sábado, 14 de julho de 2018

LILIAN PESTRE DE ALMEIDA | Aimé Césaire et la poésie nègre



Nous présentons les analyses de deux poèmes césairiens, déjà publiées: le premier poème, intitulé “Marais nocturne”, est une sorte de réponse à une œuvre de Breton, rencontré en 1941 à Fort-de France, qui fait partie de la production initiale du poète martiniquais; l’autre, intitulé “Etat des lieux”, est inédit, ayant été retrouvé parmi les papiers de Césaire, après sa mort en 2013, avec au moins trois versions différentes. Celles-ci nous ont été communiquées par l’un de ses amis, le poète guadeloupéen Daniel Maximin, l’auteur de l’essai Aimé Césaire, frère volcan (Seuil, 2013).
Laissant de côté les grands poèmes (Cahier d’un retour au pays natal, “Batouque”, “Le Grand Midi” ou “Les pur-sang”), il s’agit ici de présenter de très courts poèmes, assez peu étudiés, qui éclairent de façon lumineuse la poétique césairienne et révèlent en plus l’extraordinaire cohérence de son imaginaire. Plus de 45 ans les séparent.

I | Encore la réécriture de l’oralité chez Césaire ou Alouette qui fume et un serpent qui fait chanter[1]

ENTRANT EN MATIERE | J’ai changé et mon texte et son titre. Le premier sur l’intertextualité de langue anglaise, présent sur le programme, s’intitulait “D’une tasse de thé à la soupière d’une dame anglaise”. Il est devenu trop long et pourrait difficilement être résumé dans l’espace d’une quinzaine de minutes.
Il me semble urgent de revenir aux textes du poète[2] et tout en restant dans le cadre de la poétique et de l’intertextualité césairiennes, je vous propose une première lecture d’un court poème.
Tous connaissent un court poème de Césaire “Marais nocturne”, où s’entassent plusieurs animaux parmi lesquels des serpents, une alouette, un agami-chien de garde ainsi qu’une fleur maléfique, au nom savant, sorte de tournesol immobile, aveugle au Nord et au Sud. Ce poème de renouveau de l’être à partir d’un marais est typique de la première phase de la poétique césairienne où de longs poèmes alternent avec de courtes pièces, textes souvent opaques aux images surprenantes qui cachent aussi parfois des tonalités humoristiques.
Dans les textes plus brefs, souvent, un espace indéfini, primitif et nocturne est habité par un bestiaire inquiétant et parfois hallucinant. Dans notre cas, un certain couple serpent - oiseau constitue la fusion de l’oralité traditionnelle et de la Kundaliní. Ce même couple animal serpent-oiseau, qui libère le chant, apparaissait déjà à la fin du Cahier d’un retour au pays natal depuis la version de 1939.
Nous nous attachons donc à dégager les différentes couches de signification de ce court poème: elles sont au moins quatre ou cinq, à savoir: a) la reprise de la Kundalinî qui renvoie au texte sacré hindou, le Bhagavad gita[3]; b) un court passage d’un géographe grec, Pausanias, sur la punition qu’apportent les dieux à ceux qui ne savent pas accueillir le sacré (les Dioscures enlèvent une fille à son père en lui laissant à sa place une fleur maléfique qui ne sait plus indiquer le Nord et partant le Sud); c) un clin d’œil ironique à Breton et à son livre récent, Arcane 17 où il est question d’une publicité québécoise de tabac à fumer dont le refrain est “Alouette, alouette, gentille alouette je te fumerai” et enfin d) une allusion discrète à une gravure de Matta, le grand peintre chilien, qui a illustré le livre de Breton. Avec en plus le recours à des mots rares puisés dans de nombreuses encyclopédies.
Kundalinî est un terme du sanscrit qui peut être traduit par “enroulée”, celle qui a la forme d’un serpent. Le mot est féminin, il doit être accentué et prononcé avec un i long (De Rose, 1992, 1999, 2007). Selon des documents hindous anciens comme des auteurs contemporains, la Kundalinî serait une forme de bioénergie latente dans le corps humain, concentrée sur la base de la colonne vertébrale, dans la région des organes sexuels, qui transmettent la force vitale.
La Kundalinî est “endormie” comme un serpent de feu, enroulé trois fois et demie autour du svayambhu linga(m) (le phallus), dans le chakra[4] de base: son sommeil peut obstruer le brahmadwára, autrement dit la “porte” de Brahmâ, l’être, la conscience suprême (Eliade, 1954).[5] Il faut l’éveiller et la faire monter pour atteindre un moment d’extase et de communion.
Voici ce texte à la fois mystérieux et explicite, car il nomme en caractères majuscules “LE SERPENT LOMBAIRE”, paru pour la première fois dans Soleil coup coupé, recueil publié en 1948, à Paris, aux éditions K. Ce volume sera repris ensemble avec Corps perdu, précédemment paru en 1949 en édition de luxe (Fragrance, éditeur) avec trente-deux eaux-fortes de Picasso. Le nouveau recueil s’intitule alors Cadastre (Seuil, 1961).
Les dictionnaires français définissent d’une manière générale cadastre comme un document dressant l’état de la propriété foncière d’un territoire, espace donc à baliser et à prendre possession. Dans La Tragédie du Roi Christophe, le mot cadastre figure dans un des discours du Roi: nous allions fonder un pays/ tous entre soi !/ Pas seulement le cadastre de cette île !/ Ouvert sur toutes les îles ! A tous les nègres ! (Présence Africaine, 1963, p. 42)
Nous citons “Marais nocturne” d’après le texte de Cadastre. Dans sa première version, celle de 1948, ce poème était plus long. Césaire a retranché, “allant jusqu’à l’épure du poème, s’éloignant de préoccupations strictement géographiques ou politiques pour atteindre l’universel”, commentent les deux organisateurs du volume La Poésie (Seuil).[6]

MARAIS NOCTURNE

Le marais déroulant son lasso jusque-là lové autour de son nombril

Et me voilà installé par les soins obligeants de l’enlisement au fond du marais et fumant le tabac le plus rare qu’aucune alouette ait jamais fumé

Miasme on m’avait dit que ce ne pouvait être que le règne du crépuscule. Je te donne acte que l’on m’avait trompé. De l’autre côté de la vie, de la mort, montent des bulles. Elles éclatent à la surface avec un bruit d’ampoules brisées. Ce sont les scaphandriers de la réclusion qui reviennent à la surface remiser leur tête de plomb et de verre, leur tendresse.
Tout animal m’est agami-chien de garde.
Toute plante silphium-lascinatum, parole aveugle du Nord et du Sud.
Pourtant alerte.
Ce sont les serpents.
L’un d’eux siffle le long de ma colonne vertébrale, puis s’enroulant au plus bas de ma cage thoracique, lance sa tête jusqu’à ma gorge spasmodique.
A la fin l’occlusion en est douce et j’entonne sous le sable

L’HYMNE AU SERPENT LOMBAIRE
(In La Poésie, Seuil, p.193-194.)

Nous ferons allusion, au besoin, au texte plus étendu dans l’édition K où le titre est simplement “Marais”. Césaire, en plus d’alléger le texte de son poème, lui ajoute, en 1961, une tonalité proprement “nocturne”. Le début en 1948 était plus long et sensiblement différent; nous indiquons ci-dessous en italique les passages qui seront retranchés en 1961:

Le marais déroulant son lasso jusque-là lové autour de son nombril le marais dégoisant les odeurs qui jusque-là avaient tissé une épaule avec des aisselles
Le marais défaisant le mauvais œil qui jusqu’à présent lui avait éclairé tant bien que mal le mauvais bouge au fond duquel il entretenait ses mauvaises raisons dans un bocal de sangsues luxueuses réservées aux sangs des plus illustres têtes couronnées

Et me voilà installé par les soins obligeants de l’enlisement au fond du marais et fumant le tabac le plus rare qu’aucune alouette ait jamais fumé

Notons tout d’abord que les passages retranchés étaient pleins d’humour: la forte odeur des aisselles, le mauvais œil éclairant le mauvais bouge entretenant ses mauvaises raisons etc. Du bestiaire, un seul type d’animal disparaît, les “sangsues luxueuses réservées aux sangs des plus illustres têtes couronnées”.
Restent tous les autres animaux: les serpents, l’alouette, l’agami. Et une plante au nom latin, liée à la parole qui, par effet de synesthésie, rend cette parole “aveugle”. Mutisme donc et cécité symboliques. Cette plante ne peut être que fort négative. Gardons à l’esprit cette première impression qui sera approfondie plus tard.
Au milieu du poème, le narrateur à la première personne affirme: “tout animal m’est agami-chien de garde”. Le chien est tellement maléfique chez Césaire qu’il colore d’une connotation négative tout autre animal, même un oiseau.
Le mot agami apparaît également dans “Le Grand midi”[7], un autre poème épique de Césaire de la première phase:

Arums d’amour
me bercerez-vous plus docile que l’agami

mes lèpres et mes ennuis?
(“Le grand midi”, in La Poésie, p. 121).

Dans ce long poème, l’ “agami”, lourd oiseau au vol rasant et court, renforce l’idée de non-élévation. Ce sens est repris et renforcé, dans “Marais nocturne”, par la nouvelle fonction de l’oiseau, clairement négative, de “chien de garde”. Agami. Zool.: mot guyanais désignant un oiseau échassier au plumage noir, appelé aussi oiseau-trompette pour son cri strident; peut devenir familier et être apprivoisé pour garder les basses cours. “Non seulement l’agami s’apprivoise très aisément, mais il s’attache même à celui qui le soigne avec autant d’empressement et de fidélité que le chien” (Buffon). Nous voilà fixés. L’oiseau, qui vole lourdement, sert les hommes en gardant les basses cours et se laisse apprivoiser, est indiscutablement négatif.[8]
Regardons maintenant du côté de la plante, elle aussi mystérieuse, avec un double nom latin. Ici nous avons – ce qui surprend chez Césaire lorsqu’il s’agit du latin (ou du grec) – peut-être une coquille non corrigée. Lascinatum serait plutôt laciniatum. Mais on peut se demander encore, “s'il n'y a pas de faute dans lascinatum (Césaire dominant tellement bien ses trésors linguistiques multiples), mais un glissement entre lascivus et laciniatum avec un soupçon de lancinant et de fascinant?.[9] C’est bien possible.
Avant de présenter une lecture articulée du poème, attachons-nous à décoder cette plante qui a une longue tradition littéraire chez les Anciens et regardons quelques-unes de ses images, disponibles sur Internet. En somme, essayons de comprendre. De la même façon que l’agami-chien de garde est négatif et pourrait être facilement articulé à un thème classique en littérature française (le chien, “animal servile” en opposition à son doublet noble, dans “La mort du loup”, de Vigny, par exemple), cette plante est négative, ce qui est plutôt rare chez Césaire. Le seul exemple semblable venant immédiatement à la mémoire des lecteurs du poète serait celui de la canne. Pour la canne, on le comprend facilement: elle a partie liée avec l’esclavage.
Consultons le Glossaire publié par René Hénane: nous y trouvons une notice assez longue mais elle ne nous apporte aucun élément permettant de comprendre l’aspect fortement et franchement négatif de cette plante dans notre poème.[10] Sa source: le Grand dictionnaire universel de XIXe siècle de Pierre Larousse (G. Lacour édit.). L’anecdote sur Jules César y est inutile: au lieu d’expliquer, elle augmente l’opacité du passage.
Le lexique de la poésie d’Aimé Césaire, publié en annexe au livre de Papa Samba Diop, La poésie d’Aimé Césaire. Propositions de lecture (Champion, 2010), offre une notice intéressante. Après avoir cité le même passage du poème “Marais nocturne” et confirmé l’alternance possible des deux formes lascinatum et laciniatum, l’auteur note:

Silphium-lascinatum (ou Silphium laciniatum):
Plante vivace pouvant atteindre deux mètres de hauteur, avec des fleurs jaunes ou blanchâtres comparables à celles du tournesol. Elle est courante dans le Maryland (USA) et en Floride (USA), mais présente quelques espèces aux Antilles. On peut la retrouver sous le nom de “plante boussole” (id., p.513)

D’après la notice de Samba Papa Diop, fort différente, comme on le constate aisément, de celle de René Hénane , cette plante mystérieuse serait une sorte de tournesol se guidant par le soleil, d’où son autre nom populaire “plante boussole”. Mais la question centrale reste la même: pourquoi est-elle négative? Exemple intéressant qui confirme qu’un dictionnaire, quel qu’il soit, n’est qu’une première étape vers la lecture de certains passages césairiens. La lecture doit partir forcément de l’intertextualité césairienne, autrement dit des textes, et non pas des dictionnaires qui ne donnent que ce qu’ils peuvent donner: une liste ouverte et parfois disparate de sens.
La plante Silphium laciniatum aurait été décrite en 1753 par Carl Linnaeus.
La graine du silphium ressemblerait au symbole traditionnel du cœur . D'autre part, le silphium était très largement utilisé dans l’Antiquité comme contraceptif. Pour ces deux raisons, le silphium était souvent associé à l'amour et à la sexualité. La plante silphium est mentionnée dans le septième poème de Catulle, qui est une déclaration d'amour à Lesbia; l'expression lasarpiciferis Cyrenis au 4e vers signifie: Cyrène où pousse le silphium . Ces informations prises à un article sur la plante dans Wikipédia, malgré leur intérêt, ne sont pas encore satisfaisantes.[11] Elles n’offrent pas de piste de lecture au texte de Césaire et surtout aux connotations négatives. Par contre, Pausanias nous ouvre une “tracée” à explorer.
Dans sa description de la Grèce (Périégèse), le géographe et voyageur de l’Antiquité, Pausanias, raconte une histoire qui peut avoir attiré l’attention de Césaire.[12] Elle commence avec les Dioscures (paire de jumeaux, fils de Zeus, qui rappelle les Marassa dans le vaudou ou les Ibeji dans le candomblé brésilien) qui demandent en vain l’hospitalité à un homme dont ils enlèvent, en punition, la fille vierge laissant à sa place une fleur, le silphium:

Les Dioscures, s'étant présentés chez ce Phormion comme des étrangers, lui demandèrent l'hospitalité en disant qu'ils venaient de Cyrène, et ils prièrent qu'on leur donnât la chambre qui leur plaisait le plus lorsqu'ils étaient parmi les hommes. Phormion leur répondit que tout le reste de la maison était à leur disposition, excepté la chambre qu'ils demandaient, parce qu'elle était occupée par sa fille qui n'était pas encore mariée. Le lendemain, la jeune fille avait disparu ainsi que toutes celles qui la servaient, et on trouva dans la chambre les statues des Dioscures et une table sur laquelle il y avait du silphium. Pausanias, Périégèse, l. III, chap. XVI

Au lieu de se référer à contraceptif ou à plante à propriétés antispasmodiques comme le font de nombreux textes, pour Césaire, du point de vue mythique, la plante silphium[13] est négative, car elle empêche un père d’avoir une descendance qui le ferait vivre après sa mort. Elle est le don empoisonné des jumeaux divins à un père qui a posé des restrictions à l’hospitalité due aux dieux. Elle signe l’arrêt du flux des générations. Perdant sa fille, un père perd ses descendants à venir.
 Si l’oiseau agami est lié à la servitude car il est facilement domesticable, la plante silphium lascinatum a partie liée avec la mort et la stérilité, car elle interrompt le flux de la vie. Tous les deux sont des symboles négatifs et dans le cas de la fleur blanche ou jaunâtre, bien que son autre nom courant soit “plante boussole”, son aiguille s’est immobilisée. Elle est aveugle et sourde au Nord et au Sud. Elle n’indique plus le Nord, partant le Sud.
Une fois décodée cette paire symbolique, formée par un oiseau et une plante au fond maléfiques, nous considérons que l’entrée en matière est terminée. A partir de ces notes initiales, presque de déblaiement du terrain, on peut proposer désormais une lecture articulée du poème “Marais nocturne”.

LE MARAIS ET LE LASSO SYMBOLIQUE DU SERPENT | Le marais chez Césaire c’est la matière indifférenciée, grosse de toutes les virtualités et des germinations invisibles. Le marais n’est nullement maléfique chez Césaire. “Miasme[14], on le dit, mais c’est faux. Là sont les serpents. Là encore, “les scaphandriers de la réclusion qui reviennent à la surface remiser leur tête de plomb et de verre, leur tendresse. Notons déjà l’inversion: normalement les scaphandriers[15] plongent, ici ils remontent à la surface et nous apportent “leur tendresse”. “Je te donne acte que l’on m’avait trompé”, note encore le narrateur. Ce pronom te s’adresse-t-il au lecteur ou à Breton? A tous les deux probablement.[16]
Le marais est encore le règne du grand serpent primitif, le Dan africain ou encore, pour garder la couche signifiante hindoue particulièrement importante dans ce court poème, l’Ananta qui enserre dans ses anneaux la base de l’axe du monde. Il est le porteur du monde dont il assure la stabilité.
Mais il y a deux manières du point de vue symbolique de maintenir: ce peut être en portant sur son dos ou ses épaules (comme Atlas, par exemple, chez les Grecs ou l’éléphant avec ses quatre pattes piliers), ce peut être en embrassant le créé d’un cercle continu, qui empêche sa désagrégation. C’est ce qui fait ce serpent “lové autour de son nombril”. Au début du poème césairien, le lasso se met en mouvement “déroulant son lasso”.
Le marais est encore un lieu de protection: les passages retranchés du poème dans sa deuxième version mettaient en relief ce lieu de maturation protégeant le narrateur du “mauvais œil”.
 Ananta est un serpent (nâga) de la mythologie indienne qui forme une paire avec la Kundalinî. Son nom en sanskrit signifie sans fin ou sans limite, éternel ou infini. Reposant sur les eaux primordiales, Ananta, le serpent cosmique, sert de couche à Vishnu lorsque celui-ci se repose après la dissolution (pralaya) d'un univers ancien, en attendant que Brahmâ renaisse de son nombril et crée un univers nouveau. Dans le Baghavad gita (chant X) Krishna se définit ainsi: je suis Ananta entre les nagas. Césaire résume donc, dans son poème, une lecture personnelle du grand poème spirituel hindou.


UNE ALOUETTE FUMEE QUI FUME OU LA FABRIQUE SURREALISTE

La publicité est la fleur de la vie contemporaine,
elle touche à la poésie.

Blaise Cendrars

La seconde strophe de notre poème – “Et me voilà installé par les soins obligeants de l’enlisement au fond du marais et fumant le tabac le plus rare qu’aucune alouette ait jamais fumé” - est tout d’abord un clin d’œil à un texte contemporain de Breton, Arcane 17.
L’histoire est connue: Breton et Elisa visitent ensemble le Canada en 1944. Arcane 17 est un texte de Breton (1896-1966) écrit du 20 août au 20 octobre 1944, pendant un voyage en Gaspésie, sur la côte est, avec la chilienne Elisa Claro, rencontrée en décembre 1943, à New York.
À la fois récit d’une rencontre amoureuse et essai, Arcane 17 est une oeuvre riche d’allusions poétiques, politiques et ésotériques. Le titre fait référence à la fois à la dix-septième lame du tarot, où figure l’Etoile et aussi à la dix-septième lettre de l’alphabet hébreu (le peh) qui évoque, en tant que signe, la langue dans la bouche.[17] L’édition originale de l’oeuvre a paru en décembre 1944, en 325 exemplaires, avec des illustrations du peintre chilien Matta (1911-2002) chez Brentano’s, éditeur et libraire dans la 5e avenue à New York.[18] La même maison a publié également la seconde version du Cahier, comme on le sait, en janvier 1947. Césaire a très certainement connu le texte de Breton.
L’évocation du Canada français est passionnante sous la plume de Breton. Il y retrace le portrait d’un pays isolé, protégé et archaïsant sous la coupe obscurcissante de l’Eglise catholique [19]: or une marque très connue de tabac naturel s’appelle, au Canada, Alouette. En voici une image de ce tabac à fumer, dans une publicité des années 40; le refrain était Alouette, gentille Alouette,/ Alouette je te fumerai .
Résumons: Breton ré-cite la publicité d’un tabac à cigarette naturel canadien qui transforme et “piétine tout le vieux Valois de Nerval”; Césaire, dans son poème, joue avec la trouvaille que son ami vient de faire: le narrateur à la première personne, dans “Marais nocturne”, enlisé dans la boue, fume le tabac Alouette et transforme la marque en sujet fumeur. Autrement dit: l’objet qu’on fume devient sujet fumeur. Le tabac Alouette était surtout prisé par les fumeurs de pipe.
Une sorcellerie a lieu: ce qu’on fume devient fumeur et dans les volutes de la fumée qui monte, le marais se transforme.[20] Colibri peut être dépecé dans la chanson antillaise fort connue mais Alouette devient son doublet victorieux et un adjuvant au poète.
Du miel aux cendres, le deuxième tome des Mythologiques de Claude Lévi-Strauss, publié en 1977, partant de l'opposition entre le miel et le tabac, explore à travers des mythes américains deux itinéraires complémentaires: car le miel exprime la puissance séductrice de la nature, tandis que la fumée du tabac s'élevant vers les êtres surnaturels retient l'homme sur la voie qui l'éloigne de la culture. Avant le texte savant de l’anthropologue, l’intuition poétique de Césaire a vu juste.
Dans le poème, le narrateur fumant le tabac le plus rare qu’aucune alouette ait jamais fumé, ouvre la porte à la découverte des serpents (bénéfiques) du marais.

LE SERPENT QUI FAIT CHANTER | Nous avons identifié dès le départ le thème de la Kundalinî intérieure: nous n’y reviendrons pas. La montée du serpent qui connaît une ascension que nous pouvons caractériser comme cosmique dans le Cahier, a lieu ici du point de vue personnel et dans le microcosme d’un corps humain. L’un d’eux siffle le long de ma colonne vertébrale, puis s’enroulant au plus bas de ma cage thoracique, lance sa tête jusqu’à ma gorge spasmodique.”
Deux remarques s’imposent néanmoins: la pluralité des serpents dans le marais et le sifflement[21] qui accompagne l’ascension de l’un d’eux le long de la colonne vertébrale. Mais à l’inverse de l’horreur que vit Oreste se jetant dans la mort, le narrateur éprouve une extase sexuelle. La montée de la Kundalinî (figure et force féminines, il ne faut pas l’oublier) permet la conjonction heureuse du masculin avec le féminin. Mais cette conjonction fortement érotique et sexuelle naît d’une inversion: la force féminine est phallique (c’est elle qui “lance sa tête”) et la “gorge spasmodique”, de l’homme correspond d’une certaine manière à un utérus masculin, où naissent le spasme du plaisir et partant le chant. Comme toujours, chez Césaire, l’union amoureuse correspond à la conjonction de deux androgynes.[22]
Le narrateur peut enfin chanter. Sa langue se libère dans la joie.

EN GUISE DE CONCLUSION | La poétique césairienne est à cheval entre l’oral et l’écrit, entre la mémoire de l’oral (mémoire d’une chanson enfantine recueillie et glosée par Nerval et transformée par Breton à partir d’une publicité canadienne de tabac à fumer) et la mémoire de l’écrit (dense intertextualité qui reprend et métamorphose sans cesse une longue tradition littéraire, depuis les Grecs avec Pausanias ou l’épopée hindoue du Baghavad gita jusqu’aux poètes contemporains). Dans notre cas précis, il y a encore mémoire discrète de la gravure de Matta: le scaphandrier qui remonte au lieu de plonger sort de l’illustration exécutée par l’artiste chilien. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer l’Arcane 17 (L’étoile) dans le Tarot de Marseille avec la version de Matta (Les Etoiles, au pluriel).
La lecture d’un poème de Césaire devrait toujours être tentée à partir de ses propres textes: c’est là que se cachent les tracées à suivre. En d’autres termes, un poème césairien peut contredire, transformer ou dialectiser les significations listées par des dictionnaires[23], même les plus savants. Le poète crée ses propres structures de signification à partir de la fusion de mythes différents. Dans le cas de “Marais nocturne”, le poème recèle encore une teinte humoristique qui ajoute à son charme.
La lecture de ce poème permet d’élargir le champ de l’intertextualité césairienne, faisant y entrer non seulement des textes sacrés de l’Inde mais également une réponse ironique à Breton et une référence occulte à une gravure de Matta, le grand peintre chilien.
Enfin, on ne peut ignorer que, dans l’intratextualité césairienne, cette Alouette qui fume, adjuvant à la montée de la Kundalinî intérieure chez le narrateur, se place comme dans le miroir, c’est à dire en l’inversant, devant un autre poème puisé dans l’oralité qui récite l’histoire tragique de Colibri[24]:

Beau sang giclé
tête trophée membres lacérés

dard assassin beau sang giclé

ramages perdus rivages ravis

enfances enfances conte trop remué
l’aube sur sa chaîne mord féroce à naître

ô assassin attardé

l’oiseau aux plumes jadis plus belles que le passé

exige le compte de ses plumes dispersées (in Ferrements, 1960, in La Poésie, Seuil, p. 336)

Notre petit texte sur Marais nocturne”, pourrait s’intituler également: Colibri[25] dans le miroir heureux d’Alouette. Ou encore Alouette qui fume et le grand serpent intérieur qui fait jouir et chanter.
Dans un passage de son entretien avec Edouard J. Maunick, de 1976, repris par France Culture en novembre 2001, Césaire affirmait l’importance des sources orales:[26]

Autrement dit à côté de la culture entre guillemets officielle que je recevais dans les livres et dans les lycées, culture que je ne renie nullement d’ailleurs qui est une composante de moi-même, comme de nous tous d’ailleurs. A côté de cette culture livresque-là il y avait une culture plus fondamentale encore, c’était cette culture populaire qu’on appelait le folklore autrement dit au sens étymologique du mot la culture du peuple. Celle-là est très importante. On ne tient jamais suffisamment compte quand on parle de l’œuvre d’un écrivain. On tient trop souvent compte des sources livresques avec la bonne vieille méthode lansonnière[27]. On cherche les sources écrites, mais les sources non écrites, mais les sources orales, que ne sont-elles pas plus riches et plus jaillissantes?


II | “Etat des lieux”: à propos d’un poème tardif de Césaire ou pour dire encore l’espoir

INTRODUCTION | Suivre la mobilité d’un texte de Césaire - que ce soit le Cahier ou les grands poèmes épiques du début de sa carrière, ses pièces de théâtre ou encore ses essais - à partir de leurs différentes versions publiées est un exercice que plusieurs ont déjà fait.
Nous proposons ici de suivre, dans un poème très tardif, de 1993[28], les étapes en-deçà de la première publication, à partir de trois brouillons recueillis et aimablement communiqués par le poète Daniel Maximin, que nous remercions ici vivement.
Déchiffrer le premier jet des vers et accompagner les changements successifs, les reprises et les abandons, les hésitations et les choix, à la quête progressive de l’épure est un plaisir pour le lecteur attentif qui pourra consulter trois brouillons avant la copie finale où le vieux poète, presque aveugle, met au clair son poème intitulé enfin “Etat des lieux”. Pour le faire, le lecteur devra suivre, en sens inverse, les trois versions, photocopies en annexe, numérotées 3, 2 et 1, jusqu’à la calligraphie bien dessinée du passage au net, sans ratures ni bavures. Lorsqu’il arrive enfin à la version définitive de son poème, Aimé Césaire signe et date: le 15 avril 1993. La mi-avril c’est vers la fin de la période de l’année qu’on appelle à la Martinique le Carême[29].
Quels sont en fait les “lieux” du poète? C’est, à la fois, son propre corps qu’il habite, sa place au monde et surtout le monde.
Le dernier recueil publié en vie du poète martiniquais, comme on le sait, est moi, laminaire… (Seuil, 1982). Daniel Maximin et Gilles Carpentier, dans leur édition de la Poésie[30], de 1994, ont ajouté, à l’ensemble de la production poétique de Césaire, un recueil de vingt-deux textes: Comme un malentendu de salut…, titre ambigu, pris à l’un des poèmes. Ce recueil ajouté comportait des poèmes de différentes dates, en particulier des tombeaux ou des hommages, publiés dans de différentes revues et repris ici et là. Le poème dont nous nous occupons n’en fait pas partie.
En 1993, à 80 ans, Césaire écrit donc un poème intitulé “Etat des lieux” et le garde dans ses papiers. Ce texte d’une vingtaine de lignes est reproduit en tête d’un numéro spécial de la revue Présence Africaine réunissant les communications du colloque de Cérisy-la-Salle pour fêter le centenaire de la naissance du poète: 2014 est donc la date de sa toute première publication, posthume, bien entendu.
Considérons tout d’abord le titre de ce poème. Un état des lieux du point de vue légal et commercial se fait au moment de louer ou quitter un appartement. Il s’agit d’une description minutieuse de l’état d’un logement et de ses équipements pièce après pièce, du sol au plafond, sur un document réservé à cet usage avant la signature d’un contrat ou de sa résiliation. Deux états des lieux distincts sont faits, l’un à l’entrée dans les lieux, l’autre au départ du locataire, lorsqu’il rend les clés, à la fin du bail, au propriétaire.
Le thème de l’inventaire individuel ou du cadastre collectif est récurrent chez Césaire, dans ses poèmes comme dans son théâtre. Le premier état des lieux césairien est de toute évidence le Cahier d’un retour au pays natal. Notre poème en est sans doute son dernier état des lieux, avant de partir.
Deux aspects nous intéressent:
a) les successives transformations du texte à travers ses brouillons successifs (à consulter en annexe, on le répète) et
b) la quête incessante pour mieux dire encore l’impatience devant la vie qui renaît et la persistance de l’espoir chez un vieux monsieur au moment de saluer la Solitude (ou la Mort) qui vient.
Autrement dit: comment le texte se métamorphose pour exprimer encore la confiance du poète dans les gisements profonds de l’homme et de la Terre, le micro et le macrocosme en permanente interaction l’un avec l’autre.

LE POEME DANS SON ETAPE ULTIME, DATEE DU 15 AVRIL 1993.[31]

ETAT DES LIEUX

Sources jamais taries
mares non desséchées
abrité derrière mon rideau de fougères
j’affronte le passage
imperturbé d’avoir parlé de ma gorge resserrée
les cent gorges de l’amont
et hélé par le langage les pistes de l’avenir

Amont - Mémoire porteurs échelonnés
par cendres et boues
ma querelle qu’on le sache
est non à la désespérance
mais à l’impatience toujours
avec l’émerveillement requis du bourgeon ébloui d’épiaison

quand en contremarche s’appareille
l’arrogance d’une saison
ô fatigue du jour
vous ressassement de terres
fantômes exaspérées
le crépuscule hésite encore sous le porche
soupçonné d’arc-en-ciel
le temps de saluer le spectre en son site
crédible
vêtu de lichens et d’épiphytes
la Solitude qui passe.

Aimé Césaire, Fort-de-France, 15 avril 1993.

Avant d’analyser les changements du texte, jetons un coup d’œil sur quelques mots considérés du point de vue thématique ou, comme dirait Barthes, à partir d’un réseau organisé d’obsessions[32].

COMME ABRAHAM?

Je suis cendres et poussière.

Genèse, 18, 27.

Les lecteurs des leçons talmudiques d’Emmanuel Levinas[33] savent tout ce que l’on peut tirer de l’étrange réponse d’Abraham à l’Eternel qui l’interpelle: je suis cendres et poussière”. Humilité, conscience de sa fragilité et refus de toute arrogance. Pour le narrateur césairien, l’Amont et la Mémoire sont porteurs échelonnés de cendres et boues. Cendres correspond à tout ce qui a brûlé dans les incendies, répétés le long des saisons; boues, terrain gluant, correspond à la raque infertile, évoquée par le Roi Christophe qui se veut/voit potier et constructeur de son pays et de son peuple. [34]
La poussière d’Abraham est sèche, les boues du poète ont forcément encore de l’humidité. C’est au fond la seule différence entre le vieux patriarche et le narrateur de notre poème: un zeste d’humidité.
Échelonner est:
a) disposer des choses, des gens, de distance en distance (échelonner des poteaux à dix mètres d’intervalle);
b) répartir progressivement, régulièrement quelque chose dans le temps; étaler (échelonner un paiement sur des années);
c) répartir par paliers ou degrés; graduer (échelonner les difficultés);
d) disposer une troupe en échelons successifs.
Caché dans la nature et protégé par un rideau végétal, le narrateur imperturbé affronte le passage. Quel passage? celui de la Solitude au crépuscule, l’heure de l’apparition des spectres, croit-on. Le narrateur a toujours été un être de parole: il a parlé du passé (l’Amont) et il a hélé les pistes de l’avenir.

LE THEME DE L’AMONT ET DE LA MEMOIRE | Nous avons toujours soutenu que les différents textes de Césaire s’éclairent mutuellement. C’est la voie royale pour mieux lire sa poésie. La consultation des glossaires publiés, même les plus érudits, n’est qu’une première étape pour le déchiffrement de certains poèmes. L’ambiguïté peut naître non pas des mots abscons (ils sont d’ailleurs rares dans ce poème tardif: au fond, il n’y a qu’un seul, épiphytes, peut-être encore épiaison) mais de l’agencement syntaxique ou du recours sournois au sens étymologique.
Les notions de l’Amont et de la Mémoire reprennent un texte fort peu connu du poète - absent encore de la grande édition dirigée par James Arnold mais que l’on peut retrouver dans la collection de la revue Présence Africaine - sur le poète Jean Amrouche[35]. Césaire, dans une sorte de tombeau en prose, écrit que la grandeur pathétique du Kabyle est de n’“avoir sacrifié ni l’amont ni l’aval, ni son pays ni l’homme universel, ni les Mânes ni Prométhée”. Autrement dit, d’avoir gardé “les gorges de l’Amont” qui se confond dans notre texte avec la Mémoire. D’où le substantif composé: “Amont-Mémoire”.

QUELQUES CHAMPS SEMANTIQUES OBSEDANTS

Le savoir d’un maitre des feuilles | Considérons un instant d’autres champs sémantiques de ce poème tardif. Ce qui saute immédiatement aux yeux c’est le nombre des mots liés au végétal ou à la croissance végétale: fougères, bourgeon, épiaison, lichens, épiphytes. Dans la nature, mieux: dans la forêt, le narrateur cite des formes simples de végétaux ou alors attend l’apparition du grain. Jetant un regard rétrospectif sur sa vie, protégé par un rideau végétal, il évoque l’arrogance de la saison qui vient. Littéralement: “quand en contremarche s’appareille l’arrogance d’une saison. La saison arrogante est celle de la mort (mort de la végétation, mort de l’homme). Elle s’annonce comme, chez Baudelaire, comme un vaisseau en train d’appareiller, de lever l’ancre.
Appareiller, intransitif, en langage de la Marine, veut dire: se préparer à prendre le large, mettre la voile.
Le narrateur, près de mourir, est encore impatient pour l’avenir, émerveillé toujours devant la possibilité de voir encore croître l’épi nouveau.
Dans tous les cultes afro-américains, il y a un orisha ou un loa lié à la plante (Osain au Brésil) et dans chaque barracão e/ou houmfò officie un maître des feuilles, à savoir, quelqu’un qui connaît les plantes et surtout sait les mélanger. Césaire, dans toute sa poésie, apparaît d’une certaine manière à ses lecteurs comme un vrai maître des feuilles.
Les épiphytes (du grec έπί, “sur” et φυτόν, “vegetal”: littéralement: “à la surface d’un végétal”) sont des plantes qui poussent en se servant d’autres plantes. Mais il ne s’agit pas de plantes parasites, car elles ne prélèvent rien au détriment de leur hôte, simple support. Les épiphytes sont des organismes autotrophes photosynthétiques: capables d’absorber l’humidité de l’air et de trouver les sels minéraux, d’une part, dans l’humus qui se forme à la base des branches et d’autre part, dans les particules absorbées dans l’eau de la pluie et des rosées. Ce type de plantes se retrouve surtout dans la zone intertropicale, plus particulièrement dans les forêts pluvieuses. Comme dans la forêt d’Absalon à la Martinique.
Épiaison, en Agriculture ou en Botanique, c’est le stade des graminées qui correspond à l’apparition de l’épi[36] hors de la gaine de la dernière feuille. Dans la grande famille des graminées, les plantes qui ont, non seulement alimenté les hommes pendant des millénaires, mais encore donné naissance à des mythes de fondation des civilisations (le blé, le sarrasin, l’orge, le seigle, les mils, le maïs, le riz etc.), sont des végétaux à épi. L’épiaison c’est le moment même de la croissance, de la venue à la lumière du grain nourrissant. Le texte suggère clairement la lumière: “ébloui”. Une sorte de naissance ou d’accouchement. Si l’on regarde l’une des versions antérieures du poème, le texte registre: “en mal d’épiaison” comme on dirait “en mal d’enfant”. C’est le moment où l’homme, prenant conscience de cet accouchement végétal, pense à moudre le grain et le met au four, faisant naître la cuisine, c’est-à-dire, la culture. Et grâce à la culture l’homme prend conscience de la mort, la sienne et celle de l’autre. Ainsi que de la possibilité de renaître. Si le grain ne meurt…

La parole et la gorge | Le second champ sémantique important a partie liée avec la parole: “ma gorge resserrée” (notons que resserrer est plus que serrer, c’est serrer davantage), “les cent gorges de l’amont”, “hélé par le langage les pistes de l’avenir”. Le narrateur est par excellence celui qui a parlé, malgré son émotion ou sa crainte, celui qui a pris la parole pour les autres, celui qui a hélé, autrement dit: interpelé à haute voix. Dans le passé et pour l’avenir, en amont et en aval.
Avec héler nous revenons encore à un terme de Marine. Le dictionnaire de l’Académie informe:

Héler. Marine. Appeler, au moyen d’un porte-voix, à la rencontre d’un navire, pour demander d’où il est, où il va, ou pour faire d’autres questions à l’équipage. Héler un navire.
(Par extension). Appeler en se servant de ses mains comme porte-voix, interpeler.

L’eau qui persiste encore | Le poème dans sa version finale commence par deux vers: “sources jamais taries,/ mares non desséchées”. De l’eau avant tout chose, encore et toujours. L’eau - celle qui surgit de la terre, ou que la terre en garde encore, un peu d’humidité, de l’eau immobile, même apparemment dormante -, permet la vie. Le fait qu’il y ait un soupçon d’arc-en-ciel sous un porche implique qu’il y ait, quelque part, de l’eau pour réfracter la lumière.
La source et le pré constituaient les topos essentiels de la poésie lyrique occidentale depuis le Moyen Age, selon Leo Spitzer. Césaire y ajoute un autre topoi, la mare. Son Caliban en parle: c’est là que se cache Sycorax, sa mère:

Et je te retrouve partout:
dans l’œil de la mare qui me regarde, sans ciller, à travers les scirpes.
Dans le geste de la racine tordue et son bond qui attend. Dans la nuit, la toute voyante aveugle,
la toute-flaireuse sans naseaux.

(Une Tempête, I, 2, in Aimé Césaire. Poésie, Théâtre, Essais et Discours. Edition critique. Coordinateur Albert James Arnold, p. 1216)

 Un autre poème césairien chante le marais nocturne[37] et sa richesse insoupçonnée, car au fond de l’eau dormante sont les serpents.

Le temps et l’impatience du narrateur | Le rapport au temps dans ce poème est à peine suggéré mais le rapport de l’homme au temps est clairement indiqué: impatience toujours non pas devant le nouvel épi mais devant la répétition continuelle des mêmes choses qui ne changent guère (“ressassement”). 
D’ailleurs la construction syntaxique peut sembler ambiguë avec le rejet en enjambement d’un substantif fonctionnant comme adjectif: il faut comprendre, nous semble-t-il, terres qui deviennent fantômes[38] car elles se vident et par là même s’exaspèrent, sans vivre leur vérité. En d’autres termes: il faut éviter à tout prix la tentation de corriger ou de normaliser le texte. Consultant les manuscrits, le lecteur se rend compte que Césaire n’a pas hésité ni corrigé: “vous ressassement de terres /fantômes exaspérées”.[39]
Rappelons que le terme fantôme, dans le langage courant, est souvent ajouté à des noms de choses matérielles abandonnés (ville fantôme de l’Ouest américain, stations fantômes du Métro parisien), disparues (membre fantôme, île fantôme) ou échappant à la perception directe (génome fantôme, énergie fantôme, emplois fantômes), clandestines (détenus ou prisonniers fantômes) etc. Dans les bibliothèques et archives, on laisse une fiche fantôme à la place d’un document retiré d’un fonds jusqu’à son retour.

LE SPECTRE

La croyance que les spectres s’enfuient au point du jour est immémoriale; l’origine de cette idée vient uniquement des rêves qu’on fait pendant la nuit, et qui cessent quand on s’éveille le matin.

Voltaire, Phil. Bible, Genèse, cité par le Littré.

Si les spectres s’enfuient de façon immémoriale selon Voltaire au point du jour, ils surgissent toujours au crépuscule. Ce poème apparemment assez simple comporte encore une autre ambiguïté. Qui est ce spectre? Et quelle est sa forme? Pourquoi vient-il?
Le mot latin spectrum, vient du verbe specio (“regarder”, “regarder attentivement”, “examiner”, “méditer”, et par là “se préoccuper”) avec le suffixe -trum. Le spectre est celui qui regarde ou celui qu’on croit voir? A-t-il un sens actif ou passif? En d’autres termes: c’est Hamlet qui découvre le spectre ou le spectre qui regarde Hamlet? Du point de vue étymologique, - et Césaire joue souvent sur le sens originel -, le spectre est celui qui porte son regard, ses yeux inquisiteurs sur nous et sur le monde. Il est essentiellement actif. Le narrateur est donc le spectre.
Au spectral s’attachent, sous forme d’oxymore, en même temps un aspect presque ludique - le spectre serait ce qui n’existe pas vraiment, ce qui relève du simulacre, de l’apparence - et un aspect vigilant, à la limite de l’angoisse. Le spectre, c’est encore ce qui, dans les mots de Freud, dans “Le petit Hans”, “est demeuré incompris [et] fait retour comme une âme en peine, il n’a de repos jusqu’à ce que soient trouvées résolution et délivrance” (Freud, 180). C’est ce qui reste, ce qui se maintient, la mémoire, la cendre (“Il y a là cendre”, écrit Derrida dans Feu la cendre[40]), les ombres. Le spectre est aussi le vide, l’absence, devenus lisibles déjà.
Revenons un moment aux végétaux du poème (fougères, lichens, épiphytes) qui tous, sans exception, vivent de façon autonome et se développent - sans le parasiter - sur un support, normalement un grand arbre dans une forêt humide. Ces végétaux couvrent, cachent ou protègent le spectre: le lecteur découvre enfin la forme du spectre qui le regarde. C’est un arbre occulte dans la trame du texte. Comme dans tout texte césairien[41].
Avançons encore: les épiphytes surgissent dans des forêts sur terre mais aussi dans des forêts sous-marines, appelées des forêts de kelp[42]. Césaire le sait, car à la fin de sa vie, il se présente du point de vue poétique, dans son dernier recueil, comme algue laminaire, elle aussi épiphyte. Cependant tout porte à croire que du point de vue imaginaire, le paysage, dans ce dernier état des lieux, est terrestre et non pas marin[43].
La réflexion sur le spectre/narrateur permet de faire une distinction importante du point de vue symbolique: abrité, couvert, dissimulé par des épiphytes, forme primitive et archaïque de la végétation, le spectre attend, appelle la naissance de l’épi - mieux: l’épiaison - qui permet et fonde la culture. La vraie.

LA MOBILITE DU TEXTE A LA QUETE DE L’EPURE | Une œuvre mobile. Aimé Césaire dans les pays germanophones (1950 – 2015) est le titre d’un essai récent de Ernstpeter Ruhe publié par Königshausen & Neumann. Le critique allemand prouve à travers maints exemples l’instabilité du texte césairien.
Regardons les trois brouillons successifs et leurs ouvertures. Dans les deux plus longs, presque un gribouillis difficile à déchiffrer couvrant la page tout entière dans plusieurs sens, notons tout au début:
a) première version, au numéro 3: sources taries/ et mares desséchées/ j’affronte le passage de grisaille/ impertubé d’avoir d’amont parlé/ l’insupportable langage à l’Espoir/ qu’on …../ ma parole est non à/ la désespérance/ mais à l’…./ d’émerveillement au bourgeon/en mal d’épiaison
b) deuxième version, au numéro 2: sources non taries/ mares non desséchées/ j’affronte le passage/ imperturbé d’avoir parlé le langage et hélé l’avenir /ma querelle non à la désespérance mais à l’exigence…
c) version finale, non-numérotée, avec date et signature: sources jamais taries/ mares non desséchées/ j’affronte le passage/ imperturbé d’avoir parlé de ma gorge resserrée /les cent gorges de l’amont/ et hélé par langage les pistes de l’avenir…
Notons encore: l’effacement des rimes trop faciles (exigence/désespérance), déplacement de mots à l’intérieur des vers (le langage); la disparition de certains mots liés au ressentiment (ma rancœur d’autre… un sursaut…; le paysage de grisaille…; l’insupportable langage à l’esprit qu’on hasarde).
Le texte se dévoile par découvertes successives comme si le poète lui-même ne savait pas au départ de quoi il parle. Mais l’image centrale, la plus profonde ou la sous-jacente, générant toute une constellation d’images, est celle qu’un spectre (= le narrateur), attaché comme une plante/algue sur son île-rocher, sur terre ou sous la mer, ayant la forme d’un arbre aux longs bras dansant au gré du vent ou des vagues.
Je soupçonne que le vieux monsieur ayant de plus en plus des difficultés à lire et à voir le monde dont les images bougent à cause de son état physique de demi-cécité avec troubles de la vision, regarde en amont et en aval sa vie et en fait un dernier état des lieux. C’est le moment de rendre sa clé. A demi-aveugle, comme Borges, ayant perdu le contour et la couleur des choses qui se mettent à bouger sous le vent ou sous l’eau, le vieux poète, myope depuis toujours, devenu déficient visuel à la fin de sa vie, est étymologiquement le spectre (celui qui regarde, regarde attentivement, examine, médite et par là se préoccupe) et achevant une trajectoire symbolique, atteint la voyance. Ce spectre dit encore l’espoir, car les sources ne sont jamais taries ni les mares desséchées.

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NOTE FINALE

Nous remercions Daniel Maximin, le poète guadeloupéen et l’auteur de l’essai Aimé Césaire, frère volcan (Seuil, 2013) qui nous a comuniqué les trois étapes du manuscrit inédit.


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Agulha Revista de Cultura
Número 115 | Julho de 2018
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[1] Texte publié in Aimé Césaire. Œuvre et héritage. Colloque du centenaire. Fort-de France 2013. Paris, Jean- Michel Place, 2013, p. 345 – 357.
[2] On est en train de créer un corpus césairien, composé de citations, qui n’est pas tout à fait césairien. Lorsqu’on cite un passage, détaché de son contexte, son sens se modifie insensiblement. On cite souvent: “je serai la voix de ceux qui n’ont pas de voix…” Cette séquence est encadrée par des verbes au conditionnel et se termine par une chute “Et voici que je suis venu…” Dans le Cahier, c’est le moment de démystification d’un projet individuel et juvénile. Dans ce sens, il est important de faire des analyses précises sur des poèmes courts ou longs.
[3] Le Bhagavad-gita, poème en sanscrit appartient à la grande épopée Mahabharata: il se compose de 18 chapitres, du Vie livre. Il se présente sous forme de dialogue avec de questions et réponses entre le guerrier Arjuna et de dieu Krishna, juste avant la grande bataille.
[4] Le terme chakhra désigne des centres spirituelsou points de jonction de canaux d'énergie, issus d'une conception du yoga Kundalinî et qui pourraient être localisés dans le corps humain. Il y aurait sept chakhras principaux.
[5] En octobre 1932, C. G. Jung, invité au Club psychologique de Zürich, donne quatre conférences sur cette discipline. Alors que la psychologie de l'époque était sous l'emprise grandissante de la psychanalyse, le yoga de la Kundalinî allait offrir à Jung un modèle qui manquait totalement à la psychologie occidentale: une description, à partir de l'étude symbolique des chakras, des phases de développement de la conscience supérieure. Voir la version française d’un livre de Jung sur la Kundalinî: Psychologie du yoga de la Kundalinî. Albin Michel, Collection Spiritualités vivantes, 2005.
[6] In La Poésie, Seuil, p. 533.
[7] Ce poème figure dans le nº 2 de Tropiques, juillet 1941.
[8] Il fonctionne de la même façon que le “chien”, “animal servile”, en opposition à son doublet sauvage et libre, le loup, dans le poème de Vigny “La mort du loup” (de 1843, dans la Revue des Deux Mondes). Le poète romantique oppose deux canidés, Césaire, deux oiseaux.
[9] La suggestion est de Peter Ruhe. Dans ce cas, Césaire jouerait non seulement avec les connaissances de latin de son lecteur comme ce “nouveau” mot aurait plusieurs couches de connotations. Le fait est que lascinatum ne se trouve pas dans les dictionnaires de latin consultés.
[10] Voici son texte, Glossaire, Jean-Michel Place, p. 121:
Botanique: Ancien nom de l’opium et de l’assa fœtida (gomme résine fétide aux vertus antispasmodiques et que les Asiatiques employaient comme assaisonnement)
Nom donné par les Anciens à une plante ombellifère (Ferula assa fœtida) et à la gomme résine qu’on en extrait. Le silphium (encore appelé silphie) se récoltait en Libye dans les environs de Cyrène. Les habitants de ce pays attribuaient à sa racine des propriétés médicinales antispasmodiques. Le suc de cette racine était tellement estimé par les Romains qu’ils déposaient dans le trésor public tout ce qu’ils pouvaient en acquérir. Jules César le vola, dit-on, au trésor pendant sa dictature. Les plantes qui portent ce nom actuellement sont pourvues d’agrément et se font remarquer par l’élégance et l’ampleur de leur port.
[11] Silphium (antiquité) - Wikipédia fr.wikipedia.org/wiki/Silphium_(antiquité).
[12] Nous savons que Césaire connaît parfaitement Pausanias. C’est une de ses lectures classiques. Voir, dans notre Mémoire et métamorphose, dans le chapitre sur les tombeaux de Césaire, le tombeau de Saint-John Perse où il est question du fleuve Oronte, le fleuve qui coule á l’envers.
[13] Ernspeter Ruhe me fait remarquer encore: “On appelle cette plante “Kompaßpflanze, compass flower/plant” parce que ses feuilles s'orientent dans le sens nord-sud, comme chez Césaire: “du Nord et du Sud”. Un compas qui ne fonctionnerait pas ici, une parole/ qui perd la boussole/.”
[14] Dans le mot miasme (du grec ancien μίασμα: pollution), il y a l’ancienne croyance à une forme nocive de mauvais air. Bien au contraire, le marais est source de vie.
[15] Scaphandre, selon le Larousse, est: Équipement lourd individuel de plongée sous-marine comportant une liaison avec la surface pour la respiration du plongeur.
[16] On verra que ce poème, sans le dire explicitement, est une réponse de Césaire à Breton.
[17] Il n’est pas inutile de noter que l’image de la langue maléfique dans la bouche clôt le Cahier depuis la version de 1939. Ménil, dans un texte fort, analyse l’impact de la découverte de Césaire sur la poétique de Breton: la coïncidence serait également à analyser.
La lettre est la dix-septième lettre de l'alphabet hébreu. Elle correspond au PI de l'alphabet grec et au P des alphabets occidentaux. Sa valeur numérique est: 80. Son sens est: La bouche.
Le Pé est une lettre dont on trace sans difficulté l'évolution. Son graphisme simple est resté, en partie, le même dans ses différentes périodes. Comme plusieurs autres lettres de l'alphabet sémitique - Yod: la main, Khaf: la paume, Resh: la tête -, elle se réfère à une partie du corps humain: la bouche, organe de la parole, du souffle.
 Symbolisme:
Le graphisme égyptien, dont la lettre Pé est issue, évoque une bouche fermée. Au contraire, la lettre hébraïque carrée est ouverte. Le Pé est une bouche contenant un Yod. Il est comme un écrin contenant le divin représenté par la dixième lettre de l'alphabet hébraïque. Ouverte, elle est l'organe de la parole qui crée la matière et le monde. La bouche est le support de la parole, qui, passant de bouche en bouche, peut survivre à la personne qui l'a prononcée. On peut dire, ainsi, que la lettre Pé représente une forme d'immortalité. C'est l'origine de la parole, la vibration primitive de laquelle l'existence matérielle est née.La lettre Pé exprime les forces divines naturelles, la matière première. Lié au Verbe, Pé est ce qui se trouve à l'intérieur. Le Verbe est le Son intérieur. Cette lettre symbolise à la fois la parole et le silence (la bouche parle mais aussi se tait). Dans l'alphabet, Ayin, l'œil, précède Pé, la bouche, car l'œil voit et la bouche exprime.
 La lettre Pé fait partie de la série des sept lettres hébraïques qui désignent une partie du corps humain:
Le : Le corps en prière
Le Yod: La main
Le Kaf: La paume de la main
Le Ayin: L'œil
Le Pé: La bouche
Le Rèch: La tête
Le Chin: La dent
On retrouve la lettre Pé sur la dix-septième lame traditionnelle du tarot de Marseille: Les étoiles"
[18] New York, Brentano's, 1945, 23,2 x 16, broché, 176 pages. édition originale tirée à 325 exemplaires, celui-ci 1/300 sur papier Oxbown, numéroté et signé par André Breton, avec les quatre lames de tarot en couleurs par Matta, montées sur papier Canson fort gris.
[19] Voir, par exemple, le passage: “L'Église catholique, fidèle à ses méthodes d'obscurcissements, use ici de sa toute puissante influence pour prévenir la diffusion de ce qui n'est pas littérature édifiante (le théâtre classique est pratiquement réduit à Esther et à Polyeucte qui s'offrent en hautes piles dans les librairies de Québec, le dix- huitième siècle semble ne pas avoir eu lieu, Hugo est introuvable)….. Tout cela compose, dans l'air admirablement limpide, un écran de protection très efficace contre la folie de l'heure, comme d'une vapeur qui, certains matins, s'étend à tout l'horizon. (Alouette, tabac à fumer naturel, dit candidement ce paquet, à l'image d'un oiseau chantant dans les herbes et, dans ce début de chanson qu'il piétine, tout le vieux Valois de Nerval rejaillit pour s'épuiser aussi vite: Alouette, gentille alouette - Alouette, je te fumerai).
[20] Tous ceux qui ont déjà assisté à une cérémonie d’un culte afro-américain (vaudou, santería, candomblé, macumba etc.) savent l’importance de fumer la pipe. Les pretos velhos au Brésil fument tous la pipe.
[21] Césaire est trop nourri de littérature française pour que le souvenir de la folie d’Oreste ne soit pas derrière son passage: “Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes? ”, (Andromaque, V, 5). Le spectateur est à la fin de la pièce racinienne; Hermione vient de se suicider sur le corps de Pyrrhus et Oreste s’abandonne aux Furies.
[22] Nous renvoyons le lecteur à l’analyse d’un récit cosmique dans le Cahier. Voir notre “La cosmogonie césairienne, fête d’Eros”, in Soleil éclaté. Mélanges offerts à Aimé Césaire. Edités par Jacqueline Leiner. Tübingen (Allemagne), Gunter Narr Verlag, 1984, p. 333-350.
[23] Dans certains cas, les glossaires publiés sur la poésie césairienne peuvent augmenter l’opacité de certains passages.
[24] Colibri est le personnage connu des contes populaires antillais: il y est dépecé.
[25] In Tropiques, nº IV, janvier 1942, p. 7-11, Aimé Césaire et René Ménil signent ensemble un article fort important, “Introduction au folklore martiniquais” où ils lisent l’aventure de Colibri telle qu’elle est contée dans les veillées antillaises:
Un tambour. Le grand rire du vaudou descend des mornes. Combien, au cours des siècles, de révoltés ainsi surgies ! Que de victoires éphémères ! Mais aussi quelles défaites ! Quelles répressions ! Mains coupées, corps écartelés, gibets, voilá ce qui peuple les allées de l’histoire coloniale. Et, rien de tout cela n’aurait passé dans le folklore? Vous connaissez le conte de Colibri. Colibri, contre qui se liguent le Cheval, le Bœuf, le Poisson-Armé et Dieu lui-Même. Colibri et son fidèle compagnon: le tambour !
Poisson-Armé fonçait toujours. Au second coup, ce fut fini.
- Mon dernier combat, dit Colibri qui tomba mort.
Poisson Armé, en toute hâte, ramassa un grand coutelas qui traînait par là, coupa la tête de Colibri, la mit sous la pierre de taille dans la cour de la maison. Alors seulement, il prit le tambour et l’emporta.”
(L. Hearn, Trois fois bel conte…)
Le lecteur pourrait noter: Poisson-Armé qui tue et dépèce Colibri, vient de la mer; il correspond en quelque sorte au “squale”, le chien de la mer de la fin du Cahier tandis que notre Alouette qui fume au fond du marais permet la montée de la Kundaliní et libère le chant du narrateur: elle correspond à l’oiseau qui monte “lécheur du ciel”.
[26] Voir Potomitan Entretiens avec Aimé Césaire - www.potomitan.info/cesaire/entretien_1976b.php
[27] Césaire fait allusion à la méthode de Gustave Lanson.
[28] Poème absent de l’édition de A. James Arnold, présent dans un montage photographique distribué à un colloque international et publié pour la première fois dans un nº spécial de la revue Présence Africaine 1/2014 (N° 189), p. 11, avec l’indication © Succession Aimé Césaire. Avec l’aimable autorisation de Marco Césaire
[29] Février à mai: régime anticyclonique. Lanticyclone des Açores se décale vers le Sud. Les différences de pression, bien marquées sur lAtlantique tropical, dirigent sur les Antilles un flux d’alizé régulier et soutenu en force et en direction, procurant une sensation de confort grâce à l’importante ventilation. Les températures maximales atteignent 28 à 30 degrés laprès-midi. Le temps est ensoleillé et peu pluvieux. Les nuages, peu développés, donnent quelques averses, essentiellement en fin de nuit.
[30] In La Poésie, éd. Daniel Maximin et Gilles Carpentier. Seuil, 1994, 510 p.
[31] Le lecteur lusophone pourra trouver en anexe une tentattive de traduction de ce texte apparemment très simple mais extrêmement subtil..
[32] L’expression est citée dans l’introduction à Michelet par lui-même (Seuil, 1988).
[33] Nouvelles leçons talmudiques. Editions de Minuit, 2005.
[34] La tragédie du Roi Christophe, II, 6.
[35] Le texte est repris en annexe à notre Césaire hors frontières. Königshausen & Neumann, 2015, p. 371 - 374.
[36] En botanique, l'épi est une inflorescence simple. En fait, c'est une grappe dont les fleurs sont sessiles, c'est-à-dire qu'elles n'ont pas de pédoncule et sont directement attachées et serrées sur la tige. Cela donne à l'inflorescence une forme dense, étroite, allongée, en pointe: phallique.
[37] Consulter la lecture du poème de ce nom dans notre Césaire hors frontières. Poétique, intertextualité et littérature comparée. Königshausen & Neumann, 2015, p. 289-301.
[38] L’abandon des campagnes et l’urbanisation des masses autrefois rurales constituent un phénomène décrit par les géographes dans les Antilles anglaises et français.
[39] L’ambiguïté n’est pas perçue immédiatement par le lecteur/auditeur francophone, les formes au masculin ou au féminin (exaspérés ou exaspérées) sonnant de la même façon. Il saute aux yeux et à l’oreille dans la traduction du passage vers des langues où le masculin et le féminin se disent et s’écrivent différemment.
[40] “Il y a plus de quinze ans, une phrase m’est venue, comme malgré moi, revenue, plutôt, singulière, singulièrement brève, presque muette: Il y a là cendre. Là s’écrivait avec un accent grave: là, il y a cendre. Il y a, là, cendre. Mais l’accent, s’il se lit à l’œil, ne s’entend pas: il y a là cendre. À l’écoute, l’article défini, la, risque d’effacer le lieu, la mention ou la mémoire du lieu, l’adverbe là… Mais à la lecture muette, c’est l’inverse, là efface la, la s’efface: lui-même, elle-même, deux fois plutôt qu’une. Cette tension risquée entre l’écriture et la parole, cette vibration entre la grammaire et la voix, c’est aussi l’un des thèmes du polylogue. Celui-ci était fait pour l’œil ou pour une voix intérieure, une voix absolument basse. Mais par là même il donnait à lire, peut-être à analyser ce qu’une mise en voix pouvait appeler et à la fois menacer de perdre, une profération impossible et des tonalités introuvables.”
[41] Seule varie la forme de suggérer l’arbre occulte.
[42] Une forêt de kelp est une zone sous-marine densément peuplée par des macro-algues brunes poussant sur des substrats rocheux. Par sa taille imposante, le kelt procure un habitat unique à bon nombre d'espèces marines. Ces zones côtières figurent parmi les écosystèmes les plus productifs et diversifiés de la planète. Une forêt de kelp se rattache au thème césairien, déjà connu, de l’algue laminaire.
[43] Le paysage marin serait le reflet dans le miroir du paysage terrestre.

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