Partons de notre titre, plus
précisément des deux prépositions “sur” et “avec” et de notre sous-titre. Celui-ci reprend ce mot-énigme
diabase que les plus importants
glossaires sur Césaire expliquent de la même manière, sans doute à
contre-sens ou encore insuffisamment.
Le
mot dialogue, on le connaît, bien entendu, il vient du lat. dialogus qui signifie “écrit philosophique à la manière des dialogues
de Platon”,
provenant lui-même du grec dialogos “discussion”, composé de dia
(“au travers”) et logos (“parole”). Donc: échanges avec des paroles.
Le plan de ce petit texte est très simple: il abordera
le dialogue de Suzanne Roussi sur
Césaire avec un interlocuteur précis et ensuite le dialogue de ses textes avec les textes de son mari. Le dialogue
de Suzanne enfin est diabase et ce
mot mystérieux doit être lu comme jeu étymologique et non pas comme l’indiquent
les glossaires ou lexiques sur la langue de Césaire. [1] Pour le comprendre, partons d’un mot, absent de son œuvre: catabase.
Le
mot ne se trouve pas chez le poète. Il forme en réalité une paire oppositive
avec anabase, celui-ci figurant, lui,
dans les lexiques publiés sur Césaire avec des explications correctes du moins en
partie mais qui peuvent rendre au fond encore plus opaque le passage où il
s’insère, comme par exemple, le petit poème “passages” de moi,
laminaire… Ce poème fait partie du tombeau de Wifredo Lam, le peintre et
grand ami rencontré en 1941 et disparu en 1982. Rappelons-le:
passages
(la
nécessité de la spéciation
n’étant
acceptée que dans la mesure où elle légitime les plus audacieuses
transgressions)
passer
dit-il
et
que dure chaque meurtrissure
passer
mais
ne pas dépasser les mémoires vivantes
passer
(penser
est trop rapide)
de
tout paysage garder intense la transe
du
passage
passer
anabase
et diabase
déjà
se
dégage du fouillis au loin
tribulation
d’un volcan
la
halte d’une vive termitière (in La Poésie,
Seuil, p. 467)
Partons du mot absent. Catabase
(du grec ancien katábasis, “descente, action de descendre”) est un
motif récurrent des épopées grecques: c’est la descente du héros dans le monde souterrain, les Enfers. C'est l'une des épreuves de qualification les plus décisives de la
formation du héros épique mais aussi de l'initiation. D’une certaine manière,
plusieurs poèmes césairiens, dont le Cahier,
présentent une catabase lorsque le
narrateur descend au fond de l’abîme intérieur et accepte en toute humilité le
passé d’esclave de sa race.
Une catabase est la descente effectuée de
plein gré par un homme vivant dans le
royaume des morts, l'Hadès... La pleine signification d'une telle intrusion
dans l'altérité est inféodée à la possibilité d'en accomplir le mouvement
inverse: remonter des Enfers afin de
rapporter aux hommes une vérité sur l'invisible. Ce départ de l'Hadès, retour
d'une vie absente dans la présence, est l'anabase
(ascension), terme d'une victoire sur la mort. [4]
La fin ouverte du Cahier comporte une extraordinaire anabase (“monte, monte, monte…”)
et annonce une nouvelle catabase
foudroyante pour “pêcher la langue
maléfique de la nuit dans son immobile verrition!”. La plus connue et célèbre des catabases est évidemment celle d’Orphée à la recherche d’Eurydice
morte. Mais il y en a d’autres également importantes comme, par exemple, celle de la fin du poème d’Arioste, L’Orlando
furioso (1532), lorsque Prêtre Jehan (en italien Prete Gianni) est sauvé par Astolfo (Chant XXXIV). Prêtre Jehan (ou
Senapo), condamné pour son hybris et
puni par les Harpies qui l’empêchent de toucher des aliments, est enfin
pardonné et pourra dépasser l’horrible châtiment de la faim permanente. Il s’élève vers les cieux sur un cheval
ailé. Ainsi pour Astolfo et Prete Gianni: catabase
suivie d’une anabase.
La notion
complémentaire de catabase est anabase (“en haut”, “base”: montée de l'esprit). L'anabase
est l'ascension de l'esprit soit imaginaire (ex.: tantrisme), soit rituelle
(ex.: ascension d'une montagne sacrée), soit spirituelle (ex.: Mahomet, Coran,
LIII, 8), soit vers les cieux (Mésopotamie, hermétisme, gnosticisme), soit vers
le paradis terrestre ou céleste, soit au Royaume de Dieu, soit dans le monde
céleste; et cette ascension a une signification ou initiatique ou chamanique ou
cathartique, purificatrice. [5]
Le poème de Saint-John
Perse Anabase [6] fut composé après avoir réalisé lui-même son anabase pendant une expédition au désert de Gobi (1921-1922). Les
glossaires sur la langue de Césaire ne devraient pas ignorer cette
intertextualité proprement “caribéenne”.
Césaire est
parfaitement conscient de cette articulation entre anabase et catabase (ce
dernier mot n’apparaît pas dans son œuvre, on le répète, mais l’opposition est évidente) lorsqu’il emploie, dans
un sens très particulier, diabase. Ce
mot ne peut pas être lu comme le Glossaire et le Lexique indiquent: “Roche magnétique de composition basaltique”.
Dans ce cas précis, diabase c’est
“passer à travers”. C’est le sens étymologique qui prévaut. Au double mouvement
des poèmes épiques chez les Grecs et les Modernes de descente et d’ascension,
autrement dit: de remonter à la lumière après un plongeon dans les ténèbres,
Césaire répond, dans ce petit poème intitulé “passages” (le titre est
révélateur), tel un trisckter, “je passe à travers”. A travers
quoi ? A la fois, à travers les ténèbres et la lumière, le bas et le haut,
le volcan et la termitière, le grand et le petit. Pour un lecteur connaissant
les Amériques noires, passer à travers c’est le fait d’Eshou, celui dont la
fonction est de court-circuiter les sens. [7] Césaire le sait, lui qui citera
dans Une tempête, un oriki d’Eshou: “Eshou ! la pierre qu’il a
lancée hier/ C’est aujourd’hui qu’elle tue l’oiseau”. [8] Enfin, le dépassement des contraires et des oppositions rejoint le
projet ultime des surréalistes.
Suzanne
fait plus que citer Aimé dans ses textes avec de courtes épigraphes ou des clôtures
parsemées ici ou là, elle suscite et commente, annonce et éclaire. Comme
souvent les héroïnes des pièces théâtrales de Césaire, - Mme Christophe et
surtout Pauline, par exemple -, elle voit souvent plus loin, elle pré-voit.
C’est elle qui définit le rôle du Surréalisme dans la production césairienne et
de tous ces jeunes poètes de Tropiques.
Dans au moins un cas très précis, elle nous aide à comprendre, illuminant une
scène “primitive ou originaire” d’une autre
lumière. Cette scène est une promenade
dans une forêt.
Après
ces brèves considérations, notre plan paraît évident et coule de source. Nous
aborderons successivement: a) le dialogue de Suzanne avec un traducteur
allemand sur l’œuvre de Césaire, b)
son dialogue avec l’œuvre de Césaire
et c) on essaiera de montrer enfin comment son dialogue est diabase, car elle passe à travers
l’œuvre, l’éclairant.
Une lettre
privée, faisant partie des archives de Jahn et transcrite dans le livre récent
de Ernstpeter Ruhe, nous donne un aperçu émouvant de l’intellectuelle, de la
mère de famille et de la femme du poète. Cette lettre date de février 1962.
Je
reprends le livre très récent de mon collègue Ernstpeter Ruhe, Une œuvre mobile, [9] qu’il m’a permis de lire
avant même sa sortie. Ruhe apporte des renseignements précieux et inédits sur
l’activité de Suzanne même alors qu’elle ne publie plus. Ouvrons son livre,
p. 124 -125. Jahn qui essaie de traduire
le Cahier en allemand, écrit au poète
en lui demandant des éclaircissements sur un certain nombre de passages qu’il
peine à comprendre. Césaire, pris entre la France et la Martinique par ses
différentes activités, tarde à répondre. Jahn téléphone alors et écrit à
Suzanne. Celle-ci téléphone à son mari à Fort-de-France. Mais citons le texte
de Ruhe et la réponse de Suzanne:
La
réponse de Suzanne Césaire doit être citée en entier, car elle est une pièce
précieuse à verser au dossier d’une personne brillante qui, malgré son rôle
très actif dans la revue Tropiques
pendant la guerre, est restée bien trop longtemps dans l’ombre de son mari.
Grâce au livre récent de Daniel Maximin qui publie ses “Ecrits de dissidence (1941 – 1945)” elle a reçu
enfin l’hommage qui lui était dû. Le titre de Suzanne Césaire: le grand camouflage, si justement choisi par
Maximin, cite le titre du dernier article de Suzanne Césaire, titre combien
prémonitoire.
Voilà
le commentaire de Ruhe. Voici la lettre de Suzanne à Jahn, du 25 février 1962:
Cher
ami,
Je
m’excuse de vous avoir fait attendre, mais je devais parler à Aimé au téléphone
et je voulais lui soumettre votre demande d’explication. Malheureusement
l’audition était mauvaise et il n’a pu rien me dire de précis. Je vous propose
donc, avec une certaine crainte de me tromper ceci:
1º)
“lunes rousses, feux
verts, fièvres jaunes” [strophe 37, 26] sont liés et le vers évoque
pour moi comme une débâcle des structures des pays européens, symbolisés par
les feux de signalisation aux carrefours des grandes villes.
“le grand défi,
l’impulsion satanique” sont l’œuvre des nègres, soit qu’ils se
battent, par exemple, dans une guerre anticolonialiste, soit que le génie des
nègres corrompe les rythmes européens comme on le voit à ce déchaînement
grotesque des jeunes gens des grandes villes qui aspirent à recréer la frénésie
rituelle des danses africaines (style
twist!)
2º)
“votre fin» [strophe
87, 8]
c’est,
je crois, dans le sens de destruction (revoir à la page 26, éd.
1956: “Au bout du petit
matin…., il ne restera plus qu’un bouillonnement tiède picoré d’oiseaux marins”.
A
la fin de sa lettre, Suzanne ajoute:
Je
ne suis pas satisfaite de ces notes maladroites. Je ne suis pas très à mon aise
dans l’interprétation des poèmes d’Aimé, surtout de celui-là qui a si
profondément marqué ma jeunesse.
Tout
a terriblement changé depuis. Heureusement, Cahier d’un retour reste, impérissable, et je vous remercie de
m’avoir donné l’occasion de le relire, quoique je l’aie fait un nombre
incalculable de fois. Merci de le traduire et bravo pour tout le magnifique
travail auquel vous vous donnez.
Bien
amicalement, S. Césaire.
Ernstpeter
Ruhe commente:
Jahn
ne pouvait pas être mieux servi par Césaire lui-même qu’il ne l’était par sa
femme Suzanne. Pour pouvoir bien répondre, elle a relu le poème entier, ce qui
lui permet d’établir pour la strophe 87,8 un parallèle avec un autre passage,
et pour bien interpréter les vers de la strophe 37, 26, elle les contextualise
de façon très intéressante et éclairante. A lire les réponses de Suzanne
Césaire on ne peut regretter qu’une chose: qu’elle n’ait pas participé avec
bien plus de «ces notes maladroites» au dialogue sur les poésies césairiennes.
(op. cit., p. 125)
Chaque
lecteur dégage dans sa lecture des aspects différents. Ruhe fait l’éloge de la
lecture de Suzanne et insiste sur l’intérêt évident de “ces
notes maladroites”. Mais ce qui me
touche aussi particulièrement c’est la très courte phrase - “Tout a terriblement
changé depuis” -,
avec l’adverbe souligné. En février 1962, [10]
je perçois/j’entends comme un regret, chez Suzanne, des années dures et
difficiles de la guerre, passées dans une île appauvrie bloquée par la marine
anglo-américaine et sous la censure de Vichy. Mais c’était le temps de son
activité critique et créatrice dans Tropiques.
2. La création pendant les temps difficiles
ou le dialogue avec Césaire.
Tous
les textes publiés par Suzanne datent de 1941 à 1945. Regardons-les d’un point
de vue spécifique: dans quelle mesure ils dialoguent avec l’œuvre de Césaire?
Voici la liste des 7 essais
critiques-poétiques publiés par Suzanne dans Tropiques: [11]
a) “Léo Frobenius et le problème des civilisations”, in Tropiques n°1 (1941): 27-36;
b) “Alain et l'esthétique”, in Tropiques
n° 2 (1941): 53-61;
c) “André Breton, poète...”, in Tropiques
n° 3 (1941): 31-37;
d) “Misère d'une poésie: John Antoine Nau”, in Tropiques n°4
(1942): 48-50;
e) “Malaise d'une civilisation”, in Tropiques n°
5 (1942): 43-49;
f) “1943 : Le Surréalisme et nous”, in Tropiques n°
8-9 (octobre 1943): 14-18 et
g) “Le Grand camouflage”, in Tropiques
n°13-14 (sans indication de mois, en réalité mai 1945): 267-273.
Les
quatre numéros de Tropiques, où Suzanne
n’a rien publié sont: a) le nº 6 -7 (février 1943); b) deux numéros sortis
pendant l’année de 1944 (nº 10, février 1944; nº 11, mai 1944) et c) le premier
nº de 1945 (nº 12, janvier 1945).
Considérons
ces années. Au début de 1943, Suzanne s’occupe de son quatrième enfant qui
vient de naître; 1944, c’est l’année du long séjour, de presque sept mois, des
Césaire en Haïti et 1945, c’est le début de la carrière politique de son mari.
Quelles
sont les principales caractéristiques des articles de Suzanne Roussi?:
a)
disons-le tout de suite, la férocité “cannibale” de Suzanne se
détache dans le contexte de la revue: les articles les plus durs/agressifs de Tropiques sortent dès le départ de sa
plume;
b) elle aborde d’emblée, ensemble avec René Ménil,
les grands textes théoriques: Frobenius (Tropiques,
nº 1) et Alain (Tropiques, nº 2);
c) elle définit très tôt sa conception de poésie
refusant la littérature de “hamac” et situant la
production des jeunes poètes par rapport au Surréalisme et
d) elle annonce, des années avant, le paysage
comme source de poétique.
Considérons,
tout d’abord, selon l’ordre chronologique, les citations évidentes de Césaire (sous
forme d’épigraphes ou de clôtures) dans les essais de Suzanne. Mais ces
citations, placées le plus souvent en position stratégique, créent un rapport
dialogique de contestation et/ou de problématisation. Autrement dit: Suzanne
semble incapable de citer comme tout le monde, tout simplement pour renforcer
ou pour exemplifier un de ses arguments.
Dans
son premier article, “Léo Frobenius et le problème des civilisations” (de 1941),
Suzanne aborde directement la théorie et dégage la distinction entre
civilisation éthiopienne et civilisation hamitique. Si l’on veut comprendre
l’impact de Suzanne, considérons son premier article. “L’homme n’agit
pas, il est agi, mû par une force antérieure à l’humanité, une force
assimilable à la force vitale elle-même, la Païdeuma fondamentale”. Nous sommes
fixés, Suzanne dit d’emblée ce qu’Aimé dira à Port au Prince, deux ans plus
tard. L’homme artiste est un voyant.
Senghor plus tard définit la “Païdeuma”:
Chaque peuple possède sa
païdeuma, c'est-à-dire sa faculté et sa manière originales d'être ému:
d'être saisi. Cependant l’artiste – danseur, sculpteur, poète – ne se contente
pas de revivre l'Autre; il le recrée pour pouvoir mieux le vivre et le faire
vivre. Il le recrée par le rythme, et il en fait ainsi une réalité supérieure,
plus vraie, c’est à dire plus réelle que le réel factuel.
La Païdeuma se manifeste sous deux formes: la
civilisation éthiopienne et la civilisation hamitique (ibidem, p. 30). La première est liée à la plante, au cycle de la
végétation. Nous y découvrons le grand régime symbolique que Gilbert Durand
appellera plus tard “nocturne dramatique” soit le régime du bâton [12] et qui emprunte
la double postulation de la racine qui s’enfonce profond dans le sol et de
l’arbre avec des branches qui s’épanouissent vers le ciel. La seconde forme de
la Païdeuma correspond à la civilisation de l’homme-animal, “à la conquête du droit de vivre par la lutte”. Suzanne analyse encore la prise de conscience de ces deux régimes grâce à
des “saisissements”. Elle termine son texte citant un passage du Cahier: “il est temps de se ceindre les reins comme
un vaillant homme”. [13]
Cette clôture est problématique à un double niveau: a) d’une part, Suzanne
récite Césaire qui récite, sans avertir le lecteur, une épître de Paul qui
récite l’Ancien Testament (Job en particulier) et b) dans un article mettant en
relief l’homme “éthiopien”, lié à la plante
et à la végétation, Suzanne renvoie son lecteur à la lutte, donc à l’homme “hamitique”. Comme Eshou, elle dépasse les contradictions.
Dans son deuxième article, encore une fois sur théorie, intitulé “Alain
et l’esthétique”, toujours de 1941, Suzanne joue apparemment à un autre jeu,
celui de la citation cachée sous forme d’une coda baroque. Mais avant d’y
arriver, considérons son texte particulièrement, je dirais même: admirablement
astucieux. Son texte a à peine 8 pages et demie (p. 53 - 61). Dans les six
pages et demie initiales, elle adhère avec intelligence et sympathie à la vision
disons “classique” d’Alain,
jusqu’à l’éloge de Valéry. En bas de la sixième page, elle fait volte-face de
façon radicale : “Mais laissons là notre guide”… et fait le saut vers Rimbaud, Lautréamont, [14] Breton. Suzanne
Césaire articule d’ailleurs de façon imprévue Alain et Breton à partir d’un
exemple plastique:
Une rencontre curieuse : Alain dans son “système
des beaux-Arts” et Breton dans son “Amour fou” proposent au lecteur le même exemple: Vinci conseillant à ses
élèves de créer un tableau cohérent à partir de la contemplation des taches
d’un vieux mur.
La distance qui sépare les deux hommes se
mesure à l’extrême différence d’interprétation de cette leçon de Vinci. Alain,
le philosophe de profession, y voit la preuve évidente que l’art est avant tout
technique et métier, choix, puisque, le modèle caché dans les taches, il s’agit
à force de soins et de retouches de l’en faire surgir. Breton, le poète
authentique, déclare lui, que Vinci a résolu ici le grand problème
philosophique des rapports de l’homme et du monde. Ici, en effet, l’œuvre
cachée dans les taches est une réponse de la chose à l’artiste, réponse qui est
la projection du moi secret de l’artiste, de son “désir”,
réponse qui est aussi la voix de l’inconnu et du mystère. L’œuvre d’art
apparaît alors comme le signe d’une alliance véritable entre la chose et
l’homme. Et cette alliance ne peut avoir sa pleine et entière signification que
si l’artiste dans un volontaire abandon et un total oubli de soi, s’efface, en
quelque sorte, pour qu’éclate le mystérieux message. C’est en poésie par
exemple le triomphe de l’écriture automatique. En tout cas, dans tous les arts,
le vieil horizon s’élargit et recule au delà du concevable. (ibid., p. 60 – 61).
Arrêtons-nous un instant. Ce “vieil horizon [qui] s’élargit” est une citation cachée d’un
passage de la fin Cahier:
l’horizon se défait, recule et s’élargit
et voici parmi les déchirements de nuages la fulgurance d’un signe (st.
164)
Ce
même thème reprend en filigrane d’autres séquences, antérieures dans la chaîne
syntagmatique des strophes du poème, en contrepoint à l’horizon qui s’élargit:
cet
horizon trop sûr tressaille comme un geôlier (st. 40)
vienne
le bris de l’horizon (st. 113, ajout de Brentano’s)
Sol
de boue. Horizon de boue. (st. 139, ajout de Présence Africaine)
On
pourrait avancer que, connaissant très bien le poème, Suzanne le cite sans même
s’en apercevoir? En réalité, écrivant en 1941, elle ne connaît pas les deux
derniers exemples, car ils n’existent pas encore dans le poème et font partie
des ajouts de Césaire, respectivement de Brentano’s (prêt en 1943 et publié en
1947) et de Présence Africaine (de 1956).
Plus important encore. Relisons encore une fois
l’assez long passage cité précédemment comparant Alain et Breton: ce que Suzanne
écrit là c’est, plus profondément, le schéma encore non-écrit par Aimé Césaire
où il opposera classicisme et nouvelle poésie:
47.Des
mots?
Ah
oui, des mots!
Raison,
je te sacre vent du soir.
Bouche
de l’ordre ton nom?
Il
m’est corolle du fouet.
Beauté
je t’appelle pétition de la pierre.
Mais
ah! la rauque contrebande de mon rire
Ah!
mon trésor de salpêtre!
Parce
que nous vous haïssons vous et votre raison, nous nous réclamons de la
démence
précoce de la folie flambante du cannibalisme tenace
La connaissance des différentes versions du Cahier, cette “œuvre mobile” entre toutes,
nous permet d’affirmer sans l’ombre d’un doute que c’est Aimé qui, dans son
poème dédié à Breton et incorporé plus tard à la version Brentano’s, résume à
sa manière le texte écrit et publié par sa femme en 1941. Cela nous donne
également un aperçu foudroyant de la connivence profonde dans le couple. Et
cela dure assez longtemps, car si le passage final “parce que nous
vous haïssons….
cannibalisme tenace” fait partie du
poème “En guise de manifeste
poétique”,
de 1942, le passage du début de la
strophe “Des mots?” jusqu’à “Ah ! mon
trésor de salpêtre!” apparaît dans le Cahier assez tard, dans la dernière version du poème, celle
Présence Africaine en 1956. Cela nous fait comprendre que si Suzanne dans ses
épigraphes ou clôtures de textes reprend Aimé, celui-ci, lui aussi, reprend le
texte de sa femme soit en le développant, soit en le résumant.
On doit donc revenir sur notre première
impression: ce n’est pas Suzanne qui reprend et développe à la manière d’une
coda baroque, une strophe du Cahier
mais bien au contraire c’est Aimé qui résume elliptiquement un retournement
radical de Suzanne dans son texte de 1941 dans Tropiques.
Mais Aimé n’est pas le seul à reprendre Suzanne.
René Ménil le fera également, mais n’anticipons pas.
Le troisième texte de Suzanne Césaire est une
présentation de Breton: “André Breton, poète...”, in Tropiques
n° 3 (octobre 1941): 31-37, suivi d’une sélection de poèmes (p. 38 - 44) où
figure déjà le poème en prose “Pour Madame” (sous-entendu: Mme Suzanne
Césaire), avec la date avril 1941 en bas de page (ibid., p. 41). Suzanne présente Breton à la fois théoricien
du Surréalisme et poète du bonheur. Breton lui répond avec un poème magnifique
en prose qui évoque à la fois la beauté de Suzanne et des petites chabines
antillaises. Sans nous attarder, notons les sèmes du feu pour évoquer/peindre
Suzanne Roussi: après le très connu éloge “belle comme la flamme du
punch”, “un
visage de cendre blanche et de braises”. Son nom de jeune fille est porteur
de sens.
Le
quatrième texte de Suzanne est une attaque d’une férocité inédite, “Misère
d'une poésie: John-Antoine Nau”, in Tropiques n° 4 (janvier 1942): 48-50.
Aucun de ses collègues hommes de Tropiques
jusqu’à cette date n’est allé aussi loin dans l’invective et le mépris. Elle y
décortique les lieux-communs de la poésie des îles. Tout y passe, même les
classiques aimés des “professeurs coloniaux”, “pauvres
nigauds”: Leconte de Lisle, José-Maria Hérédia et encore Francis Jammes. Elle trouvera à
la fin de son texte, la clôture qui reste dans toutes les mémoires:
Allons, la vraie poésie
est ailleurs. Loin des rimes, des complaintes, des alizés, des perroquets.
Bambous, nous décrétons la mort de la littérature doudou. Et zut à l’hibiscus,
à la frangipane, aux bougainvilliers.
La poésie martiniquaise sera cannibale ou ne
sera pas. (ibid, p. 50)
La phrase finale marque une date. Elle reste
dans la mémoire de ses collègues de revue et Ménil, comme Aimé l’avait déjà
fait, reprend la trouvaille sans citer celle qui l’a trouvée. Dans le numéro
suivant, Tropiques, nº 5, d’avril
1942, René Ménil, dans un article intitulé “Laissez passer la poésie…”, écrit: “La
poésie martiniquaise sera virile. La poésie martiniquaise sera cannibale. Ou ne
sera pas”. (ibid., p. 27) La fin
du texte rend encore hommage également au Cahier:
Ecartez-vous,
vous dans les yeux de qui je lis la peur. Peur de perdre les risibles
commodités de votre “vie” et de votre “pensée”. Si vous vous approchez trop,
malgré ces paroles, nos poèmes, en doutez-vous, sauront se défendre contre
vous.
Laissez
passer dans la Caraïbe tumultueuse, à hauteur de menfenil [15] la voix totale, mortelle, exaltante de
la poésie. (ibid., p. 28)
Pour le nº
suivant de Tropiques, Suzanne Césaire
écrit un texte important, “Malaise d'une civilisation”, in Tropiques n°
5 (1942): 43-49. Elle reprend la notion de l’homme-plante de Frobenius et
revisite le problème de l’oraliture, explique l’erreur collective sur la
supériorité des colonisateurs faisant naître la “pseudomorphose” (le mot est repris du Cahier) et aborde la problématique du paysage. La question que pose
Suzanne reflète identité secrète entre l’homme martiniquais et l’arbre:
Il est
exaltant d’imaginer sur ces terres tropicales, rendues enfin à leur vérité
interne, l’accord durable et profond de l’homme et du sol. Sous le signe de la
plante. (ibid., p. 48)
Ce passage
lu en même temps que le Cahier
permettrait aux étudiants qui abordent le texte pour la première fois de
comprendre à quel point le schéma fondamental du poème est l’arbre.
Dans le nº
double de février 43, Suzanne Césaire ne publie rien. Son sixième texte - “1943: Le Surréalisme et nous” - sort en octobre (in Tropiques n° 8-9: 14-18). Il est précédé par une assez longue
épigraphe tirée du poème “Batouque”, encore une citation explicite d’un poème
d’Aimé Césaire, texte encore “mobile” entre tous, particulièrement opaque. Gardons
néanmoins l’image finale de cette épigraphe, telle qu’elle se présente à ce
moment:
Liberté
mon seul pirate, eau de l’an neuf ma seule soif,
Amour, mon
seul sampang,
Nous
coulerons nos doigts de rire et de gourde
Entre les
dents glacées de la Belle au Bois Dormant. (ibid,
p. 14)
Pas
question ici de proposer une lecture de ce long poème. [16] Il s’agit plutôt de voir comment
Suzanne détourne la réécriture césairienne du conte de la Belle au Bois Dormant
dans une version assez perverse et ambiguë (celle du Pentamerone, de Giambattista Basile), vers le Surréalisme, posant
dès le départ l’identité Belle=Surréalisme/Liberté. Sa première phrase est
révélatrice: “Beaucoup ont cru que le
Surréalisme était mort. Beaucoup l’ont écrit” (ibid., p.
14). La loyauté de Suzanne et son adhésion envers Breton et le Surréalisme vu
comme voie vers la Liberté paraissent totales. Dans un texte de six pages,
quatre pages et demie incorporent de nombreuses citations de Breton. Dans la
dernière partie de son texte, Suzanne aborde la situation à la Martinique.
Des
millions de mains noires, à travers les ciels rageurs de la guerre mondiale
vont dresser leur épouvante. Délivré d’un long engourdissement, le plus
déshérité de tous les peuples se lèvera, sur les plaines de cendre.
Notre
surréalisme lui livrera alors le pain de ses profondeurs. Il s’agira de
transcender enfin les sordides antinomies actuelles: blancs-noirs,
européens-africains, civilisés-sauvages. Retrouvée enfin la puissance magique
des mahoulis, puisée à même les sources vives. Purifiées à la flamme bleue des
soudures autogènes les niaiseries coloniales. Retrouvée notre valeur de métal,
notre tranchant d’acier, nos communions insolites. (ibid., p. 18)
Notons
brièvement: a) le dépassement des “sordides
antinomies”, [17] ce qui correspond au dépassement de tout clivage ethnique
dès le départ, présent également dans le Cahier;
b) la présence des thèmes de l’eau [18] et du feu [19] qui renvoient au travail du forgeron mythique et le
rappel du “tranchant d’acier” qui reprend elliptiquement la figure guerrière du “vaillant homme” qui se ceint les reins, à savoir, le tout premier
texte de Suzanne dans Tropiques avec
son intertextualité qui remonte loin dans le temps, jusqu’à Job. La phrase finale, souvent citée, a
presque la tonalité de la foi: “Surréalisme,
corde raide de notre espoir”. Corde et raide évoquent une situation
tendue et périlleuse, où la métaphore du funambule est claire. Mais qu’est-ce
un funambule? Celui qui se lance sur les airs reliant deux point séparés.
Le dernier
texte publié par Suzanne (“Le grand camouflage”, in Tropiques
n°13-14, sans indication de mois, en réalité mai 1945: 267 - 273) est autrement
important. Il clôt d’ailleurs le dernier numéro de Tropiques. Daniel Maximin décrit avec enthousiasme sa découverte de
ce texte pendant sa “résidence culturelle” chez Léon Damas. [20] Cet essai de Suzanne, son texte le plus
long, est une vraie diabase non
seulement du Cahier d’un retour, mais
également du nouveau poème publié dans le premier nº de Tropiques, “Les Pur-sang” suggérant
encore sans en avoir l’air la grande “scène primitive” qui donnera
naissance à “Batouque”. Il évoque les Antilles en général -
Haïti, Porto Rico, Martinique, Cuba etc. – annonçant déjà une poétique de l’espace/paysage qui sera
celle d’un Glissant des années plus tard.
Relisant
successivement les sept textes de Suzanne Roussi, épouse Césaire, publiés entre
1941-1945, le lecteur ne peut ignorer ni la force et l’éclat de son
intelligence ni la qualité expressive de sa prose à la fois critique et
poétique. Dans le groupe de Tropiques,
elle est celle qui passe à travers les œuvres de son mari et de ses collègues,
et de Breton. Elle les dialectise. Elle les interpelle par sa rigueur et leur fournit des formules qui font mouche.
Avec et à côté de René Ménil, elle donne
très tôt ses bases théoriques à une revue collective. C’est elle et non pas son
mari qui, en 1943, assure le chef de file du Surréalisme de sa fidélité au nom
du groupe. Trois poètes, ses contemporains, reconnaissent son mérite
indirectement: Césaire, Ménil et Breton.
Dominique
Berthet, dans son livre L’Eloge de la
rencontre,
[21] résume ce que la Martinique apporte d’emblée à Breton. Celui-ci résumera
dans huit courts textes rassemblés sous le titre “Des épingles tremblantes” ses
impressions sur la Martinique, les gens qu’il y rencontre et surtout la nature.
Il fait état de sa fascination pour la végétation luxuriante dans “Dialogue créole”, qu’il
écrit avec André Masson, arrivé une semaine environ après lui en Martinique,
texte publié en janvier 1942 à Buenos Aires. [22] Il y revient encore dans le texte “Un grand
poète noir”, bien connu, car souvent reproduit.
Mais il y
a autre chose. En fait, c’est Ménil, plus tard, dans Tracées, [23] le premier à noter la marque de Césaire sur les
écrits de Breton au sujet du Surréalisme après le séjour martiniquais. Et sur
le Cahier, Suzanne a laissé sa marque
que l’on peut entrevoir par des lectures croisées et l’étude de la mobilité de
ce poème, avec ses ajouts et modifications jusqu’aux troisièmes épreuves de
l’édition dite définitive, de 1956.
Ménil en
particulier évoque, dans un beau paragraphe, la traversée magique de la forêt
d’Absalon. L’oubli des repères ou des références non seulement bibliques mais
également plastiques aujourd’hui fait oublier sans doute aux plus jeunes l’intertextualité
de ce nom. Un très grand peintre amoureux de la Bible, - je veux parler de
Rembrandt -, a plusieurs gravures et toiles sur ce personnage tragique en
rébellion contre son père. [24] De toutes façons, ce seul nom - forêt d’Absalon
- devrait faire naître pas mal d’images/souvenirs chez ceux qui la traversent
sous la pluie ruisselante dans une promenade qui marque profondément les
visiteurs: les trois couples (Breton, Césaire et Lam) plus André Masson, René Ménil
et Georges Gratiant.
“Nous croyons pouvoir nous abandonner impunément à la
forêt et voilà tout à coup que ses méandres nous obsèdent: sortirons-nous de ce
vert labyrinthe, ne serions-nous pas aux Portes Paniques?” écrivent ensemble Breton et Masson dans le Dialogue créole (publié encore en 1942 à Buenos Aires).
Ce que Ménil garde, lui, de cette promenade, véritable
trajet initiatique, c’est la vision d’un couple mythique dans la lumière d’une
clairière: le couple d’Aimé et de Suzanne. Nous savons enfin ce que Lam fera de
cette expérience cruciale de retour au paysage natal: la toile la Jungle.
Césaire revient subrepticement,
dans son “Batouque”, à cette promenade. [25]
Les deux textes, celui d’Aimé et celui de Suzanne, abordent pratiquement les
mêmes thèmes, se suivent et s’entrecroisent, renvoient l’un à l’autre. Dans le
poème, à partir du tam-tam, Césaire évoque l’espace de la Terre tout entière,
le grand théâtre du monde, comme chez les baroques mais il évoque également,
les paysages de son île natale, de la Lézarde aux petites communes de la côte
Est de sa Martinique au bord de l’Océan. Mais au moment où il s’agit de
présenter son autre Rebelle, celui dont la tête coupée - à la fois Boukman, en
Haïti et Zumbi dos Palmares, au Brésil - hante son imaginaire, il surgit dans
un paysage de sous-bois dans une forêt enchevêtrée: “Endormi troupeau de cavales sous la touffe des bambous/ saigne, saigne
troupeau de carambas”.
Nous lisons, bien
entendu, “cavales” et “carambas”, comme des plantes. [26] C’est indirectement présenter ce
Rebelle, ce futur “cou coupé”, comme
un marron, vivant dans la forêt d’Absalon. C’est cet assassin, ce violeur qui
sera absous par les “mains de salamandre”
[27] du narrateur. Le texte de Suzanne
Césaire, de 1945, y répond:
Cependant les
balisiers d’Absalon saignent sur les gouffres et la beauté du paysage tropical
monte à la tête des poètes qui y passent. A travers les réseaux mouvants des
palmes ils voient l’incendie antillais rouler sur la Caraïbe qui est une
tranquille mer de laves. Ici, la vie s’allume à un feu végétal. Ici, sur ces
terres chaudes qui gardent vivantes les espèces géologiques, la plante fixe,
passion et sang dans son architecture primitive, l’inquiétante sonnerie surgie
des reins chaotiques des danseuses. [….] ici les poètes sentent chavirer leur
tête, et humant les odeurs fraîches des ravins, ils s’emparent de la gerbe des
îles, ils écoutent le bruit de l’eau autour d’elles, ils voient s’aviver les
flammes tropicales non plus aux balisiers, aux gerberas, aux hibiscus, aux
bougainvilliers, aux flamboyants, mais aux faims, aux peurs, aux haines, à la
férocité qui brûlent dans le creux des mornes. [28]
NOTAS
1. Deux
glossaires sont à consulter, Papa Samba DIOP et René HÉNANE, respectivement: La poésie d’Aimé Césaire. Propositions de
lecture. Accompagnées d’un lexique de l’œuvre. Paris, Honoré-Champion, 2010
et Glossaire des termes rares dans
l’œuvre d’Aimé Césaire. Paris, Jean-Michel Place, 2004, 142 p.
2. Glossaire, p. 17 et p. 50: Anabase: du grec anabasis, action de monter. Mouvement ascendant, élan vers les
hauteurs, par opposition à catabase qui est un mouvement descendant, mouvement
de chute. Pathologie: le mot anabase désigne la première partie d’une maladie
évolutive. Botanique: L’anabase est une plante chénopode des steppes salées
(Bescherelle) et pour Diabase.
Géologie: du grec diabasis
passer à travers. Substance magmatique du genre de la diorite. Entomologie: Insecte diptère
d’Amérique. Ichtyologie: genre de poisson acanthoptérygien (nageoire ailée,
épineuse).
3. Scrupule est
donc une petite pierre intérieure qui nous fait hésiter, qui nous empêche
d’agir sur le champ. Inutile de dire que je n’invente rien et que ce jeu verbal
ne viendrait à la tête de personne. Ruhe simplement transcrit un commentaire
qui est enregistré. Voir RUHE, Ernstpeter. Une
œuvre mobile. Aimé Césaire dans les pays germanophones (1950 – 2015).
Würzburg, Königshausen & Neumann, 2015, p. 109. Ce mot archi-connu, anodin
en somme, devrait entrer dans les glossaires et lexiques?
4. SOREL, Reynal. Dictionnaire critique de
l'ésotérisme, Jean Servier (dir.), PUF, 1998, p. 265.
5. RIFFARD, Pierre A. Dictionnaire de l'ésotérisme, Payot, 1983, p. 32.
6. Pour Shlomo Elbaz, “Anabase est une sorte de
carrefour à l'intersection entre deux modes d'écriture: celle de l'art “classique” (ordre, harmonie plénitude) et celle de la “modernité” (désarticulation, déconstruction, voire chaos)”. Voir Lecture d'Anabase
de Saint-John Perse: Le désert, le désir, Paris, L'Age d'Homme, 1977, 294 p. (ISBN 978-2-8251-2924-1, lire en ligne [archive]), p. 10.
7. Voir l’essai
lumineux de Roger Bastide dédié à Lévi-Strauss, “Le rire et les court-circuits
du sens”, in Echanges et communications: mélanges
offerts à Claude Lévi-Strauss à l'occasion de son 60ème anniversaire. Paris, Mouton, 1970, p. 953 - 963.
8. Nous avons montré ailleurs (in O teatro negro de Aimé Césaire. EDUFF, 1978) comment le poète récite,
dans son œuvre des orikis traditionnels recueillis par
Pierre Verger et puisés dans le volume collectif Textes sacrés d’Afrique.
Collection UNESCO. Gallimard, 1965, p. 239.
9. Une œuvre mobile. Aimé Césaire dans les pays
germanophones (1950 – 2015). Würzburg, K/N, 2015.
10. En 1963, un an plus tard, le
couple Césaire se sépare, et Suzanne meurt en mai 1966, victime d’un cancer au
cerveau. Elle avait 51 ans.
11. Ces textes sont réunis par MAXIMIN, Daniel. Suzanne Césaire: le grand camouflage. Écrits de dissidence (1941-1945). Paris, Seuil, 2009.
12. Voir DURAND, Gilbert. Les structures anthropologiques de l’imaginaire. Bordas, 1981.
13. Daniel
Maximin apporte à cette expression, une couche de signification populaire. Voir
Aimé Césaire, frère volcan, p. 97: “cette formule populaire, ‘s’ammarrer les
reins’, a un sens três fort aux Antilles pour signifier la puissance à
emmagasiner, le défi à relever devant la |tache à accomplir...” N’importe:
le passage césairien du Cahier sur le
“vaillant homme”, repris par le poète
dans son premier article de Tropiques que
Daniel Maximin intitule “Appel de 1941”, cite les Epîtres de Paul qui recite Job (Accinge sicut vir lumbos
tuos, Job, 38, 3) et Isaïe (Et erit iustitia cingulum lumborum eius/ Et
fides conctorium renum eius: 11,5).
14. Notons, en
passant, que Césaire ne parlera de Lautréamont que dans un numéro plus tardif, in Tropiques, nº 6 - 7, février 1943. Là
encore, Suzanne précède et annonce.
15. “À hauteur de menfenil” est la description des îles qui
ouvre le Cahier.
16. Le lecteur
intéressé pourra consulter une lecture de ce poème dans notre Aimé Césaire hors frontières. Poétique,
intertextualité et littérature comparée. Würzburg, K/N, 2015.
17. Remarquons
également que le passage “sordides
antinomies actuelles: blancs-noirs, européens-africains, civilisés-sauvages”
est tout simplement coupé dans L’Histoire
de la littérature négro-africaine, de Lilyan KESTELOOT. Histoire de la littérature négro-africaine, Karthala, AUF, 2004 (mise à jour), 386 p. (ISBN 2-84586-112-5), p. 192, ce qui modifie sensiblement le sens du
paragraphe. Il semble qu’on ait voulu effacer délibérément Suzanne.
18. “Mahoulis” sont les faiseurs de pluie.
18. Le titre choisi par Daniel Maximin de cet hommage
l’exprime bien, “Suzanne Césaire, fontaine solaire”.
20. Voir MAXIMIN, Daniel. Aimé Césaire, frère volcan. Seuil, 2013,
en particulier p. 99 - 103.
21. André Breton, L’éloge de la rencontre,
Paris, HC Éditions, 2008, 160 p.
ISBN 9782911207907
22. Texte publié à Buenos Aires dans le nº 3 des Lettres Françaises dirigées par Roger Caillois.
23. MÉNIL, René. Tracées, identité négritude esthétique aux Antilles. Robert Laffont, 1962. Réimp. 1981.
24. Absalon est le troisième fils du Roi David. Avec ses longs cheveux
blonds, il passe pour être l’homme le plus beau du royaume de son père. Son
histoire est racontée dans le II Livre de Samuel. Pour venger Tamar, sa sœur,
il fait tuer Amnon, le fils aîné de son père, son demi-frère, lors d’un festin
(2 Sam 13: 18 - 28). Des années plus tard, il fomente une révolte contre son
père. Une bataille se tint dans la “forêt d’Éphraïm” où l’armée
rebelle fut totalement mise en déroute. Absalon, en fuyant, se prit les cheveux
qu’il portait longs dans les branches d’un chêne. Joab, général du Roi,
transperça à trois reprises le jeune homme qui se débattait toujours suspendu aux
branches. Et son père le pleura amèrement. Le récit de Faulkner, après la
guerre civile américaine, Absalom,
Absalom, s’y inspire et il date
de 1936: il est fort possible que l’angliciste Césaire l’ait lu. Sans parler,
bien entendu, de la très bonne connaissance de Césaire des livres poétiques de
la Bible.
25. Considérons les dates. Comme
pratiquement tous les poèmes de la première phase de la poésie de Césaire,
“Batouque” est un palimpseste. Composé par blocs très probablement en 1943, le
poème comporte plusieurs changements dont le plus important est la
transposition d’une séquence de 24 versets (“Quand le monde sera une mine à ciel découvert… jusqu’à …toutes les
démissions des chinchillas”) de la
fin du poème vers le début, lors de sa publication chez Gallimard en
1946. Cette séquence se trouvait à la fin du poème dans le tapuscrit
envoyé à Breton et dans la première publication à New York (février 44). La première référence à “Batouque” apparaît dans la lettre de
Césaire à Breton du 16 novembre 1943: “Avez-vous reçu mes dernières
lettres ? Un poème Batouque. Je vous enverrai bientôt par paquet-poste les
manuscrits d’un recueil possible de poèmes ainsi qu’un drame : Et les
chiens se taisaient”. Encore
en 1943, Suzanne Césaire, dans son texte “ Le surréalisme et
nous ” (in Tropiques 8-9, p.
14), choisit comme épigraphe les vers 1-9 du poème dans sa première étape. La première version imprimée de “Batouque” apparaît dans la revue VVV
(n° 4, février 1944, p. 22 - 26), dirigée par Yvan Goll à New York. Quatre mois plus
tard, Césaire se réfère, dans une nouvelle lettre du 26 mai 1944, encore à
Breton, toujours à New York, à deux poèmes : “Batouque et Le Grand midi
dont une partie a paru […] dans Hémisphères”. Quinze mois plus
tard, le 24 août 1945, Césaire envoie à
Breton, sous forme de tapuscrit (18 pages), un ensemble de poèmes, intitulé Colombes
et menfenils, dont fait partie “Batouque” (p. 11-18). Il s’agit alors d’un
recueil à publier.
Les publications successives de “Batouque” en livre
sont indiquées par l’édition Arnold, 2013 (p. 271 - 275; notes: p. 359 - 361).
Il y manque cependant Jahn 1968 (édition bilingue, avec traduction en allemand,
p. 92 - 104). Voir à ce sujet encore RUHE, op.cit.
27. Le narrateur
s’identifie à son pays natal qui a la forme d’une salamandre. Césaire y revient à l’animalisation de îles caribéennes: “la grande gueule d’Haïti”, “el lagarto verde” de Cuba, “la salamandre” de la Martinique etc. On
pourrait facilement multiplier les exemples.
28. “Le grand camouflage”, in op. cit, p. 272 - 273.
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