c’est un esprit guérisseur qui connaît tous les secrets des plantes et de la végétation.Son nom est d’origine dahoméenne: le Loko est un arbre qui pousse dans les forêts béninoises et peut atteindre 15 mètres de haut.
Il y a une phrase populaire dans le candomblé brésilien: “sem folhas não há orixás”. Littéralement: sans les feuilles, il n’y a pas d’orishas. Les feuilles sont liées à la médecine. Ossain est le Seigneur secret des feuilles: c’est lui qui détient la force et la vitalité (axé) nécessaire à tous les autres dieux. Il est ainsi “la clé de voûte”. Ossain est l’orisha mâle d’origine nago (Yorouba). C’est l’orisha de la couleur verte, du contact le plus intime avec la nature, avec la forêt. L’espace consacré à cet orisha n’est pas celui des jardins cultivés de manière traditionnelle, mais les recoins de la forêt où seuls les prêtres peuvent entrer, où poussent les plantes de manière sauvage. Orisha de grande signification, car tous les rituels importants emploient le sang noir qui vient des plantes. L’endroit pour ses offrandes: les clairières au milieu de la forêt vierge. Relisons le poème avec cette clé: il fait sens. “Ici commence/ repris aux fauves/ le territoire sacré mal concédé des feuilles” (La Poésie, p. 466). Grâce à lui “le noyau parle”.
Quel est le rapport entre le Seigneur des feuilles et Eshou ? On pourrait dire, de façon synthétique, qu’Eshou se rattache à tout, car c’est lui qui fait tout bouger. Plus précisément: Eshou, comme Ossain d’ailleurs, est lié à la nature et à la divination, car dans le système d’Ifá lorsque l’initié pose les questions en jetant les cauris, c’est toujours Eshou qui répond. Tous les objets circulaires, utilisés pour recevoir les cauris des mains du prêtre d’Ifá, ont sur le rebord une bouche: la bouche d’Eshou. À cet égard, le grand spécialiste reste Pierre Verger[8] qui dans l’immédiat après-guerre, tout d’abord à Bahia et ensuite en Afrique, s’initie au jeu d’Ifá. Il devient chercheur au CNRS et finira par atteindre le degré le plus élevé d’initiation en tant que babalaô, recevant son nom vaillant, Fatumbi.
Le titre de ce poème énigme, “façon langagière “, renvoie du point de vue religieux au système traditionnel de la divination Yorouba et du point de vue linguistique à la fonction appelée par Roman Jakobson, métalinguistique.
Dans l’eau-forte correspondante, des figure sont perdues dans l’ombre de la forêt: trois éléments semblent correspondre au poème: “le noyau parle” correspond à cette tache rougeâtre cornue et aux yeux allumés au fond et au centre, “le hochet directionnel” renvoie à ces têtes en demi-lune cornues identifiées à Eshou et “le losange veille les yeux fermés”, reprennant cette sorte de bouclier protecteur.

LES TOMBEAUX 6 A 9: LE CHANT D’UN SANTERO | On pourrait également dire: le chant d’un vaudouisant ou d’un macumbeiro. Un santero est un initié de la santería, le chemin des saints à Cuba. Nous avons choisi le mot cubain, car Lam est né à Cuba.
Le sixième tombeau, “passages” (la Poésie, p. 467), évoque de nouveau le passeur par excellence, Eshou. Le mot central du poème est une action: “passer” (verbe repris 5 fois en 17 lignes) et une fonction “passage” (repris 2 fois). Césaire allusivement résume le rôle d’Eshou: la transgression (“les plus audacieuses transgressions”) et la continuité discontinue dans le temps et dans l’espace. En d’autres mots: il garde dans le mouvement la mémoire de ce qui fut et de ce qui est (“ les mémoires vivantes”). Le noyau significatif du poème est: “de tout paysage garder intense la transe/ du passage”.
Mais Césaire culbute la mythologie Yorouba par ses souvenirs classiques: “anabase et diabase,“volcan” et “termitière”. Plus sans doute que culbuter, il faudrait dire, du point de vue analytique, articuler. Le poète mélange souvenirs classiques au savoir ancestral africain lorsqu’il écrit “passer/ anabase et diabase” et évoque de façon sibylline deux formes coniques: l’une gigantesque (le volcan) et l’autre de la taille du petit (“ termitière”). Les deux formes sont dans l’indécis, dans le brouillard du paysage: “se dégage du fouillis au loin/ tribulation d’un volcan/ la halte d’une vive termitière”.
Là encore, c’est l’expérience d’avoir passé une partie de l’enfance dans de petites villes de campagne, au Brésil, dans la vallée du Paraíba, qui me fait lire la termitière comme une forme analogue, dans le petit, au volcan. Nous connaissons un certain nombre d’orikis très populaires d’Eshou. Ce dieu nègre y est décrit et salué comme tour à tour très grand (comme un volcan: assis, sa tête touche au ciel) et tout petit (comme une termitière: debout, il a la taille d’un ustensile de cuisine ou d’une brique). Césaire joint une forme du paysage antillais (le volcan: la montagne Pelée en Martinique ou la Soufrière en Guadeloupe) et une forme créée par des animaux minuscules dans les pays tropicaux (la termitière).
Un Européen, un Américain du Nord a sans doute déjà lutté contre des termites dans sa maison ou dans sa bibliothèque, mais n’a probablement jamais vu une termitière des pays chauds. Le Petit Larousse explique:

Termite n.m. (bas lat. termes-itis, ver rongeur). Insecte xylophage, aux pièces buccales broyeuses, à deux paires d’ailes égales, qui vit dans une société composée d’une femelle (reine) à énorme abdomen, d’un mâle, de nombreux ouvriers, qui assurent la construction et apportent la nourriture, et de nombreux soldats, chargés de la défense. (Quelques espèces habitent en France, causant parfois des dégâts dans les constructions, mais les termites sont surtout abondants dans les régions chaudes, où ils édifient de grandes termitières. Ordre des isoptères.)

Termitière n.f. Construction en terre ou en carton de bois, que les termites fabriquent dans les pays tropicaux. (La termitière peut atteindre plus d’un mètre de haut et se poursuit dans le sol par de nombreuses galeries.)

Selon Lilyan Kesteloot, Césaire avait pensé tout d’abord appeler son recueil moi, laminaire: diabase. Celui-ci serait le mouvement complémentaire à l’anabase. Si anabase est du point de vue étymologique l’action de monter, de retourner aux sources, diabase est le mouvement de passer à travers. Mais passer à travers quoi ? C’est au lecteur de résoudre l’énigme: Eshou passe à travers l’espace et le temps.
Mais anabase a encore un sens précis, littéraire: anabase est un titre classique. Avant d’être l’anabase de Saint-John Perse, c’est le retour des mercenaires grecs en Grèce, raconté par un officier grec, qui les commande, Xénophon[9]. Xénophon raconte la retraite des dix mille qui, à travers des dangers sans fin, traversant des terres hostiles, retournent au pays natal, arrivent enfin devant la mer et crient Thalassa! Thalassa!
La juxtaposition finale entre un volcan et une vive termitière vient d’un des traits physiques les plus marquants d’Eshou: sa taille change sans cesse. Plusieurs de ses orikis l’affirment.
Des détails encore l’identifient: le chasse-mouches et un certain type de coiffure. La description de la tête d’Eshou salué dans sa “tête d’hippotrague” ne renvoie pas uniquement à un type d’antilope aux longs cornes d’Afrique du Sud; l’expression renvoie également à un type de coiffure traditionnelle, car Eshou porte sur sa tête un couteau ou une plume d’oiseau. Celle-ci a même un nom dans le candomblé brésilien: ekodidês. Ses prêtres nous le rappellent soit par leur coiffure, soit par une sorte de béret qu’ils portent avec un haut vertical[10].
De nombreux orikis saluent la tête d’Eshou sur laquelle il y a au moins deux légendes fort connues. Selon la première, Oshala, le dieu suprême, frappa Eshou qui devint un nain, puis celui-ci se secoua et devint un géant: ce conte explique pourquoi Eshou tantôt n’est pas plus grand qu’une brique, tantôt sa tête touche au ciel. Un autre oriki au Brésil réunit sa taille au couteau sur sa tête; il dit textuellement:

A lâmina sobre a sua cabeça é afiada
Ele não tem cabeça para carregar fardos
Exu leva azeite numa peneira
Sem derramar uma gota
Quando está de pé
Tem o tamanho de um tijolo
Quando está sentado
Sua cabeça resvala no teto.

On pourrait traduire:

Le couteau sur sa tête est coupant
Il n’a pas une tête à porter des fardeaux
Il porte l’huile dans un tamis
Sans que coule une seule goutte
Quand il se met debout
Il a la taille d’une brique
Quand il est assis
Sa tête touche au ciel

Eshou est encore celui qui porte souvent le chasse-mouches: ainsi, tous les détails du poème sont justes. Un regard sur les photos de Pierre Verger des initiés recevant des orishas aiderait le lecteur à percevoir la métaphore.

De tout paysage garder intense la transe
Du passage
Passer anabase et diabase (La Poésie, p. 467)

Eshou, anabase et diabase, insinue Césaire. Cela veut dire que non seulement Eshou passe et remonte dans le temps et dans l’espace, mais qu’il passe à travers des espaces. C’est pour cela qu’il est toujours, comme on le sait, le premier à être salué dans un houmfò (au Brésil, on dirait barracão)
Eshou “qui ouvre les chemins”, “le maître des carrefours” est chanté dans un poème qui s’intitule “passages” et qui se termine par l’image étrange de deux cônes l’un gigantesque, l’autre très petit, celui d’un volcan et d’une vive termitière: telle est une de ses caractéristiques essentielles. Fidèle à son rôle de médiateur, Eshou est source de changement, de dialectisation:

Eshou! La pierre qu’il a lancée
C’est aujourd’hui qu’elle tue l’oiseau.    
Du désordre il fait l’ordre, de l’ordre le désordre!
Ah! Eshou est un mauvais plaisant.
      
Le passage, que tout lecteur de Césaire reconnaît, tiré de la pièce Une tempête (III, 3, p. 70) n’est que la citation, littérale, d’un oriki d’Eshou. Jorge Amado, dans son livre Bahia de Todos os Santos, guia de ruas e mistérios, présente Eshou ainsi:

Quem guarda os caminhos da cidade de Salvador da Bahia é Exu, orixá dos mais importantes na liturgia do candomblé, orixá do movimento, por muitos confundido com o diabo no sincretismo com a religião católica, pois ele é malicioso e arreliento, não sabe estar quieto, gosta de confusão e aperreio. Postado nas encruzilhadas de todos os caminhos, escondido na meia-luz da aurora ou do crepúsculo, na barra da manhã, no cair da tarde, no escuro da noite, Exu guarda sua cidade bem amada. Ai de quem aqui desembarcar com malévolas intenções, com o coração de ódio ou de inveja, ou para aqui se dirigir tangido pela violência ou o azedume: o povo desta cidade é doce e cordial e Exu tranca seus caminhos ao falso e ao perverso.[....]
Gosta de balbúrdia, senhor dos caminhos, mensageiro dos deuses, correio dos orixás, um capeta. Por tudo isso sincretizam-no com o diabo: em verdade ele é apenas o orixà em movimento, amigo de um bafafá, de uma confusão, mas, no fundo, excelente pessoa. De certa maneira é o Não onde só existe o Sim: o Contra em meio do a Favor; o intrépido e o invencível.[11]

Résumons: Eshou dit oui dans le monde du non, il est pour dans le monde du contre ou inversement. Toujours. De l’ordre, il fait le désordre; du désordre, il fait l’ordre. Ainsi la lecture de cet ensemble de Césaire, soit pour un vaudouisant, soit pour un Brésilien familier du candomblé ou de la macumba, ne pose pas de problème du point de vue anthropologique. De même que pour un familier de la santería: Lam la connaissait fort bien. Cette lecture échappe au psychologisme et aux souvenirs personnels souvent contestables si l’on regarde de près les dates, se concentrant de préférence sur le mythique. Mais évidemment, les deux lectures ne s’annulent point.
L’eau-forte correspondante “passages” est douée d’un extraordinaire mouvement de propulsion dans tous les sens. On y retrouve la main implorante qui veut recevoir le petit losange bleu.

Le septième poème, “rabordaille” (La Poésie, p. 468-469), prend le nom d’un petit tambour pour titre. Le Glossaire explique: “petit tambour cylindrique à deux peaux. Désigne aussi le rythme rapide joué sur ce tambour, comme pour l’abordage”.
Le tambour apparaît en particulier dans la Tragédie du Roi Christophe au moment de la mort du Roi. On est dans la pénombre; atmosphère inquiétante de cérémonie vaudou. Christophe invoque l’arbre, Ibo Loko et Legba. Mme Christophe invoque le loa serpent Damballah wedo; le Roi prêt de mourir s’identifie au tambour.

Tambours mon pouls, battez,
Le toucan de son bec brise le fruit du palmier-raphia
Salut toucan grand tambourinaire!
Coq, la nuit saigne au tranchant de la hache de ton cri
Salut, coq, ahan tranchant!
Le martin-pêcheur happant brin d’oriflamme par brin d’oriflamme s’invcnte un petit matin de soleil ivre
Salut martin-pêcheur grand tambourinaire!
tambour-coq
tambour-toucan
tambour-martin-pêcheur
tambour! mon sang audible!
Assotor mon cœur, battez.
Mes hounsis! mes enfants! quand je mourrai,
le grand tambour n’aura plus de son.
Alors qu’il batte, qu’il batte, le grand tambour
qu’il me batte un fleuve de sang,
un ouragan de sang et de vie
Mon corps! (Chr., III, 7, p.143 – 144)

Jacques Stephen Alexis, le romancier haïtien, emploie le même mot “rabordaille” dans L’Espace d’un cillement: “Le tambour hoquette au loin sur un tempo littéralement épileptique de rabordaille”. [12] Au fond, dans les Amériques noires, le tambour est important parce que sans le tambour, les dieux ne descendent pas, ni dans le vaudou, ni dans la santería, ni dans le candomblé, ni dans la macumba. Sans tambour, pas de dieux (loas, orishas).
Les colons protestants ont parfaitement compris la fonction du tambour: lorsqu’ils l’interdisent, ils permettent la christianisation profonde de leurs esclaves. Les catholiques (Espagnols et Portugais essentiellement, mais Français également en Louisiane et en Haïti) n’ont pas réussi à éliminer le tambour et ainsi dans leurs colonies, le terrain était propice à l’enracinement des dieux africains: vaudou, santería, lucumi, candomblé, quimbanda, macumba, umbanda etc. La liste des cultes afro-américains dans la grande zone de la Plantation en Amérique est presque interminable. Cela est un lieu commun et nous n’y insistons pas.
Ce qui est important, dans ce tombeau césairien, c’est que ce n’est pas un dieu qui descend ou chevauche son initié. Le tambour annonce la venue d’un homme. Et cet homme est vent, vantail, portail, un homme. C’est, bien entendu, Lam, le mort lui-même, métis de nègre et de chinois. Exagération poétique ? Non. Césaire fait pour Lam qu’il présente comme une sorte de loa, ce que les Haïtiens ont fait pour certains de leurs héros de l’Indépendance: le très historique général Dessalines[13], dont on connaît le lieu et la date de mort – 1806 – ainsi que ses faits, est devenu, comme on le sait, Papa Dessalines dans les houmfò haïtiens. Pour conclure avec ce poème, on pourrait affirmer que Césaire amorce ou revendique là un mouvement que la macumba brésilienne a mené à bonne fin lorsqu’elle crée les orishas/santos natifs du nouveau pays, les “boiadeiros”, les “indiens”, les “sertanejos”, les “caboclos” ou encore les “pretos velhos” etc.
Le poème “rabordaille” a eu une lecture sensible, de type biographique, faite par René Hénane dans un livre récent[14]. Je ne la conteste pas d’emblée, mais je crois que ce poème a une autre couche de signification à explorer, même si on accepte l’idée d’un poème à clés, avec identification de personnages. Il ne faut pas oublier: ce poème n’est pas isolé, il fait partie d’un tombeau complexe avec plusieurs pièces où se profile la figure d’Eshou. Il doit être lu dans un ensemble. Césaire prend comme introduction à son ensemble un texte de Lam sur les orishas à Cuba. La marraine l’avait mis sous la protection d’Yemanja, Shango, Ogoun-Ferraille, Olorun. Ainsi, je résiste sans doute à l’idée avancée par René Hénane d’identifier la “femme très belle /au corps de maïs aux cheveux de déluge” à l’artiste suédoise Lou Laurin. Wifredo Lam la connaît à Paris en 1954 et l’épouse en 1960. Pour deux raisons différentes: l’une, elle aussi biographique; l’autre, beaucoup plus importante, intrinsèque au texte.
Au moment de la rencontre des deux hommes, Césaire et Wifredo Lam, à Fort-de-France en 1941, c’était l’Allemande Helena Holzer qui accompagnait le peintre Cubain. Ils étaient ensemble depuis le bombardement de Barcelone en 1938. C’est Helena Holzer qui traduit en espagnol des passages du Cahier lorsque Lam, rentré à Cuba, peint sa Jungle. C’est encore Lam et Helena qui en 1946 partent en exploration en Haïti où ils rencontrent Mabille et Breton pour voir des cérémonies vaudoues. Ce sont les portraits d’Helena qui illustrent Fata Morgana au moment de sa sortie. Et Breton lui-même a dit: “Quels magnifiques dessins et quel hommage à Helena[15]. Dans le souvenir de Césaire, c’est sans aucun doute Helena celle qui fait partie de la rencontre et de la découverte des Amériques Noires. Dans l’excursion à la forêt d’Absalom en Martinique, ils étaient tous ensemble: Breton et Jacqueline Lamba, Lam et Helena, guidés par les martiniquais: Aimé et Suzanne Césaire, René Ménil.
Tout cela me fait douter de l’identité de la femme au corps de maïs, proposée par René Hénane pour le poème de Césaire. Enfin, au fond, peu importe la femme, Helena ou Lou. Il y a toujours une femme dans la poésie de Césaire à laquelle se réfère le héros ou le narrateur: c’est une figure idéale et le plus souvent presque mythique. Cette figure idéale est tantôt la Liberté ou l’Espérance qui hors-peur hèle le personnage ou le narrateur. Dans cet hommage à Lam, cette figure idéale n’est pas le portrait de telle ou telle femme pour aimée qu’elle ait été dans la vie de tous les jours.
D’ailleurs si l’on regarde attentivement le texte, le poète se réfère “au corps de maïs aux cheveux de déluge”. Le corps de maïs sort évidemment du Popol Vuh, le grand récit cosmogonique de l’Amérique précolombienne, mythe que reprend d’ailleurs Asturias dans son roman le plus célèbre: Los hombres de maíz. Césaire au fond est marqué, on le répète, par un type de cosmogonie à étapes ou par essais successifs: les hommes naissent, enfin, après une série de cosmogonies ratées, de la terre et d’une céréale, le maïs. La lecture de ses poèmes cosmogoniques le prouve. Césaire a fait plusieurs essais en particulier dans la première phase de sa poésie.
Relisons ce que dit le Larousse du maïs:

Maïs n.m. (esp. maíz, d’une langue haïtienne). Céréale de grande dimension, à tige généralement unique et très forte, à gros épi portant des grains en rangs serrés, cultivée dans le monde pour l’alimentation humaine (grains) et, surtout, animale. Genre Zea; famille des graminées.)
      
Sur l’importance du maïs dans toutes les Amériques, la bibliographie spécialisée est immense. Du point de vue littéraire, Asturias a diffusé, par son roman, l’idée que les hommes descendent du maïs, c’est-à-dire d’une culture de la terre. Du point de vue populaire, la consultation d’un dictionnaire du folklore comme celui, monumental, de Luís Câmara Cascudo pour l’aire brésilienne, apporterait un ensemble de faits documentés. Câmara Cascudo[16] écrit, après avoir fait un résumé des principales légendes sur le maïs (je traduis directement du portugais):

Du Mexique jusqu’au Paraná, le maïs s’articule avec les anciens cultes précolombiens, figurant dans des bas-reliefs, signe divin, personnalisé par la figure de Mama Sara, étant même une constellation (Saramanca –la feuille du maïs). Après le manioc, le complexe ethnographique du maïs est le plus vaste, avec une projection folklorique dans la cuisine traditionnelle.

Si l’on consulte une carte géographique, du Mexique au Paraná (fleuve du sud du Brésil avec son embouchure dans l’estuaire de La Plata), le maïs couvre au moins deux tiers de l’Amérique continentale.
Du point de vue populaire, faire des poupées avec des épis de maïs est une activité à la fois enfantine et sacrée[17]. Du point de vue culinaire, – la cuisine fait la médiation entre nature et culture: Lévi-Strauss nous l’a montré – le maïs entre dans la cuisine traditionnelle, quotidienne et sacrée des orishas.
 Tout cela renforce ma résistance à accepter une lecture simplement biographique de ce tombeau. La lecture de René Hénane se justifie du point de vue de la littérature occidentale: il identifie certains renvois, par exemple, “à l’échelle de soie contre un mur”, mais c’est le contexte américain enraciné qui est totalement absent de son interprétation. Ce qui est important dans cette image ce n’est pas l’amour entre deux adolescents à Vérone mais la clandestinité. Surtout l’articulation de ce poème avec un ensemble poétique, celui d’un tombeau multiple dédié à un métis américain, antillais, cubain. Car Lam est également métis du point de vue culturel, comme Césaire d’ailleurs.
Ce poème “rabordaille” est lié au fond à une double tradition américaine: l’une de la Méso-Amérique (le maïs, le Popol-Vuh, la Sara Mama[18] etc.) et l’autre des Amériques noires (la création de nouveaux orishas ou loas dans les cultes en liberté qui innovent par rapport à la tradition strictement africaine). Un certain vocabulaire reste évidemment “africain”: jeter des cauris, masque goli[19], hyène et vautour, baobab etc. Le trait d’humour final - “le temps n’était pas un gringo gringalet” – montre, s’il en était besoin, que Césaire y articule les “latinos” aux “noirs” d’Amérique.
Le poème “rabordaille” est encore important, car nous connaissons – l’exposition nous le montre – la première étape de ce poème écrit “in memoriam” avec un titre plus transparent “poète rabordaille”. Le catalogue note: “version sans doute composée peu après le décès de Wifredo Lam le 11 septembre 1982. Tapuscrit recueilli par Lilian Kesteloot et offert par elle en 2010 à la Bibliothèque Jacques Doucet” (p. 77).
La présence d’un tapuscrit permet d’analyser ce que les multiples versions du Cahier nous ont fait comprendre depuis longtemps: Césaire reprend ses textes, ses poèmes dans de multiples versions, il compose par blocs, il coupe et multiplie les ajouts.
Regardons les deux textes: celui qui a été publié par Seuil et la version précédente “in memoriam”. Quels en sont les changements ? Je mets côte à côte les deux poèmes pour mieux dégager les principales différences:
a) tout d’abord le titre: “poète rabordaille” (in memoriam) et “rabordaille”
b) l’incise entre parenthèses change: (le soleil était lisse sans écaille ni prétintaille) devient (on était très loin de la prétintaille[20] quinteuse[21] qu’on lui connaît depuis)
c) le passage central, la 2e strophe, s’allonge et se transforme: voyons tout d’abord la première version:

alors vint un homme qui claudiquait les mots
alors vint un homme qui mâchonnait des montagnes
alors vint un homme qui étendait les mains comme des alpages
histoire de faire brouter un nuage
alors vint un homme d’un apanage désespéré
alors vint un homme qui s’était longtemps tenu
entre l’hyène et le vautour
au pied d’un baobab

d) d’autre part, la division en strophes disparaît de la version imprimée et le passage central du poème devient:

alors vint un homme qui jetait les cauris
ses couleurs
et faisait revivre vive la flamme des palimpsestes
alors vint un homme dont la défense lisse
était un masque goli
et le verbe un poignard acéré
alors un homme vint qui s’élevait contre la nuit du temps
un homme stylet
un homme scalpel
un homme qui opérait des taies
c’était un homme qui s’était longtemps tenu
entre l’hyène et le vautour
au pied d’un baobab.

Essayons de voir rapidement ces trois changements:
 a) le titre se simplifie: l’identité peintre = tambour rabordaille s’efface de la surface du texte; elle se maintient de façon plus subtile, car les répétitions font de ce poème une sorte de poème tam-tam;
b) l’incise devient plus prosaïque, ce qui est assez courant chez Césaire, indice d’un rapport important entre l’écriture et une certaine oralité. D’ailleurs ce soleil quinteux est une des faces courantes du “pourrissement” du monde avant les grands changements: il se rattache au “sacré soleil” du début du Cahier ou encore au “au soleil qui toussote” du même poème;
c) la première présentation de Lam se rattachait à des thèmes courants chez Césaire mais plutôt négatifs: “claudiquer ses mots”, “mâchonner des montagnes”, “étendre ses mains comme des alpages[22]“, “apanage[23] désespéré”. Dans la version définitive, le poète met en scène de façon plus évidente le rôle divinatoire du peintre (“jeter les cauris” renvoie au jeu de l’Ifa), reprend le thème du palimpseste qui est celui de l’écriture sur d’autres écritures et le masque goli. Lam qui n’est jamais exprimé avec une parfaite aisance en français (il a toujours parlé espagnol avec Helena ou avec Picasso) et dont le symbole chez Alciat porte un bouchon sur la bouche, devient le porteur du Verbe, “poignard acéré”, “stylet”, “scalpel”. Le souvenir discret des textes évangéliques est encore là: “opérer des taies”, charrié d’ailleurs par le Cahier: “ma négritude n’est une taie sur l’œil mort de la terre”. Enfin de façon révélatrice, Césaire maintient la position de l’homme rabordaille entre deux charognards, l’hyène et le vautour, ceux qui vivent des morts et permettent la transmutation des valeurs. Lam devient un Africain mythique au pied de l’arbre, le baobab.
Sur l’importance de l’arbre dans la pensée de Césaire, inutile d’insister. Des débuts jusqu’aux derniers textes, c’est le schéma essentiel, le modèle même de vie.
Par contre, l’évocation de Lam entre deux charognards est à commenter. Animal à la fois charognard et nocturne, la hyène présente, d’après Dominique Zahan[24], une signification ambivalente tout en s’articulant avec le vautour. L’hyène se caractérise par sa voracité, par son odorat, entraînant les facultés de divination qu’on lui attribue, et par la puissance de ses mâchoires capables de broyer les os les plus durs. De ce fait elle constitue, en Afrique noire, une allégorie de la connaissance, du savoir, de la science. Mais en dépit de ses extraordinaires facultés d’assimilation, l’hyène est un animal terrestre et mortel, dont la sagesse et la connaissance sont purement matérielles. C’est en ce sens qu’elle s’oppose, en même temps qu’elle le complète, à un autre charognard, le vautour aérien et donc divin, dans la pensée des Bambaras. Hyène et vautour se tiennent à côté de Lam, cet homme au pied du baobab. Chez lui se conjuguent le savoir matériel, terrestre et le savoir spirituel, divin.
Le baobab est par excellence l’arbre africain: arbre mythique et chargé d’histoire, symbole de paix et de longévité. Le baobab est certainement l’arbre le plus célèbre d’Afrique et également le plus facilement reconnaissable. Arbre des régions tropicales d’Afrique, au tronc pouvant atteindre 25 m de circonférence et aux fruits comestibles. En effet le baobab n’est pas un arbre ordinaire, de par ses "mensurations" hors normes et la place qu’il occupe au cœur des cultures et croyances du Sahel. Il est également appelé "l'arbre magique", "l'arbre pharmacien", "l'arbre de la vie", "l’arbre à palabres", "l’arbre à l’envers" ou encore "l'arbre sens dessus dessous".
Considérons pour un moment l’eau-forte correspondant au poème “rabordaille”: c’est une danse sauvage de formes monstrueuses. L’explosion du mouvement correspond au déchaînement des tambours.

 Dans le huitième poème, “que l’on présente son cœur au soleil” (in La Poésie, p. 470) Césaire mélange de nouveau des mythologies diverses certes, mais enracinées en Amérique: le personnage populaire de la Bête des contes antillais s’unit à la cérémonie des cultes précolombiens d’offrir aux dieux le cœur sanglant et encore palpitant d’un homme. Nous y retrouvons le schéma obsédant de l’imaginaire césairien, celui de l’inversion de l’inversion:

Bête aux abois
Mort traquée par la mort
De son masque déchu elle s’arc-boute à son mufle

Le poème est un discours d’un vivant au mort qui défie encore la Mort; l’ouverture a un accent nettement épique: “la Bête a dû céder sur le sentier de ton dernier défi”. Dans ce combat du mort contre la Mort, la victoire sera de Lam s’il perdure dans la mémoire des hommes. Quelle meilleure façon de perdurer sinon par ses œuvres et par le souvenir de son ami ?
Pour vaincre encore: il suffit d’offrir “à la gourde des germes/ le sexe frais du temps /sur l’aube d’une main mendiante de fantômes”. On y retrouve l’idée de la chaîne des vivants et des morts et la réincarnation des morts dans les vivants. Lam répond au besoin collectif de réincarnation: les “fantômes” reviendront, non pas pour faire peur aux vivants, mais pour leur faire des dons. Les “fantômes” sont les germes de l’avenir (“le sexe frais du temps”, c’est-à-dire du printemps = primus tempus).
Comparant cette eau-forte à la précédente, le spectateur sent que la danse sauvage au son du tambour est remplacée par une scène beaucoup plus calme et hiératique. Les formes connues reviennent: le losange bleu, l’œuf, l’oiseau calao. Seul la figure de droite paraît exploser et en mouvement.

Le neuvième tombeau, “insolites bâtisseurs” (in La Poésie, p. 471), semble tout d’abord décrire un tableau de Lam, La Jungle. Mais attention: la reprise du mot “fantômes” le relie au poème précédent. Il faut surtout faire attention au conseil: “préserve la parole”. Regardant attentivement le texte très court, on n’y retrouve que des verbes à l’impératif: “préserve la parole”, “rends fragile l’apparence”,“capte aux décors le secret des racines”.
Le poème est composé de trois parties: dans la première, dans six versets, on énumère tout ce qui est négatif ou en train de mourir: “tant pis si la forêt”, “tant pis si l’avancée...”,“tant pis si le drapeau…”,“tant pis / tant pis, si l’eau…”); dans la seconde partie, s’accumulent les verbes à l’impératif; à la fin, en deux versets, apparaît le commentaire du narrateur ou si l’on veut du metteur en scène.
La vraie question est: qui parle ? Ce n’est pas le vivant qui s’adresse à l’ami mort. Là est l’énigme à résoudre, le secret à déchiffrer. Celui qui parle, ici, c’est le mort, c’est Lam lui-même qui dicte, pour les vivants, nous tous, ses conseils de vie et leur/nous apprend l’essentiel. En somme: le code à suivre. Les nouvelles tables de la loi. “La résistance ressuscite”: la résurrection de la vie dépend des vivants capables d’entendre et de suivre la leçon des morts. Certains morts (“fantômes”) sont “plus vrais que leur allure”. Ces fantômes sont les “insolites bâtisseurs” de l’avenir.
Dans l’eau-forte correspondante, la scène se passe sur ce fond rouge–doré que l’on connaissait déjà. Des mains orantes protègent la ténuité du double losange. Et un vévé  semble s’inscrire par terre. Un vévé est un symbole religieux qu’on dessine sur le sol avec de la craie, de la farine ou du marc de café: il représente un loa pendant un rituel. Il correspond au ponto riscado au Brésil.

LE DERNIER POEME: UN EPILOGUE ET ENCORE UNE EKPHRASIS | Le dixième tombeau, “nouvelle bonté” (in La Poésie, p. 472), reprend en quelque sorte le huitième et le neuvième tombeaux: l’espoir y pointe comme une aurore. Comme le premier poème de la série, il semble une ekphrasis. Ce visage serein de femme endormie aux longs cheveux et ce sein gorgé de lait est la figure symbolique du renouveau toujours possible du monde.
Parmi les neuf eaux-fortes de l’ensemble, c’est la seule où une forme et un visage apaisés se montrent. Dans la fureur et l’épouvante, une “ nouvelle bonté” est possible.

UN REGARD SUR L’ENSEMBLE POETIQUE DEDIE A WIFREDO LAM | N’importe qui, avec quelque connaissance des cultes afro-américains, décrivant ce tombeau multiple dirait que, dans les cinq premiers poèmes, c’est plutôt un initié du candomblé ou du lucumi qui parle, soucieux d’orthodoxie, de détails précis, cherchant à chanter selon les règles d’un rituel, essayant consciemment de renouer en profondeur avec l’Afrique (c’est le cas du poème nº 4 qui récite et glose un récit cosmogonique Bambara le faisant entrer, il est vrai, dans un cycle de genèses successives). Le personnage central est Eshou, avec deux poèmes: le deuxième et le troisième, ou encore l’homme des feuilles, c’est-à-dire le Maître de la forêt, Ossain.
Dans les cinq derniers poèmes, Césaire se rapproche plutôt du “santero”, du “vaudouisant” ou du “macumbeiro”: en toute liberté et sans aucun complexe, il bat son “batouque”, mélange les dieux et métisse allègrement les mythologies, comme un vrai anthropophage heureux[25]. Dans ces cinq derniers poèmes, le poète annonce la bonne nouvelle, la venue d’un homme et une aube. Dans la dernière eau-forte, un visage apaisé et endormi de femme paraît une promesse d’espoir.
Revenons enfin à Eshou. Il n’est pas simplement un “diable nègre”. Césaire l’a écrit, certes, dans une didascalie dans une pièce de théâtre, pour faire vite et pour donner une explication rapide aux metteurs en scène d’Une Tempête. Au fond, Eshou n’est pas un dieu, ni un diable nègre, ni même un orisha à vrai dire: on le présente souvent comme orisha pour faire vite, pour parler/expliquer aux non-initiés. Ceux qui le connaissent, le savent. Il est plus qu’un orisha et moins qu’un orisha. Il est le premier-né, l’aîné, toujours salué le premier d’ailleurs. En réalité, Césaire connaît et fort bien Eshou, car des passages d’Une tempête sont des transcriptions littérales, - ipsis litteris -, d’orikis, pris dans un volume sur les Textes sacrés d’Afrique. De la même façon, une des récades du Roi Christophe est la transcription littérale de la formule lapidaire d’une récade exposée jadis au Musée de l’Homme à Paris. Il suffit de comparer les textes.
D’autre part, Césaire a lu Frobenius, Roger Bastide et Jahn Jahneinz; il a rencontré en 1941 Lévi-Strauss dont il accompagne avec attention l’œuvre; il a connu Price-Mars et Alfred Métraux; il était l’ami de Lam, le filleul de Mantonica Wilson; son Cahier a été traduit par Lydia Cabrera, la grande spécialiste de la santería cubaine; parti en 1944 pour Haïti avec sa femme Suzanne pour un séjour de plus de six mois, il y a vu des cérémonies vaudoues, comme il est allé voir, presque vingt ans plus tard, en 1963, des cérémonies de candomblé et de macumba au Brésil, à Salvador et à Rio, accompagné d’un ethnologue béninois, Alexandre Adandé; un de ses poèmes s’intitule “Lettre de Bahia-de-tous-les-saints”, un autre s’appelle “Batouque”; il était très lié à Michel Leiris, ethnologue et anthropologue, parrain d’une de ses filles; il a feuilleté les albums de photos d’initiés de Pierre Fatumbi Verger: il sait de science certaine qu’Eshou est le médiateur, celui qui change le monde et le met en mouvement, qui dialectise le réel, qui provoque des courts-circuits de la pensée. Face au monde qui vivote en rond selon un ordre de plus en plus figé ou injuste, Eshou sème le désordre; devant le désordre ou le chaos où se perdent les hommes, il instaure un nouvel ordre. Et les poèmes césairiens l’expriment. Dans ce sens le tombeau de Lam, dans le recueil moi, laminaire…, est une Annonciation, non chrétienne certes, mais une Annonciation.
Lorsque Césaire compare son ami mort Wifredo à Ossain et à Eshou, il est en train de le saluer en tant que celui qui connaît les mystères de la forêt et surtout comme celui qui jette des ponts entre nature et culture, entre cultures, entre culture populaire et culture savante, entre le monde visible et invisible, entre le passé, le présent et l’avenir. Il touche même à la sacralisation du mort, car il revient, parmi nous, comme un nouveau loa.
Césaire a écrit un poème à la mort d’un autre caribéen, Saint-John Perse, né en Guadeloupe et béké par sa famille. Dans ce tombeau intitulé “cérémonie vaudou pour Saint-John Perse” qui fait partie également du recueil moi, laminaire…, Césaire révèle son admiration profonde par l’appropriation du langage de l’Autre, certes, mais aussi un certain ton (caché) de persiflage, sinon ironique du moins critique, dans le jeu, ô combien savant des “têtes insonores”/ “têtes décebales”. En d’autres termes: dans l’éloge, il perce à qui sait l’entendre, une distance critique. Par contre, l’ensemble dédié à Lam, beaucoup plus qu’un tombeau, est une cérémonie entière chantant la vie. Les deux amis – Lam et Césaire – sont à l’unisson du point de vue imaginaire et poétique: ils puisent tous les deux dans leur terre, les îles.
Reste encore le problème des rapports entre image et texte, entre gravure et poème. Pour nous, seuls le premier et sans doute le dernier poème sont des illustrations – je ne dirais pas la description – des eaux-fortes. Ils s’approchent du genre métalinguistique par excellence, l’ekphrasis. Dans les autres poèmes, Césaire met en scène sa mythologique personnelle où le schéma de la double inversion est toujours présent. Cette mythologie personnelle s’inspire librement, insolemment de tout ce que le poète a lu le long de sa vie, de tout ce qu’il a rêvé.
Lam, en 1951, essayant d’exprimer le sens de ses toiles écrit ceci:

J’ai peint des tableaux pleins d’amour et d’autres qui, bien qu’ils n’en soient pas dépourvus, sont de véritables drames […] Ici des êtres dans leur passage de l’état végétal à celui de l’animal et encore chargés de vestiges de la forêt. Des couteaux deviennent à leur tout des êtres vigilants, inquiets, prêts à ouvrir des blessures mortelles. Des ailes d’évasion, des présages d’oiseaux en plein vol effleurant nos yeux en contemplation de leur fuite, de leur exode, comme des langues de feu dans l’infini anxieux. La stridence des lignes, les unes fines et blanches, les autres illuminées de tons très vifs […] Là des formes et des silhouettes absorbées à secouer la mort sur les seins qui nourrissent et donnent vie. Des flèches en fuite rapide qui laissent derrière elles les parfums de leurs primitives essences… [26]

C’est ainsi que Lam, en 1951, décrit son univers, un monde qui surgit du sol de son enfance cubaine. Son inspiration – Anne Egger le note avec finesse – est tout entière tournée vers la poésie. S’il faut chercher une ekphrasis de cette série de gravures, elle est là, dans les mots, non pas du poète Césaire mais du peintre lui-même, trente ans avant la création des ces eaux-fortes. D’où, deux conclusions possibles: a) d’une part, l’extraordinaire cohérence de cette peinture à partir du moment où le peintre a trouvé sa voie; b) les deux sources de cette peinture sont dans la poésie et le songe. “Naturellement, il ne s’agit que de poésie, […] car je vis et je produis dans la rêverie[27].
Mais la poésie n’est pas une fuite au monde, un refuge. Césaire nous le dit, en 1945, juste après son séjour en Haïti, dans le texte le plus important qu’il a écrit sur la poésie et qui sera publié dans Tropiques, “Poésie et connaissance”:

Le poète est cet être très vieux et très neuf, très complexe et très simple qui aux confins vécus du rêve et du réel, du jour et de la nuit, entre absence et présence, cherche et reçoit dans le déclenchement soudain des cataclysmes intérieurs le mot de passe de la connivence et de la puissance. (Tropiques, nº 12, janvier 1945, p. 170)

Cette conception de poésie et de peinture permet au poète et au peintre de rester alertes, d’avoir une attitude attentive à l’entour, tout au long d’une existence itinérante. Éthique et esthétique ne s’opposent guère. Césaire écrit sur Lam:

Wifredo Lam le premier aux Antilles a su saluer la Liberté. Et c’est libre de tout scrupule esthétique, libre de tout réalisme, libre de tout souci de commentaire que Wifredo Lam tient, magnifique, le grand rendez-vous terrible: avec la forêt, le marais, le monstre, la nuit, les graines volantes, la pluie, la liane, le serpent, la peur, le bond, la vie.[28]

UN DERNIER REGARD SUR LA SERIE “ANNONCIATION”, DE LAM | Ces gravures associent deux techniques: ce sont des eaux-fortes et des aquatintes. On trouve, dans le catalogue de cette exposition, quelque part, le mot lithogravures. Il faudrait le corriger. Les matrices de ces gravures ne sont pas des pierres (litho en grec) mais des plaques en métal.
Décrivons rapidement les procédés techniques de l’eau-forte et de l’aquatinte.
L'eau-forte est une gravure en creux, indirecte: cela veut dire que la matrice (normalement une plaque en cuivre) est creusée chimiquement. L’artiste dessine, sur une plaque en cuivre recouverte de vernis, à l'aide d'une pointe métallique qui met le métal à nu mais ne l'atteint pas. La plaque est plongée ensuite dans l'acide (d'où le nom eau-forte) et le métal non protégé est mordu. La profondeur de la morsure depend du temps dans l’acide. A la fin, l'artiste enlève le vernis, puis il encre sa plaque comme pour la gravure directe, pour l’imprimer.
L'aquafortiste trace avec aisance et souplesse dans le vernis, à la manière d'un dessinateur, son trait est spontané. On dit souvent que l’eau-forte c’est “la gravure des peintres”, car elle ne nécessite pas de grandes connaissances techniques. Par contre, c’est le cas de la xylogravure ou de la lithogravure, le bois ou la pierre posant des problèmes techniques importants dans le travail de la matrice.
La taille de l’eau-forte se caractérise par des bords légèrement irréguliers, dus à l'effervescence de l'acide. L'épaisseur du trait est modulée en fonction du calibre des pointes et du temps de morsure. L'eau-forte permet des effets très nuancés. Elle est souvent associée à l'aquatinte, à la pointe sèche, au burin etc.
Pour l’aquatinte, l’artiste saupoudre la même plaque de grains de résine, de façon plus ou moins dense. La plaque est ensuite chauffée, la résine y adhère, puis les grains durcissent et forment autant de petits points résistants. Le métal est creusé à l'acide autour de ces grains. Il faut renouveler plusieurs fois l'opération et superposer les taches. Ce procédé est généralement associé à l'eau-forte, un vernis protégeant les parties non grainées. L'aquatinte permet d'obtenir des masses aux valeurs nuancées, à la manière d'un lavis.
Travailler la plaque est le travail de l’artiste proprement dit. Imprimer la plaque, celui de l’imprimeur à partir des couleurs que choisit l’artiste. Dans certains cas, mais pas toujours, l’artiste travaille la plaque et l’imprime.
Tous les critiques de ces gravures mettent en relief leur rapport, voire leur parenté, avec la toile La Jungle, mais un trait y est constant: la forêt est absente de cet ensemble et les personages paraissent se mouvoir sur un sol neutre et abstrait.

EN GUISE DE CONCLUSION OUVERTE | C’est Wifredo Lam qui demande à son ami Césaire de donner des titres aux gravures d’une série qu’il tient à nommer “Annonciation”. Césaire compose alors pour les neuf gravures, dix poèmes plus une sorte d’introduction, née des conversations entre les deux créateurs amis. C’est ainsi que Lam y est associé à une figure tutélaire de sa jeunesse, sa marraine, prêtresse de la santería, capable d’invoquer les orishas. C’est ainsi également qu’apparaît le poème sans gravure: “Conversation avec Mantonica Wilson” où trône déjà Eshou, le go-between par excellence. Avant que l’ensemble poétique soit terminé et publié, le peintre meurt. Et les poèmes débouchent sur quelque chose d’inattendu: un tombeau, le plus complexe de tous, dans l’œuvre du poète Aimé Césaire.
Nous avons essayé tout au long de notre analyse de démarquer d’un point de vue critique les topos iconographiques et textuels qui sont mis en jeu: espaces et techniques, thèmes et traditions. Dialogue entre image et texte, création plastique et littérature, gravures et ekphrasis ou tombeaux.
Les discours funèbres consolident d’une certaine manière la logique de l’identité surtout lorsque Césaire reprend et développe la perspective classique de l’amitié. Ainsi tout chant funèbre incorpore l’autre dans la subjectivité de celui qui lui rend un hommage posthume.
Nous avons pu distinguer néanmoins deux types de tombeaux fort différents: celui qui s’adresse à des inconnus, modèles ou héros; celui qui s’adresse aux amis.
Parmi ceux-ci, il y a de très belles réussites poétiques qui reprennent des thèmes importants de l’œuvre césairienne. Un vrai dialogue s’installe entre la poétique de l’orateur funèbre et la poétique du mort auquel s’adresse l’hommage. Tel est le cas des poètes et écrivains comme Damas, Asturias, Alioune Diop, Perse.
Avec le peintre Lam, le dialogue se fait de manière différente, grâce à la mise en scène des cultes afro-américains (candomblé ou lucumi; vaudou, santería ou macumba, umbanda).
Nous séparons le candomblé et le lucumi du vaudou, ou de la macumba: les premiers sont soucieux des textes, des rites et des formules codées (voire des essais d’anthropologues au besoin: on y parle une langue portant la marque du sacré); le vaudou et la macumba, l’umbanda sont plutôt du côté de la liberté enracinée (on y parle la langue de tous les jours, transfigurée par le rythme, par la danse et par le chant). Dans ce tombeau complexe, - nous le répétons -, les cinq premiers poèmes tendent vers l’orthodoxie; les cinq derniers, vers le syncrétisme le plus radical et l’enracinement. Nous y retrouvons une dialectique toujours présente dans les Amériques noires: retourner au pays d’antan, rendu mythique (l’Afrique des ancêtres) ou s’enraciner dans un nouvel espace. La réponse de Césaire ne fait pas de doute: dans sa vieillesse, il prône de plus en plus l’enracinement. Sa négritude n’est pas un essentialisme.
Mais élargissons le débat. Essayons de placer cet ensemble dédié à Lam dans la poétique césairienne. En gros: Césaire, dans ses tombeaux, dialogue avec des intellectuels et des poètes, avec des héros. Ici, il dialogue avec un peintre devenu graveur utilisant la technique de l’eau-forte associée à l’aquatinte.
Le modèle le plus achevé de tombeau à un héros est celui de Toussaint Louverture dans le Cahier d’un retour au pays natal: on y fait allusion, sous mots couverts, à un médiateur en passe de devenir surhumain. De même que Dessalines, dans le vaudou, est devenu un loa puissant (Papa Dessalines), le narrateur du Cahier espère que le sacrifice de Toussaint sauve les Amériques noires et que la “splendeur de ce sang” un jour éclate. Par là, Toussaint rejoint la figure du médiateur mais aussi de l’agnus sacrifié, mais sauveur peut-être. Reste enfin ce nom prédestiné: Toussaint = tous les Saints, Louverture = celui qui est ouverture. Si les noms ont une force, - et ils en ont -, quel meilleur médiateur ? Qu’est-ce en réalité un orisha sinon un ancêtre devenu médiateur, moyen d’avoir accès au Dieu suprême ou à la vie dans toute sa plénitude ? Or le tombeau complexe à Wifredo Lam insinue la même idée et celui qui est honoré est un artiste peintre. Il exprime une réalité, un univers métis et nouveau (personnel et collectif) et il se passe de mots.
Reste au public (lecteurs et spectateurs) d’accepter ces deux voix/voies, celle du héros, celle de l’artiste, tous les deux des Américains de l’Autre Amérique.


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Agulha Revista de Cultura
Número 115 | Julho de 2018
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[1] Les Amériques noires: les civilisations africaines dans le Nouveau Monde, Paris, L’Harmattan, 1967 et également Le candomblé de Bahia: rite nago. Paris, Mouton & Co., 1958; Les Religions Africaines du Brésil, Paris, PUF, 1960.
[2] BOLÍVAR ARÓSTEGUI, Natalia. Los orishas en Cuba. La Habana, Ediciones Unión, 1990.
[3] Sur le dialogue entre les deux écrivains et poètes, un texte bien informé et sensible offre une première synthèse de la question: le grand spécialiste de Breton, Jean-Claude Blachère, analyse les rapports entre Breton et Césaire. Voir en particulier “Breton et Césaire: flux et reflux d’une amitié”, in Aimé Césaire, nº spécial de la Revue Europe, nº 832-833. Paris, septembre 1998, p. 146-159.
[4] Voir, à ce sujet, dans le livre déjà cité, les chapitres “Encore des interventions d’Eshou” et “La réécriture de l’oralité traditionnelle: une poétique américaine”.
[5] Voir, à ce sujet, les chapitres “Encore des interventions d’Eshou” et “La réécriture de l’oralité traditionnelle: une poétique américaine”.
[6] Cf. ZAHAN, Dominique. Sociétés d’initiation Bambara, Le N’Domo, le Kore. Paris-La Haye, 1960.
[7] DIETERLEN, Germaine. Essai sur la religion des Bambaras. Paris, 1951.
[8] C’est en Afrique que Pierre Verger va vivre sa renaissance, recevant, en 1953, le nom de Fatumbi, “né de l’Ifá”. Il devient finalement babalaô, devin dans le jeu d’Ifá, accédant ainsi au coeur des traditions orales Yorouba. Césaire l’a rencontré à Bahia dans les années 60: il faudrait approfondir l’étude des rapports entre les deux hommes. Outre l’initiation religieuse, Verger commence à la même époque une nouvelle carrière, celle de chercheur. L’Institut Français d’Afrique Noire (IFAN), dirigé par Théodore Monod, ne se contente pas des deux mille négatifs qu’il présente comme résultat de sa recherche et sollicite de sa part un récit détaillé de ce qu’il a vu au cours de son périple africain. Il accepte, bon gré mal gré, et publie, en 1957, Notes sur le culte des orishas et voduns. Il pénètre ainsi, sans vraiment le vouloir, dans l’univers de la recherche scientifique, univers qui va le passionner et qu’il ne quittera plus. Bien qu’ayant trouvé une voie précise - l’histoire, les coutumes et principalement la religion des peuples Yorouba en Afrique Occidentale et de leurs descendants à Bahia -, Verger reste avant tout un nomade. Il devient le messager entre ces deux mondes, acheminant informations, messages, objets rituels et présents. En tant que collaborateur et chercheur invité de diverses universités, il divulgue ses recherches en donnant de nombreuses communications et en publiant livres et articles. En 1960, il achète une petite maison à Salvador, dans le quartier Vila América. À la fin des années 1970, il abandonne la photographie et effectue ses derniers voyages de recherche en Afrique. Dans les années 1980, la maison d’édition Corrupio publie les premiers ouvrages de Verger au Brésil. Au cours des dernières années de sa vie, sa principale préoccupation devint la mise à disposition de ses recherches à un vaste public et la préservation de ses d’archives. C’est pour cette raison qu’il crée, en 1988, la Fondation Pierre Verger (FPV), dont il est le donateur et président, et engage ainsi l’aménagement de sa maison en centre de recherches. Il décède le 11 février 1996, laissant à la Fondation la tâche de poursuivre son travail. Pierre Verger était fils d’Omoulou et une très belle toile de cet orisha, peinte par Carybé, était suspendue dans sa petite salle.
[9] Anabase (“l’ascension, la montée dans le Haut Pays ”) est l’œuvre la plus célèbre de l’Athénien Xénophon. L’Anabase est riche de descriptions de populations locales, parfois aussi hostiles aux Grecs qu’aux Perses, de combats difficiles, de rapports humains conflictuels. Surtout, cet épisode célèbre stigmatise la faiblesse de l’empire perse, ce qu’Agésilas II et plus tard Alexandre le Grand n’oublieront pas.
[10] Voir également dans la troisième partie de ce volume, d’autres précisions sur le syntagme “ tête d’hippotrague”.
[11] Extraits du livre Bahia de Todos os Santos, guia de ruas e mistérios. La traduction en portugais du texte serait la suivante:
Celui qui garde les chemins de la ville de Salvador de Bahia est Eshou, orisha des plus importants dans la liturgie du candomblé, orisha du mouvement, confondu souvent avec le diable dans le syncrétisme avec le catholicisme, car il est plein de malice et provocation, ne sait se tenir, aimant la confusion et les mauvais tours. Au carrefour de tous les chemins, caché dans le clair-obscur de l’aurore ou du crépuscule, au pipiri du jour, entre chien et loup, dans le noir de la nuit, Eshou garde sa ville bien-aimée. Malheur à celui qui débarque ici avec de mauvaises intentions, la haine ou l’envie au cœur, ou à celui qui vient ici mené par la violence ou l’acrimonie: le peuple de cette ville est doux et cordial et Eshou ferme ses chemins à l’homme faux et au pervers. [...]
Il aime le bruit, le maître des chemins, le messager des dieux, l’envoyé des orishas, le malin. Pour tout cela on l’a syncrétisé avec le diable: en vérité il n’est que l’orisha en mouvement, l’ami des farces, de la confusion, mais, au fond, un bon diable. D’une certaine manière il est le Non là où il n’existe que le Oui; le Contre au milieu du Pour: l’intrépide et l’invincible.
[12] L’espace d’un cillement. Paris, Gallimard, 1959, p. 21.
[13] Jean-Jacques Dessalines (Guinée avant 1758 – Jacmel 1806), empereur d’Haïti. Esclave noir, lieutenant de Toussaint Louverture, il proclama l’indépendance d’Haïti et prit le titre d’empereur (1804), sous le nom de Jacques Ier. Il meurt assassiné.
[14] In Les jardins d’Aimé Césaire. Harmattan, 2003, p. 226-230.
[15] Cf. Armando Álvarez Bravo, in Lam: homenaje por su centenario, 2002.
[16] CÂMARA CASCUDO, Luís. Dicionário do folclore brasileiro. 10ª edição. Ediouro, 1998, p. 578.
[17] L’un des classiques pour enfants en langue portugaise, le cycle des romans de Monteiro Lobato sur O Sítio do Picapau amarelo , a un personnage savant, le Visconde de Sabugosa (littéralement le Vicomte de Sabugosa), né d’un épi de maïs: il a été fabriqué comme Pinocchio et a pris vie.
[18] C’est la Mère du Maïs ou de l’aliment, la papa. Mama Sara était liée à Pacha Mama, qu’on appelait également la Terre Mère, garant de la fertilité des champs
[19] Le Goli est un masque heaume en forme de tête de buffle. Il ne sort que pour les grandes occasions. Le Goli est le fils de Nyamien, le Dieu du ciel: il est aussi le père de Kplé-Kplé. Le Goli est une divinité protectrice (il fait partie des Amouins, les grands masques Baoulé).
[20] Ce mot possède plusieurs sens: dérive du normand pertintaille, ornement de robe – style pertintaillé: style surchargé d’ornements, souvent de mauvais goût. Autrefois, la prétintaille désignait les petits accessoires superflus “cette charge lui coûté cent mille francs, sans compter la prétintaille” (Bescherelle). 
[21] Plusieurs sens, dont deux sont importants: 1. Fantasque, qui est sujet à des quintes, à des fantaisies, à des caprices. 2.En médecine: qui se produit par quintes (groupement de secousses successives et répétées.
[22] Alpage. N.m. Pâturage d’été, en haute montagne. SYN.: alpe.
[23] Apanage. N.m. (du lat. apanare, donner du pain, nourrir). Litt. Etre l’apanage de: appartenir en propre à, de droit ou naturellement. – Avoir l’apanage de: l’exclusivité. – HIST. Portion du domaine royal dévolue aux frères ou aux fils puînés du roi jusqu’à l’extinction de sa lignée mâle.
[24] ZAHAN, Dominique. Sociétés d’initiation bambara. Le N’Domo, le Koré. Paris- La Haye, 1960.
[25] On emploie évidemment le mot au sens qui lui attribue Oswald de Andrade. Voir notre “ Défense et illustration de l’anthropophagie”, in Césaire 70. Organisation Ngal et Steins. Paris, Silex Editions, 1984, p. 123-139. Dans ce cas, on distingue anthropophagie (dévoration rituelle de ce que l’on admire) et cannibalisme (prédateur et brutal).
[26] Texte cité par Anne Egger dans le catalogue Césaire &Lam. Insolites bâtisseurs. Grand Palais-HC Éditions, 2011, p. 52.
[27] Ibid., p. 92.
[28] Catalogue Césaire & Lam. Insolites bâtisseurs, p. 95.

Um comentário:

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