Laissant de côté les grands
poèmes (Cahier d’un retour au pays natal,
“Batouque”, “Le Grand Midi” ou “Les pur-sang”), il s’agit ici de présenter de très
courts poèmes, assez peu étudiés, qui éclairent de façon lumineuse la poétique césairienne
et révèlent en plus l’extraordinaire cohérence de son imaginaire. Plus de 45 ans
les séparent.
I | Encore la réécriture de l’oralité chez Césaire ou Alouette qui
fume et un serpent qui fait chanter[1]
ENTRANT EN MATIERE | J’ai changé et mon
texte et son titre. Le premier sur l’intertextualité de langue anglaise, présent
sur le programme, s’intitulait “D’une tasse de thé à la soupière d’une dame anglaise”.
Il est devenu trop long et pourrait difficilement être résumé dans l’espace d’une
quinzaine de minutes.
Il me semble urgent de revenir
aux textes du poète[2]
et tout en restant dans le cadre de la poétique et de l’intertextualité césairiennes,
je vous propose une première lecture d’un court poème.
Tous connaissent un court
poème de Césaire “Marais nocturne”, où s’entassent plusieurs animaux parmi lesquels
des serpents, une alouette, un agami-chien de garde ainsi qu’une fleur maléfique,
au nom savant, sorte de tournesol immobile, aveugle au Nord et au Sud. Ce poème
de renouveau de l’être à partir d’un marais est typique de la première phase de
la poétique césairienne où de longs poèmes alternent avec de courtes pièces, textes
souvent opaques aux images surprenantes qui cachent aussi parfois des tonalités
humoristiques.
Dans les textes plus brefs,
souvent, un espace indéfini, primitif et nocturne est habité par un bestiaire inquiétant
et parfois hallucinant. Dans notre cas, un certain couple serpent - oiseau constitue
la fusion de l’oralité traditionnelle et de la Kundaliní. Ce même couple animal
serpent-oiseau, qui libère le chant, apparaissait déjà à la fin du Cahier d’un retour au pays natal depuis la
version de 1939.
Nous nous attachons donc
à dégager les différentes couches de signification de ce court poème: elles sont
au moins quatre ou cinq, à savoir: a) la reprise de la Kundalinî qui renvoie au
texte sacré hindou, le Bhagavad gita[3];
b) un court passage d’un géographe grec, Pausanias, sur la punition qu’apportent
les dieux à ceux qui ne savent pas accueillir le sacré (les Dioscures enlèvent une
fille à son père en lui laissant à sa place une fleur maléfique qui ne sait plus
indiquer le Nord et partant le Sud); c) un clin d’œil ironique à Breton et à son
livre récent, Arcane 17 où il est question
d’une publicité québécoise de tabac à fumer dont le refrain est “Alouette, alouette, gentille alouette je te fumerai”
et enfin d) une allusion discrète à une gravure de Matta, le grand peintre chilien,
qui a illustré le livre de Breton. Avec en plus le recours à des mots rares puisés
dans de nombreuses encyclopédies.
Kundalinî est un terme du
sanscrit qui peut être traduit par “enroulée”, celle qui a la forme d’un serpent.
Le mot est féminin, il doit être accentué et prononcé avec un i long (De Rose, 1992,
1999, 2007). Selon des documents hindous anciens comme des auteurs contemporains,
la Kundalinî serait une forme de bioénergie latente dans le corps humain, concentrée
sur la base de la colonne vertébrale, dans la région des organes sexuels, qui transmettent
la force vitale.
La Kundalinî est “endormie”
comme un serpent de feu, enroulé trois fois et demie autour du svayambhu linga(m) (le phallus), dans le
chakra[4] de base: son sommeil peut obstruer
le brahmadwára, autrement dit la “porte”
de Brahmâ, l’être, la conscience suprême (Eliade, 1954).[5] Il faut l’éveiller et la faire
monter pour atteindre un moment d’extase et de communion.
Voici ce texte à la fois
mystérieux et explicite, car il nomme en caractères majuscules “LE SERPENT LOMBAIRE”, paru pour la première
fois dans Soleil coup coupé, recueil publié
en 1948, à Paris, aux éditions K. Ce volume sera repris ensemble avec Corps perdu, précédemment paru en 1949 en
édition de luxe (Fragrance, éditeur) avec trente-deux eaux-fortes de Picasso. Le
nouveau recueil s’intitule alors Cadastre
(Seuil, 1961).
Les dictionnaires français définissent d’une
manière générale cadastre comme un document
dressant l’état de la propriété foncière
d’un territoire, espace donc à baliser et à prendre possession. Dans La Tragédie du Roi Christophe, le mot “cadastre” figure
dans un des discours du Roi: “nous allions fonder un pays/ tous entre soi !/
Pas seulement le cadastre de cette île !/ Ouvert sur toutes les îles ! A tous les
nègres ! ” (Présence Africaine, 1963, p. 42)
Nous citons “Marais nocturne”
d’après le texte de Cadastre. Dans sa
première version, celle de 1948, ce poème était plus long. Césaire a retranché,
“allant jusqu’à l’épure du poème, s’éloignant
de préoccupations strictement géographiques ou politiques pour atteindre l’universel”,
commentent les deux organisateurs du volume La
Poésie (Seuil).[6]
Le
marais déroulant son lasso jusque-là lové autour de son nombril
Et me voilà installé par les soins obligeants de l’enlisement au fond du marais et fumant le tabac le plus rare qu’aucune alouette ait jamais fumé
Miasme on m’avait dit que ce ne pouvait être que le règne du crépuscule. Je te donne acte que l’on m’avait trompé. De l’autre côté de la vie, de la mort, montent des bulles. Elles éclatent à la surface avec un bruit d’ampoules brisées. Ce sont les scaphandriers de la réclusion qui reviennent à la surface remiser leur tête de plomb et de verre, leur tendresse.
Tout animal m’est agami-chien de garde.
Toute plante silphium-lascinatum, parole aveugle du Nord et du Sud.
Pourtant alerte.
Ce sont les serpents.
L’un d’eux siffle le long de ma colonne vertébrale, puis s’enroulant au plus bas de ma cage thoracique, lance sa tête jusqu’à ma gorge spasmodique.
A la fin l’occlusion en est douce et j’entonne sous le sable
Et me voilà installé par les soins obligeants de l’enlisement au fond du marais et fumant le tabac le plus rare qu’aucune alouette ait jamais fumé
Miasme on m’avait dit que ce ne pouvait être que le règne du crépuscule. Je te donne acte que l’on m’avait trompé. De l’autre côté de la vie, de la mort, montent des bulles. Elles éclatent à la surface avec un bruit d’ampoules brisées. Ce sont les scaphandriers de la réclusion qui reviennent à la surface remiser leur tête de plomb et de verre, leur tendresse.
Tout animal m’est agami-chien de garde.
Toute plante silphium-lascinatum, parole aveugle du Nord et du Sud.
Pourtant alerte.
Ce sont les serpents.
L’un d’eux siffle le long de ma colonne vertébrale, puis s’enroulant au plus bas de ma cage thoracique, lance sa tête jusqu’à ma gorge spasmodique.
A la fin l’occlusion en est douce et j’entonne sous le sable
L’HYMNE AU SERPENT LOMBAIRE
(In La Poésie, Seuil, p.193-194.)
Nous ferons allusion, au
besoin, au texte plus étendu dans l’édition K où le titre est simplement “Marais”.
Césaire, en plus d’alléger le texte de son poème, lui ajoute, en 1961, une tonalité
proprement “nocturne”. Le début en 1948 était plus long et sensiblement différent;
nous indiquons ci-dessous en italique les passages qui seront retranchés en 1961:
Le marais déroulant son lasso jusque-là lové autour
de son nombril le marais dégoisant les odeurs qui jusque-là avaient tissé une épaule
avec des aisselles
Le marais défaisant le mauvais œil qui jusqu’à présent
lui avait éclairé tant bien que mal le mauvais bouge au fond duquel il entretenait
ses mauvaises raisons dans un bocal de sangsues luxueuses réservées aux sangs des
plus illustres têtes couronnées
Et me voilà installé par les soins obligeants de l’enlisement au fond du marais et fumant le tabac le plus rare qu’aucune alouette ait jamais fumé
Notons tout d’abord que les
passages retranchés étaient pleins d’humour: la forte odeur des aisselles, le mauvais
œil éclairant le mauvais bouge entretenant ses mauvaises raisons etc. Du bestiaire,
un seul type d’animal disparaît, les “sangsues
luxueuses réservées aux sangs des plus illustres têtes couronnées”.
Restent tous les autres animaux:
les serpents, l’alouette, l’agami. Et une plante au nom latin, liée à la parole
qui, par effet de synesthésie, rend cette parole “aveugle”. Mutisme donc et cécité symboliques. Cette plante ne peut être
que fort négative. Gardons à l’esprit cette première impression qui sera approfondie
plus tard.
Au milieu du poème, le narrateur
à la première personne affirme: “tout animal
m’est agami-chien de garde”. Le chien est tellement maléfique chez Césaire qu’il
colore d’une connotation négative tout autre animal, même un oiseau.
Le mot agami apparaît également
dans “Le Grand midi”[7], un autre poème épique de Césaire
de la première phase:
Arums d’amour
me bercerez-vous
plus docile que l’agami
mes lèpres et mes
ennuis?
(“Le grand midi”, in La Poésie, p. 121).
Dans ce long poème, l’ “agami”,
lourd oiseau au vol rasant et court, renforce l’idée de non-élévation. Ce sens est
repris et renforcé, dans “Marais nocturne”, par la nouvelle fonction de l’oiseau,
clairement négative, de “chien de garde”.
Agami. Zool.: mot guyanais désignant un oiseau échassier au plumage noir, appelé
aussi oiseau-trompette pour son cri strident; peut devenir familier et être apprivoisé
pour garder les basses cours. “Non seulement
l’agami s’apprivoise très aisément, mais il s’attache même à celui qui le soigne
avec autant d’empressement et de fidélité que le chien” (Buffon). Nous voilà
fixés. L’oiseau, qui vole lourdement, sert les hommes en gardant les basses cours
et se laisse apprivoiser, est indiscutablement négatif.[8]
Regardons maintenant du côté
de la plante, elle aussi mystérieuse, avec un double nom latin. Ici nous avons –
ce qui surprend chez Césaire lorsqu’il s’agit du latin (ou du grec) – peut-être
une coquille non corrigée. Lascinatum
serait plutôt laciniatum. Mais on peut
se demander encore, “s'il n'y a pas de faute
dans lascinatum (Césaire dominant tellement bien ses trésors linguistiques multiples),
mais un glissement entre lascivus et laciniatum avec un soupçon de lancinant et
de fascinant?. ”[9] C’est bien possible.
Avant de présenter une lecture
articulée du poème, attachons-nous à décoder cette plante qui a une longue tradition
littéraire chez les Anciens et regardons quelques-unes de ses images, disponibles
sur Internet. En somme, essayons de comprendre. De la même façon que l’agami-chien
de garde est négatif et pourrait être facilement articulé à un thème classique en
littérature française (le chien, “animal servile” en opposition à son doublet noble,
dans “La mort du loup”, de Vigny, par exemple), cette plante est négative, ce qui
est plutôt rare chez Césaire. Le seul exemple semblable venant immédiatement à la
mémoire des lecteurs du poète serait celui de la canne. Pour la canne, on le comprend
facilement: elle a partie liée avec l’esclavage.
Consultons le Glossaire publié par René Hénane: nous y
trouvons une notice assez longue mais elle ne nous apporte aucun élément permettant
de comprendre l’aspect fortement et franchement négatif de cette plante dans notre
poème.[10] Sa source: le Grand dictionnaire universel de XIXe siècle de
Pierre Larousse (G. Lacour édit.). L’anecdote sur Jules César y est inutile:
au lieu d’expliquer, elle augmente l’opacité du passage.
Le lexique de la poésie d’Aimé
Césaire, publié en annexe au livre de Papa Samba Diop, La poésie d’Aimé Césaire. Propositions de lecture (Champion, 2010),
offre une notice intéressante. Après avoir cité le même passage du poème “Marais
nocturne” et confirmé l’alternance possible des deux formes lascinatum et laciniatum, l’auteur note:
Silphium-lascinatum (ou Silphium laciniatum):
Plante vivace pouvant atteindre
deux mètres de hauteur, avec des fleurs jaunes ou blanchâtres comparables à celles
du tournesol. Elle est courante dans le Maryland (USA) et en Floride (USA), mais
présente quelques espèces aux Antilles. On peut la retrouver sous le nom de “plante
boussole” (id., p.513)
D’après la notice de Samba
Papa Diop, fort différente, comme on le constate aisément, de celle de René Hénane
, cette plante mystérieuse serait une sorte de tournesol se guidant par le soleil,
d’où son autre nom populaire “plante boussole”. Mais la question centrale reste
la même: pourquoi est-elle négative? Exemple intéressant qui confirme qu’un dictionnaire,
quel qu’il soit, n’est qu’une première étape vers la lecture de certains passages
césairiens. La lecture doit partir forcément de l’intertextualité césairienne, autrement
dit des textes, et non pas des dictionnaires qui ne donnent que ce qu’ils peuvent
donner: une liste ouverte et parfois disparate de sens.
La plante Silphium laciniatum aurait été décrite en 1753 par Carl Linnaeus.
La graine du silphium ressemblerait au symbole traditionnel
du cœur
♥. D'autre part, le silphium était très largement utilisé dans l’Antiquité comme contraceptif.
Pour ces deux raisons, le silphium était
souvent associé à l'amour et à la sexualité. La plante silphium est mentionnée dans le septième poème de Catulle, qui est une déclaration
d'amour à Lesbia; l'expression “lasarpiciferis Cyrenis” au 4e vers signifie: “Cyrène où pousse le silphium ”. Ces informations prises à un article sur la
plante dans Wikipédia, malgré leur intérêt, ne sont pas encore satisfaisantes.[11] Elles n’offrent pas de piste
de lecture au texte de Césaire et surtout aux connotations négatives. Par contre,
Pausanias nous ouvre une “tracée” à explorer.
Les Dioscures, s'étant présentés
chez ce Phormion comme des étrangers, lui demandèrent l'hospitalité en disant qu'ils
venaient de Cyrène, et ils prièrent qu'on leur donnât la chambre qui leur plaisait
le plus lorsqu'ils étaient parmi les hommes. Phormion leur répondit que tout le
reste de la maison était à leur disposition, excepté la chambre qu'ils demandaient,
parce qu'elle était occupée par sa fille qui n'était pas encore mariée. Le lendemain,
la jeune fille avait disparu ainsi que toutes celles qui la servaient, et on trouva
dans la chambre les statues des Dioscures et une table sur laquelle il y avait du
silphium. Pausanias, Périégèse,
l. III, chap. XVI
Au lieu de se référer à contraceptif
ou à plante à propriétés antispasmodiques comme le font de nombreux textes, pour
Césaire, du point de vue mythique, la plante silphium[13]
est négative, car elle empêche un père d’avoir une descendance qui le ferait vivre
après sa mort. Elle est le don empoisonné des jumeaux divins à un père qui a posé
des restrictions à l’hospitalité due aux dieux. Elle signe l’arrêt du flux des générations.
Perdant sa fille, un père perd ses descendants à venir.
Si l’oiseau agami est lié à la servitude car il
est facilement domesticable, la plante silphium
lascinatum a partie liée avec la mort et la stérilité, car elle interrompt le
flux de la vie. Tous les deux sont des symboles négatifs et dans le cas de la fleur
blanche ou jaunâtre, bien que son autre nom courant soit “plante boussole”, son
aiguille s’est immobilisée. Elle est aveugle et sourde au Nord et au Sud. Elle n’indique
plus le Nord, partant le Sud.
Une fois décodée cette paire
symbolique, formée par un oiseau et une plante au fond maléfiques, nous considérons
que l’entrée en matière est terminée. A partir de ces notes initiales, presque de
déblaiement du terrain, on peut proposer désormais une lecture articulée du poème
“Marais nocturne”.
LE MARAIS ET LE LASSO SYMBOLIQUE DU SERPENT | Le marais chez Césaire c’est la matière indifférenciée,
grosse de toutes les virtualités et des germinations invisibles. Le marais n’est
nullement maléfique chez Césaire. “Miasme”[14], on le dit, mais c’est faux.
Là sont les serpents. Là encore, “les scaphandriers
de la réclusion qui reviennent à la surface remiser leur tête de plomb et de verre,
leur tendresse”. Notons déjà l’inversion:
normalement les scaphandriers[15] plongent, ici ils remontent
à la surface et nous apportent “leur tendresse”.
“Je te donne acte que l’on m’avait trompé”,
note encore le narrateur. Ce pronom te s’adresse-t-il
au lecteur ou à Breton? A tous les deux probablement.[16]
Le marais est encore le règne du grand serpent
primitif, le Dan africain ou encore, pour garder la couche signifiante hindoue particulièrement
importante dans ce court poème, l’Ananta qui enserre dans ses anneaux la base de
l’axe du monde. Il est le porteur du monde dont il assure la stabilité.
Mais il y a deux manières du point de vue
symbolique de maintenir: ce peut être en portant sur son dos ou ses épaules (comme
Atlas, par exemple, chez les Grecs ou l’éléphant avec ses quatre pattes piliers),
ce peut être en embrassant le créé d’un cercle continu, qui empêche sa désagrégation.
C’est ce qui fait ce serpent “lové autour
de son nombril”. Au début du poème césairien, le lasso se met en mouvement “déroulant son lasso”.
Le marais est encore un lieu de protection:
les passages retranchés du poème dans sa deuxième version mettaient en relief ce
lieu de maturation protégeant le narrateur du “mauvais œil”.
Ananta est un serpent (nâga) de la mythologie indienne qui forme une paire
avec la Kundalinî. Son nom en sanskrit
signifie sans fin ou sans limite, éternel ou infini. Reposant sur les eaux primordiales,
Ananta, le serpent cosmique, sert de couche à Vishnu lorsque celui-ci se
repose après la dissolution (pralaya)
d'un univers ancien, en attendant que Brahmâ renaisse de son nombril
et crée un univers nouveau. Dans le Baghavad
gita (chant X) Krishna se définit ainsi: “je suis Ananta entre les nagas”. Césaire résume donc, dans son poème, une lecture personnelle du grand poème
spirituel hindou.
UNE ALOUETTE FUMEE QUI FUME OU LA FABRIQUE
SURREALISTE
La
publicité est la fleur de la vie contemporaine,
elle
touche à la poésie.
Blaise Cendrars
La seconde strophe de notre poème – “Et me voilà installé par les soins obligeants
de l’enlisement au fond du marais et fumant le tabac le plus rare qu’aucune alouette
ait jamais fumé” - est tout d’abord un clin d’œil à un texte contemporain de
Breton, Arcane 17.
À la fois récit d’une rencontre amoureuse et
essai, Arcane 17 est une oeuvre riche d’allusions poétiques, politiques et
ésotériques. Le titre fait référence à la fois à la dix-septième lame du tarot,
où figure l’Etoile et aussi à la dix-septième lettre de l’alphabet hébreu (le peh) qui évoque, en tant que signe, la langue
dans la bouche.[17]
L’édition originale de l’oeuvre a paru en décembre 1944, en 325 exemplaires, avec
des illustrations du peintre chilien Matta (1911-2002) chez Brentano’s, éditeur
et libraire dans la 5e avenue à New York.[18] La même maison a publié également
la seconde version du Cahier, comme on
le sait, en janvier 1947. Césaire a très certainement connu le texte de Breton.
L’évocation du Canada français est passionnante
sous la plume de Breton. Il y retrace le portrait d’un pays isolé, protégé et archaïsant
sous la coupe “obscurcissante” de l’Eglise catholique [19]: or une marque très connue
de tabac naturel s’appelle, au Canada, “Alouette”. En voici une image de ce tabac à fumer, dans
une publicité des années 40; le refrain était “Alouette, gentille Alouette,/ Alouette je te
fumerai” .
Une sorcellerie a lieu: ce
qu’on fume devient fumeur et dans les volutes de la fumée qui monte, le marais se
transforme.[20]
Colibri peut être dépecé dans la chanson antillaise fort connue mais Alouette devient
son doublet victorieux et un adjuvant au poète.
Du
miel aux cendres, le deuxième tome des Mythologiques
de Claude Lévi-Strauss, publié en 1977, partant de l'opposition entre le miel et le tabac, explore à travers des
mythes américains deux itinéraires complémentaires: car le miel exprime la puissance
séductrice de la nature, tandis que la fumée du tabac s'élevant vers les êtres surnaturels
retient l'homme sur la voie qui l'éloigne de la culture. Avant le texte savant de
l’anthropologue, l’intuition poétique de Césaire a vu juste.
Dans le poème, le narrateur “fumant le tabac le plus rare qu’aucune alouette ait jamais fumé”, ouvre la porte à la découverte des serpents (bénéfiques)
du marais.
LE SERPENT QUI FAIT CHANTER | Nous avons identifié dès le départ le thème de
la Kundalinî intérieure: nous n’y reviendrons pas. La montée du serpent qui connaît
une ascension que nous pouvons caractériser comme cosmique dans le Cahier, a lieu ici du point de vue personnel
et dans le microcosme d’un corps humain. “L’un
d’eux siffle le long de ma colonne vertébrale, puis s’enroulant au plus bas de ma
cage thoracique, lance sa tête jusqu’à ma gorge spasmodique.”
Deux remarques s’imposent néanmoins: la pluralité
des serpents dans le marais et le sifflement[21] qui accompagne l’ascension
de l’un d’eux le long de la colonne vertébrale. Mais à l’inverse de l’horreur que
vit Oreste se jetant dans la mort, le narrateur éprouve une extase sexuelle. La
montée de la Kundalinî (figure et force féminines, il ne faut pas l’oublier) permet
la conjonction heureuse du masculin avec le féminin. Mais cette conjonction fortement
érotique et sexuelle naît d’une inversion: la force féminine est phallique (c’est
elle qui “lance sa tête”) et la “gorge spasmodique”, de l’homme correspond
d’une certaine manière à un utérus masculin, où naissent le spasme du plaisir et
partant le chant. Comme toujours, chez Césaire, l’union amoureuse correspond à la
conjonction de deux androgynes.[22]
Le narrateur peut enfin chanter. Sa langue
se libère dans la joie.
EN GUISE DE CONCLUSION | La poétique césairienne est à cheval entre
l’oral et l’écrit, entre la mémoire de l’oral (mémoire d’une chanson enfantine recueillie
et glosée par Nerval et transformée par Breton à partir d’une publicité canadienne
de tabac à fumer) et la mémoire de l’écrit (dense intertextualité qui reprend et
métamorphose sans cesse une longue tradition littéraire, depuis les Grecs avec Pausanias
ou l’épopée hindoue du Baghavad gita jusqu’aux poètes contemporains).
Dans notre cas précis, il y a encore mémoire discrète de la gravure de Matta: le
scaphandrier qui remonte au lieu de plonger sort de l’illustration exécutée par
l’artiste chilien. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer l’Arcane 17 (L’étoile)
dans le Tarot de Marseille avec la version de Matta (Les Etoiles, au pluriel).
La lecture d’un poème de
Césaire devrait toujours être tentée à partir de ses propres textes: c’est là que
se cachent les tracées à suivre. En d’autres termes, un poème césairien peut contredire,
transformer ou dialectiser les significations listées par des dictionnaires[23], même les plus savants. Le
poète crée ses propres structures de signification à partir de la fusion de mythes
différents. Dans le cas de “Marais nocturne”, le poème recèle encore une teinte
humoristique qui ajoute à son charme.
La lecture de ce poème permet
d’élargir le champ de l’intertextualité césairienne, faisant y entrer non seulement
des textes sacrés de l’Inde mais également une réponse ironique à Breton et une
référence occulte à une gravure de Matta, le grand peintre chilien.
Enfin, on ne peut ignorer
que, dans l’intratextualité césairienne, cette Alouette qui fume, adjuvant à la
montée de la Kundalinî intérieure chez le narrateur, se place comme dans le miroir,
c’est à dire en l’inversant, devant un autre poème puisé dans l’oralité qui récite
l’histoire tragique de Colibri[24]:
Beau sang giclé
tête trophée membres
lacérés
dard assassin beau
sang giclé
ramages perdus rivages
ravis
enfances enfances
conte trop remué
l’aube sur sa chaîne
mord féroce à naître
ô assassin attardé
l’oiseau aux plumes
jadis plus belles que le passé
exige le compte
de ses plumes dispersées (in Ferrements,
1960, in La Poésie, Seuil, p. 336)
Notre petit texte sur “Marais nocturne”, pourrait s’intituler également: Colibri[25] dans le miroir heureux d’Alouette.
Ou encore Alouette qui fume et le grand serpent intérieur qui fait jouir et chanter.
Dans un passage de son entretien avec
Edouard J. Maunick, de 1976, repris par France Culture en novembre 2001, Césaire
affirmait l’importance des sources orales:[26]
Autrement dit à côté de la culture entre guillemets “officielle” que je recevais dans les livres et dans
les lycées, culture que je ne renie nullement d’ailleurs qui est une composante
de moi-même, comme de nous tous d’ailleurs. A côté de cette culture livresque-là
il y avait une culture plus fondamentale encore, c’était cette culture populaire
qu’on appelait le folklore autrement dit au sens étymologique du mot la culture
du peuple. Celle-là est très importante. On ne tient jamais suffisamment compte
quand on parle de l’œuvre d’un écrivain. On tient trop souvent compte des sources
livresques avec la bonne vieille “méthode lansonnière”[27]. On cherche les sources écrites, mais les sources non écrites,
mais les sources orales, que ne sont-elles pas plus riches et plus jaillissantes?
II | “Etat des lieux”: à propos d’un
poème tardif de Césaire ou pour dire encore l’espoir
INTRODUCTION | Suivre la mobilité
d’un texte de Césaire - que ce soit le Cahier
ou les grands poèmes épiques du début de sa carrière, ses pièces de théâtre ou encore
ses essais - à partir de leurs différentes versions publiées est un exercice que
plusieurs ont déjà fait.
Nous proposons ici de suivre,
dans un poème très tardif, de 1993[28], les étapes en-deçà de la
première publication, à partir de trois brouillons recueillis et aimablement communiqués
par le poète Daniel Maximin, que nous remercions ici vivement.
Déchiffrer le premier jet
des vers et accompagner les changements successifs, les reprises et les abandons,
les hésitations et les choix, à la quête progressive de l’épure est un plaisir pour
le lecteur attentif qui pourra consulter trois brouillons avant la copie finale
où le vieux poète, presque aveugle, met au clair son poème intitulé enfin “Etat
des lieux”. Pour le faire, le lecteur devra suivre, en sens inverse, les trois versions,
photocopies en annexe, numérotées 3, 2 et 1, jusqu’à la calligraphie bien dessinée
du passage au net, sans ratures ni bavures. Lorsqu’il arrive enfin à la version
définitive de son poème, Aimé Césaire signe et date: le 15 avril 1993. La mi-avril
c’est vers la fin de la période de l’année qu’on appelle à la Martinique le Carême[29].
Quels sont en fait les “lieux” du poète? C’est, à la fois, son propre
corps qu’il habite, sa place au monde et surtout le monde.
Le dernier recueil publié
en vie du poète martiniquais, comme on le sait, est moi, laminaire… (Seuil, 1982). Daniel Maximin et Gilles Carpentier,
dans leur édition de la Poésie[30],
de 1994, ont ajouté, à l’ensemble de la production poétique de Césaire, un recueil
de vingt-deux textes: Comme un malentendu
de salut…, titre ambigu, pris à l’un des poèmes. Ce recueil ajouté comportait
des poèmes de différentes dates, en particulier des tombeaux ou des hommages, publiés
dans de différentes revues et repris ici et là. Le poème dont nous nous occupons
n’en fait pas partie.
En 1993, à 80 ans, Césaire
écrit donc un poème intitulé “Etat des lieux” et le garde dans ses papiers. Ce texte
d’une vingtaine de lignes est reproduit en tête d’un numéro spécial de la revue
Présence Africaine réunissant les communications
du colloque de Cérisy-la-Salle pour fêter le centenaire de la naissance du poète:
2014 est donc la date de sa toute première publication, posthume, bien entendu.
Considérons tout d’abord
le titre de ce poème. Un état des lieux du point de vue légal et commercial se fait
au moment de louer ou quitter un appartement. Il s’agit d’une description minutieuse
de l’état d’un logement et de ses équipements pièce après pièce, du sol au plafond,
sur un document réservé à cet usage avant la signature d’un contrat ou de sa résiliation.
Deux états des lieux distincts sont faits, l’un à l’entrée dans les lieux, l’autre
au départ du locataire, lorsqu’il rend les clés, à la fin du bail, au propriétaire.
Le thème de l’inventaire individuel ou du cadastre collectif est récurrent chez
Césaire, dans ses poèmes comme dans son théâtre. Le premier état des lieux césairien
est de toute évidence le Cahier d’un retour
au pays natal. Notre poème en est sans doute son dernier état des lieux, avant de partir.
Deux aspects nous intéressent:
a) les successives transformations
du texte à travers ses brouillons successifs (à consulter en annexe, on le répète)
et
b) la quête incessante pour
mieux dire encore l’impatience devant la vie qui renaît et la persistance de l’espoir
chez un vieux monsieur au moment de saluer la Solitude (ou la Mort) qui vient.
ETAT DES LIEUX
Sources jamais taries
mares non desséchées
abrité derrière mon rideau de fougères
j’affronte le passage
imperturbé d’avoir parlé de ma gorge resserrée
les cent gorges de l’amont
et hélé par le langage les pistes de l’avenir
Amont - Mémoire porteurs échelonnés
par cendres et boues
ma querelle qu’on le sache
est non à la désespérance
mais à l’impatience toujours
avec l’émerveillement requis du bourgeon ébloui d’épiaison
quand en contremarche s’appareille
l’arrogance d’une saison
ô fatigue du jour
vous ressassement de terres
fantômes exaspérées
le crépuscule hésite encore sous le porche
soupçonné d’arc-en-ciel
le temps de saluer le spectre en son site
crédible
vêtu de lichens et d’épiphytes
la Solitude qui passe.
Aimé Césaire, Fort-de-France,
15 avril 1993.
Avant d’analyser les changements
du texte, jetons un coup d’œil sur quelques mots considérés du point de vue thématique
ou, comme dirait Barthes, à partir d’un réseau organisé d’obsessions[32].
COMME ABRAHAM?
Je
suis cendres et poussière.
Genèse, 18, 27.
Les lecteurs des leçons talmudiques d’Emmanuel
Levinas[33] savent tout ce que l’on peut
tirer de l’étrange réponse d’Abraham à l’Eternel qui l’interpelle: “je suis cendres et
poussière”. Humilité, conscience de sa fragilité et
refus de toute arrogance. Pour le narrateur césairien, l’Amont et la Mémoire sont
porteurs échelonnés de cendres et boues. Cendres correspond à tout ce qui a brûlé dans les incendies, répétés
le long des saisons; boues, terrain gluant, correspond à la raque infertile, évoquée par le Roi Christophe qui se veut/voit potier
et constructeur de son pays et de son peuple. [34]
La poussière d’Abraham est sèche,
les boues du poète ont forcément encore
de l’humidité. C’est au fond la seule différence entre le vieux patriarche et le
narrateur de notre poème: un zeste d’humidité.
Échelonner est:
a) disposer des choses, des gens, de distance en distance (échelonner des poteaux
à dix mètres d’intervalle);
b) répartir progressivement, régulièrement quelque chose dans le temps; étaler
(échelonner un paiement sur des années);
c) répartir par paliers ou degrés; graduer (échelonner les difficultés);
d) disposer une troupe en échelons successifs.
Caché dans la nature et protégé par un rideau végétal, le narrateur “imperturbé” affronte le passage. Quel passage? celui de la Solitude
au crépuscule, l’heure de l’apparition des spectres, croit-on. Le narrateur a toujours
été un être de parole: il a parlé du passé (l’Amont)
et il a hélé “les pistes
de l’avenir”.
Les notions de l’Amont et
de la Mémoire reprennent un texte fort peu connu du poète - absent encore de la
grande édition dirigée par James Arnold mais que l’on peut retrouver dans la collection
de la revue Présence Africaine - sur le
poète Jean Amrouche[35]. Césaire, dans une sorte de tombeau en prose, écrit que la grandeur pathétique
du Kabyle est de n’“avoir sacrifié ni l’amont
ni l’aval, ni son pays ni l’homme universel, ni les Mânes ni Prométhée”. Autrement
dit, d’avoir gardé “les gorges de l’Amont”
qui se confond dans notre texte avec la Mémoire. D’où le substantif composé: “Amont-Mémoire”.
Le savoir
d’un maitre des feuilles | Considérons
un instant d’autres champs sémantiques de ce poème tardif. Ce qui saute immédiatement
aux yeux c’est le nombre des mots liés au végétal ou à la croissance végétale: fougères, bourgeon, épiaison, lichens, épiphytes. Dans la nature, mieux: dans la forêt, le narrateur cite des
formes simples de végétaux ou alors attend l’apparition du grain. Jetant un regard
rétrospectif sur sa vie, protégé par un rideau végétal, il évoque l’arrogance de
la saison qui vient. Littéralement: “quand en contremarche
s’appareille l’arrogance d’une saison”. La saison arrogante
est celle de la mort (mort de la végétation, mort de l’homme). Elle s’annonce comme,
chez Baudelaire, comme un vaisseau en train d’appareiller, de lever l’ancre.
Appareiller, intransitif, en langage
de la Marine, veut dire: se préparer à prendre le large, mettre la voile.
Le narrateur, près de mourir,
est encore impatient pour l’avenir, émerveillé toujours devant la possibilité de
voir encore croître l’épi nouveau.
Dans tous les cultes afro-américains, il y a un orisha ou un loa lié à la
plante (Osain au Brésil) et dans chaque barracão
e/ou houmfò officie un maître des feuilles,
à savoir, quelqu’un qui connaît les plantes et surtout sait les mélanger. Césaire,
dans toute sa poésie, apparaît d’une certaine manière à ses lecteurs comme un vrai
maître des feuilles.
Les épiphytes (du grec έπί, “sur” et φυτόν, “vegetal”: littéralement: “à la surface
d’un végétal”) sont des plantes qui poussent en se servant d’autres plantes. Mais
il ne s’agit pas de plantes parasites, car elles ne prélèvent rien au détriment
de leur hôte, simple support. Les épiphytes sont des organismes autotrophes photosynthétiques:
capables d’absorber l’humidité de l’air et de trouver les sels minéraux, d’une part,
dans l’humus qui se forme à la base des branches et d’autre part, dans les particules
absorbées dans l’eau de la pluie et des rosées. Ce type de plantes se retrouve surtout
dans la zone intertropicale, plus particulièrement dans les forêts pluvieuses. Comme
dans la forêt d’Absalon à la Martinique.
Épiaison, en Agriculture ou en Botanique, c’est le stade des graminées qui correspond
à l’apparition de l’épi[36] hors de
la gaine de la dernière feuille. Dans la grande famille des graminées, les plantes
qui ont, non seulement alimenté les hommes pendant des millénaires, mais encore
donné naissance à des mythes de fondation des civilisations (le blé, le sarrasin,
l’orge, le seigle, les mils, le maïs, le riz etc.), sont des végétaux à épi. L’épiaison
c’est le moment même de la croissance, de la venue à la lumière du grain nourrissant.
Le texte suggère clairement la lumière: “ébloui”.
Une sorte de naissance ou d’accouchement. Si l’on regarde l’une des versions antérieures
du poème, le texte registre: “en mal d’épiaison”
comme on dirait “en mal d’enfant”. C’est
le moment où l’homme, prenant conscience de cet accouchement végétal, pense à moudre
le grain et le met au four, faisant naître la cuisine, c’est-à-dire, la culture.
Et grâce à la culture l’homme prend conscience de la mort, la sienne et celle de
l’autre. Ainsi que de la possibilité de renaître. Si le grain ne meurt…
La parole et
la gorge | Le second champ sémantique
important a partie liée avec la parole: “ma
gorge resserrée” (notons que resserrer est plus que serrer, c’est serrer davantage),
“les cent gorges de l’amont”, “hélé par le langage les pistes de l’avenir”.
Le narrateur est par excellence celui qui a parlé, malgré son émotion ou sa crainte,
celui qui a pris la parole pour les autres, celui qui a hélé, autrement dit: interpelé
à haute voix. Dans le passé et pour l’avenir, en amont et en aval.
Avec héler nous revenons encore à
un terme de Marine. Le dictionnaire de l’Académie informe:
Héler. Marine. Appeler, au moyen d’un porte-voix, à la rencontre d’un navire,
pour demander d’où il est, où il va, ou pour faire d’autres questions à l’équipage.
Héler un navire.
(Par extension). Appeler en se servant de ses mains comme porte-voix, interpeler.
L’eau
qui persiste encore | Le poème dans
sa version finale commence par deux vers: “sources
jamais taries,/ mares non desséchées”. De l’eau avant tout chose, encore et
toujours. L’eau - celle qui surgit de la terre, ou que la terre en garde encore,
un peu d’humidité, de l’eau immobile, même apparemment dormante -, permet la vie.
Le fait qu’il y ait un soupçon d’arc-en-ciel sous un porche implique qu’il y ait,
quelque part, de l’eau pour réfracter la lumière.
La source et le pré constituaient les topos
essentiels de la poésie lyrique occidentale depuis le Moyen Age, selon Leo Spitzer.
Césaire y ajoute un autre topoi, la mare. Son Caliban en parle: c’est là que
se cache Sycorax, sa mère:
Et je
te retrouve partout:
dans
l’œil de la mare qui me regarde, sans ciller, à travers les scirpes.
Dans
le geste de la racine tordue et son bond qui attend. Dans la nuit, la toute voyante
aveugle,
la toute-flaireuse
sans naseaux.
(Une Tempête,
I, 2, in Aimé Césaire. Poésie, Théâtre, Essais
et Discours. Edition critique. Coordinateur Albert James Arnold, p. 1216)
Le temps et
l’impatience du narrateur | Le rapport
au temps dans ce poème est à peine suggéré mais le rapport de l’homme au temps est
clairement indiqué: impatience toujours non pas devant le nouvel épi mais devant
la répétition continuelle des mêmes choses qui ne changent guère (“ressassement”).
D’ailleurs
la construction syntaxique peut sembler ambiguë avec le rejet en enjambement d’un
substantif fonctionnant comme adjectif: il faut comprendre, nous semble-t-il, terres
qui deviennent fantômes[38] car elles
se vident et par là même s’exaspèrent, sans vivre leur vérité. En d’autres termes:
il faut éviter à tout prix la tentation de corriger ou de normaliser le texte. Consultant
les manuscrits, le lecteur se rend compte que Césaire n’a pas hésité ni corrigé:
“vous ressassement de terres /fantômes exaspérées”.[39]
Rappelons que le terme
fantôme, dans le langage courant, est
souvent ajouté à des noms de choses matérielles abandonnés (ville fantôme de l’Ouest
américain, stations fantômes du Métro parisien), disparues (membre fantôme, île
fantôme) ou échappant à la perception directe (génome fantôme, énergie fantôme,
emplois fantômes), clandestines (détenus ou prisonniers fantômes) etc. Dans les
bibliothèques et archives, on laisse une fiche fantôme à la place d’un document
retiré d’un fonds jusqu’à son retour.
LE SPECTRE
La croyance que les spectres s’enfuient au point du jour est immémoriale; l’origine
de cette idée vient uniquement des rêves qu’on fait pendant la nuit, et qui cessent
quand on s’éveille le matin.
Voltaire, Phil. Bible, Genèse, cité
par le Littré.
Si les spectres s’enfuient de façon immémoriale
selon Voltaire au point du jour, ils surgissent toujours au crépuscule. Ce poème
apparemment assez simple comporte encore une autre ambiguïté. Qui est ce spectre?
Et quelle est sa forme? Pourquoi vient-il?
Le mot latin spectrum, vient du verbe
specio (“regarder”, “regarder attentivement”,
“examiner”, “méditer”, et par là “se préoccuper”) avec le suffixe -trum. Le spectre est celui qui regarde ou
celui qu’on croit voir? A-t-il un sens actif ou passif? En d’autres termes: c’est
Hamlet qui découvre le spectre ou le spectre qui regarde Hamlet? Du point de vue
étymologique, - et Césaire joue souvent sur le sens originel -, le spectre est celui
qui porte son regard, ses yeux inquisiteurs sur nous et sur le monde. Il est essentiellement
actif. Le narrateur est donc le spectre.
Au spectral s’attachent, sous forme d’oxymore, en même temps un aspect presque
ludique - le spectre serait ce qui n’existe pas vraiment, ce qui relève du simulacre,
de l’apparence - et un aspect vigilant, à la limite de l’angoisse. Le spectre, c’est
encore ce qui, dans les mots de Freud, dans “Le petit Hans”, “est demeuré incompris [et] fait retour comme une âme en peine, il n’a de
repos jusqu’à ce que soient trouvées résolution et délivrance” (Freud, 180).
C’est ce qui reste, ce qui se maintient, la mémoire, la cendre (“Il y a là cendre”, écrit Derrida dans Feu la cendre[40]), les ombres. Le spectre est
aussi le vide, l’absence, devenus lisibles déjà.
Revenons un moment aux végétaux du poème (fougères, lichens, épiphytes) qui tous, sans exception, vivent de façon
autonome et se développent - sans le parasiter - sur un support, normalement un
grand arbre dans une forêt humide. Ces végétaux couvrent, cachent ou protègent le
spectre: le lecteur découvre enfin la forme du spectre qui le regarde. C’est un
arbre occulte dans la trame du texte. Comme dans tout texte césairien[41].
Avançons encore: les épiphytes surgissent dans des forêts sur terre mais aussi
dans des forêts sous-marines, appelées des forêts de kelp[42]. Césaire le sait, car à la
fin de sa vie, il se présente du point de vue poétique, dans son dernier recueil,
comme algue laminaire, elle aussi épiphyte.
Cependant tout porte à croire que du point de vue imaginaire, le paysage, dans ce
dernier état des lieux, est terrestre et non pas marin[43].
La réflexion sur le spectre/narrateur permet de faire une distinction importante
du point de vue symbolique: abrité, couvert, dissimulé par des épiphytes, forme
primitive et archaïque de la végétation, le spectre attend, appelle la naissance
de l’épi - mieux: l’épiaison - qui permet
et fonde la culture. La vraie.
LA MOBILITE DU TEXTE A LA QUETE DE L’EPURE
| Une œuvre mobile. Aimé Césaire
dans les pays germanophones (1950 – 2015) est le titre d’un essai
récent de Ernstpeter Ruhe publié par Königshausen & Neumann. Le critique allemand
prouve à travers maints exemples l’instabilité du texte césairien.
Regardons les trois brouillons
successifs et leurs ouvertures. Dans les deux plus longs, presque un gribouillis
difficile à déchiffrer couvrant la page tout entière dans plusieurs sens, notons
tout au début:
a) première version, au numéro
3: sources taries/ et mares desséchées/ j’affronte
le passage de grisaille/ impertubé d’avoir d’amont parlé/ l’insupportable langage
à l’Espoir/ qu’on …../ ma parole est non à/ la désespérance/ mais à l’…./ d’émerveillement
au bourgeon/en mal d’épiaison
b) deuxième version, au numéro
2: sources non taries/ mares non desséchées/
j’affronte le passage/ imperturbé d’avoir parlé le langage et hélé l’avenir /ma
querelle non à la désespérance mais à l’exigence…
c) version finale, non-numérotée,
avec date et signature: sources jamais taries/
mares non desséchées/ j’affronte le passage/ imperturbé d’avoir parlé de ma gorge
resserrée /les cent gorges de l’amont/ et hélé par langage les pistes de l’avenir…
Notons encore: l’effacement
des rimes trop faciles (exigence/désespérance),
déplacement de mots à l’intérieur des vers (le
langage); la disparition de certains mots liés au ressentiment (ma rancœur d’autre… un sursaut…; le paysage de
grisaille…; l’insupportable langage à l’esprit qu’on hasarde).
Le texte se dévoile par découvertes
successives comme si le poète lui-même ne savait pas au départ de quoi il parle.
Mais l’image centrale, la plus profonde ou la sous-jacente, générant toute une constellation
d’images, est celle qu’un spectre (= le
narrateur), attaché comme une plante/algue sur son île-rocher, sur terre ou sous
la mer, ayant la forme d’un arbre aux longs bras dansant au gré du vent ou des vagues.
Je soupçonne que le vieux
monsieur ayant de plus en plus des difficultés à lire et à voir le monde dont les
images bougent à cause de son état physique de demi-cécité avec troubles de la vision,
regarde en amont et en aval sa vie et en fait un dernier état des lieux. C’est le
moment de rendre sa clé. A demi-aveugle, comme Borges, ayant perdu le contour et
la couleur des choses qui se mettent à bouger sous le vent ou sous l’eau, le vieux
poète, myope depuis toujours, devenu déficient visuel à la fin de sa vie, est étymologiquement
le spectre (celui qui regarde, regarde attentivement, examine, médite et par là
se préoccupe) et achevant une trajectoire symbolique, atteint la voyance. Ce spectre
dit encore l’espoir, car les sources ne sont jamais taries ni les mares desséchées.
*****
NOTE FINALE
Nous remercions Daniel
Maximin, le poète guadeloupéen et l’auteur de l’essai Aimé Césaire, frère volcan (Seuil, 2013) qui nous a comuniqué les trois
étapes du manuscrit inédit.
*****
Agulha Revista de Cultura
Número 115 | Julho de 2018
editor geral | FLORIANO MARTINS
| floriano.agulha@gmail.com
editor assistente | MÁRCIO
SIMÕES | mxsimoes@hotmail.com
logo & design | FLORIANO
MARTINS
revisão de textos & difusão
| FLORIANO MARTINS | MÁRCIO SIMÕES
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ALMEIDA FILHO | FEDERICO RIVERO SCARANI | MILENE MORAES
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refletem necessariamente o pensamento da revista
os editores não se responsabilizam
pela devolução de material não solicitado
todos os direitos reservados © triunfo produções ltda.
todos os direitos reservados © triunfo produções ltda.
CNPJ 02.081.443/0001-80
[1] Texte publié in Aimé Césaire. Œuvre
et héritage. Colloque du centenaire.
Fort-de France 2013. Paris, Jean- Michel Place, 2013, p. 345 – 357.
[2] On est en train
de créer un corpus césairien, composé de citations, qui n’est pas tout à fait césairien.
Lorsqu’on cite un passage, détaché de son contexte, son sens se modifie insensiblement.
On cite souvent: “je serai la voix de ceux
qui n’ont pas de voix…” Cette séquence est encadrée par des verbes au conditionnel
et se termine par une chute “Et voici que
je suis venu…” Dans le Cahier, c’est
le moment de démystification d’un projet individuel et juvénile. Dans ce sens, il
est important de faire des analyses précises sur des poèmes courts ou longs.
[3] Le Bhagavad-gita,
poème en sanscrit appartient à la grande épopée Mahabharata: il se compose de 18
chapitres, du Vie livre. Il se présente sous forme de dialogue avec de questions
et réponses entre le guerrier Arjuna et de dieu Krishna, juste avant la grande bataille.
[4] Le terme chakhra
désigne des “centres spirituels” ou “points de jonction de canaux d'énergie”, issus d'une conception du yoga Kundalinî et
qui pourraient être localisés dans le corps humain. Il y aurait sept chakhras principaux.
[5] En octobre 1932, C. G. Jung, invité au Club psychologique
de Zürich, donne quatre conférences sur cette discipline. Alors que la psychologie
de l'époque était sous l'emprise grandissante de la psychanalyse, le yoga de la
Kundalinî allait offrir à Jung un modèle qui manquait totalement à la psychologie
occidentale: une description, à partir de l'étude symbolique des chakras, des phases de développement de la
conscience supérieure. Voir la version française d’un livre de Jung sur la Kundalinî:
Psychologie du yoga de la Kundalinî. Albin
Michel, Collection “Spiritualités
vivantes”, 2005.
[6] In La Poésie, Seuil, p. 533.
[7] Ce poème figure dans le
nº 2 de Tropiques, juillet 1941.
[8] Il fonctionne de
la même façon que le “chien”, “animal servile”, en opposition à son doublet sauvage
et libre, le loup, dans le poème de Vigny “La mort du loup” (de 1843, dans la Revue des Deux Mondes). Le poète romantique
oppose deux canidés, Césaire, deux oiseaux.
[9] La suggestion est
de Peter Ruhe. Dans ce cas, Césaire jouerait non seulement avec les connaissances
de latin de son lecteur comme ce “nouveau” mot aurait plusieurs couches de connotations.
Le fait est que lascinatum ne se trouve
pas dans les dictionnaires de latin consultés.
[10] Voici son texte,
Glossaire, Jean-Michel Place, p. 121:
Nom
donné par les Anciens à une plante ombellifère (Ferula assa fœtida) et à
la gomme résine qu’on en extrait. Le silphium
(encore appelé silphie) se récoltait en
Libye dans les environs de Cyrène. Les habitants de ce pays attribuaient à sa racine
des propriétés médicinales antispasmodiques. Le suc de cette racine était tellement
estimé par les Romains qu’ils déposaient dans le trésor public tout ce qu’ils pouvaient
en acquérir. Jules César le vola, dit-on, au trésor pendant sa dictature. Les plantes
qui portent ce nom actuellement sont pourvues d’agrément et se font remarquer par
l’élégance et l’ampleur de leur port.
[11] Silphium (antiquité) - Wikipédia fr.wikipedia.org/wiki/Silphium_(antiquité).
[12] Nous savons que
Césaire connaît parfaitement Pausanias. C’est une de ses lectures classiques. Voir,
dans notre Mémoire et métamorphose, dans
le chapitre sur les tombeaux de Césaire, le tombeau de Saint-John Perse où il est
question du fleuve Oronte, le fleuve qui coule á l’envers.
[13] Ernspeter Ruhe me
fait remarquer encore: “On appelle cette plante “Kompaßpflanze, compass flower/plant”
parce que ses feuilles s'orientent dans le sens nord-sud, comme chez Césaire: “du
Nord et du Sud”. Un compas qui ne fonctionnerait pas ici, une parole/ qui perd la
boussole/.”
[14] Dans le mot miasme (du grec ancien μίασμα: “pollution”), il y a l’ancienne croyance à une forme nocive
de “mauvais air”. Bien au contraire, le marais est source de
vie.
[15] Scaphandre, selon
le Larousse, est: Équipement
lourd individuel de plongée sous-marine comportant une liaison avec la surface pour
la respiration du plongeur.
[16] On verra que ce poème, sans
le dire explicitement, est une réponse de Césaire à Breton.
[17] Il n’est pas inutile
de noter que l’image de la langue maléfique dans la bouche clôt le Cahier depuis la version de 1939. Ménil,
dans un texte fort, analyse l’impact de la découverte de Césaire sur la poétique
de Breton: la coïncidence serait également à analyser.
La lettre PÉ est la dix-septième lettre
de l'alphabet hébreu. Elle correspond au PI de l'alphabet grec et au P
des alphabets occidentaux. Sa valeur numérique est: 80. Son sens est: La
bouche.
Le Pé est une lettre dont on trace sans difficulté
l'évolution. Son graphisme simple est resté, en partie, le même dans ses différentes
périodes. Comme plusieurs autres lettres de l'alphabet sémitique - Yod: la
main, Khaf: la paume, Resh: la tête -, elle se réfère
à une partie du corps humain: la bouche, organe de la parole, du souffle.
Symbolisme:
Le graphisme égyptien, dont la lettre Pé est
issue, évoque une bouche fermée. Au contraire, la lettre hébraïque carrée est ouverte.
Le Pé est une bouche contenant un Yod. Il est comme un écrin contenant le divin
représenté par la dixième lettre de l'alphabet hébraïque. Ouverte, elle est l'organe
de la parole qui crée la matière et le monde. La bouche est le support de la parole,
qui, passant de bouche en bouche, peut survivre à la personne qui l'a prononcée.
On peut dire, ainsi, que la lettre Pé représente une forme d'immortalité. C'est
l'origine de la parole, la vibration primitive de laquelle l'existence matérielle
est née.
La lettre Pé exprime les forces divines naturelles, la matière première. Lié au Verbe, Pé est ce qui se trouve à l'intérieur. Le Verbe
est le Son intérieur. Cette lettre symbolise à la fois la parole et le silence
(la bouche parle mais aussi se tait). Dans l'alphabet, Ayin, l'œil, précède
Pé, la bouche, car l'œil voit et la bouche exprime.
La lettre
Pé fait partie de la série des sept lettres hébraïques qui désignent une partie
du corps humain:
Le Hé:
Le corps en prière
Le Yod: La main
Le Kaf: La paume de la main
Le Ayin: L'œil
Le Pé: La bouche
Le Rèch: La tête
Le Chin: La dent
On retrouve la lettre
Pé sur la dix-septième lame traditionnelle du tarot de Marseille: “Les étoiles"
[18] New York, Brentano's, 1945, 23,2 x 16, broché,
176 pages. édition originale tirée à 325 exemplaires, celui-ci 1/300 sur papier
Oxbown, numéroté et signé par André Breton, avec les quatre lames de tarot en couleurs
par Matta, montées sur papier Canson fort gris.
[19] Voir, par exemple, le passage:
“L'Église catholique, fidèle
à ses méthodes d'obscurcissements, use ici de sa toute puissante influence pour
prévenir la diffusion de ce qui n'est pas littérature édifiante (le théâtre classique
est pratiquement réduit à Esther et à
Polyeucte qui s'offrent en hautes piles
dans les librairies de Québec, le dix- huitième siècle semble
ne pas avoir eu lieu, Hugo est introuvable)….. Tout cela compose, dans l'air admirablement
limpide, un écran de protection très efficace contre la folie de l'heure, comme
d'une vapeur qui, certains matins, s'étend à tout l'horizon. (“Alouette, tabac à fumer naturel”, dit candidement ce paquet, à l'image d'un
oiseau chantant dans les herbes et, dans ce début de chanson qu'il piétine, tout
le vieux Valois de Nerval rejaillit pour s'épuiser aussi vite: “Alouette, gentille alouette - Alouette, je
te fumerai”).
[20] Tous ceux qui ont
déjà assisté à une cérémonie d’un culte afro-américain (vaudou, santería, candomblé,
macumba etc.) savent l’importance de fumer la pipe. Les pretos velhos au Brésil fument tous la pipe.
[21] Césaire est trop nourri
de littérature française pour que le souvenir de la folie d’Oreste ne soit pas derrière
son passage: “Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes? ”, (Andromaque,
V, 5). Le spectateur est à la fin de la pièce racinienne; Hermione vient de se suicider
sur le corps de Pyrrhus et Oreste s’abandonne aux Furies.
[22] Nous renvoyons le
lecteur à l’analyse d’un récit cosmique dans le Cahier. Voir notre “La cosmogonie césairienne, fête d’Eros”, in Soleil éclaté. Mélanges offerts à Aimé Césaire.
Edités par Jacqueline Leiner. Tübingen (Allemagne), Gunter Narr Verlag, 1984, p.
333-350.
[23] Dans certains cas,
les glossaires publiés sur la poésie césairienne peuvent augmenter l’opacité de
certains passages.
[24] Colibri est le personnage
connu des contes populaires antillais: il y est dépecé.
[25] In Tropiques, nº IV, janvier 1942, p. 7-11,
Aimé Césaire et René Ménil signent ensemble un article fort important, “Introduction
au folklore martiniquais” où ils lisent l’aventure de Colibri telle qu’elle est
contée dans les veillées antillaises:
Un tambour. Le grand rire du vaudou descend des mornes.
Combien, au cours des siècles, de révoltés ainsi surgies ! Que de victoires éphémères
! Mais aussi quelles défaites ! Quelles répressions ! Mains coupées, corps écartelés,
gibets, voilá ce qui peuple les allées de l’histoire coloniale. Et, rien de tout
cela n’aurait passé dans le folklore? Vous connaissez le conte de Colibri. Colibri,
contre qui se liguent le Cheval, le Bœuf, le Poisson-Armé et Dieu lui-Même. Colibri
et son fidèle compagnon: le tambour !
Poisson-Armé
fonçait toujours. Au second coup, ce fut fini.
-
Mon dernier combat, dit Colibri qui tomba mort.
Poisson Armé, en toute hâte, ramassa un grand
coutelas qui traînait par là, coupa la tête de Colibri, la mit sous la pierre de
taille dans la cour de la maison. Alors seulement, il prit le tambour et l’emporta.”
(L. Hearn, Trois fois bel conte…)
Le lecteur pourrait noter: Poisson-Armé qui
tue et dépèce Colibri, vient de la mer; il correspond en quelque sorte au “squale”,
le chien de la mer de la fin du Cahier
tandis que notre Alouette qui fume au fond du marais permet la montée de la Kundaliní
et libère le chant du narrateur: elle correspond à l’oiseau qui monte “lécheur du
ciel”.
[26] Voir Potomitan Entretiens
avec Aimé Césaire - www.potomitan.info/cesaire/entretien_1976b.php
[27] Césaire fait allusion à
la méthode de Gustave Lanson.
[28] Poème absent de l’édition
de A. James Arnold, présent dans un montage photographique distribué à un colloque
international et publié pour la première fois dans un nº spécial de la revue Présence Africaine 1/2014 (N° 189), p. 11, avec l’indication © Succession Aimé Césaire. Avec l’aimable
autorisation de Marco Césaire
DOI: 10.3917/presa.189.0011.
[29] Février à mai: régime anticyclonique. L’anticyclone des Açores se décale vers le Sud. Les différences de pression, bien marquées sur l’Atlantique tropical, dirigent sur les Antilles un flux d’alizé régulier et soutenu
en force et en direction, procurant une sensation de confort grâce à l’importante ventilation. Les températures maximales atteignent 28 à 30 degrés l’après-midi. Le temps est ensoleillé et peu pluvieux. Les nuages,
peu développés, donnent quelques averses, essentiellement en fin de nuit.
[30] In La Poésie, éd. Daniel Maximin et Gilles Carpentier. Seuil, 1994, 510
p.
[31] Le lecteur lusophone pourra
trouver en anexe une tentattive de traduction de ce texte apparemment très simple
mais extrêmement subtil..
[32] L’expression est citée dans
l’introduction à Michelet par lui-même (Seuil,
1988).
[33] Nouvelles leçons talmudiques. Editions de Minuit, 2005.
[34] La tragédie du Roi Christophe, II, 6.
[35] Le texte est repris en annexe
à notre Césaire hors frontières. Königshausen
& Neumann, 2015, p. 371 - 374.
[36] En botanique, l'épi est une inflorescence simple. En fait, c'est une grappe
dont les fleurs sont sessiles, c'est-à-dire qu'elles n'ont pas de pédoncule et sont
directement attachées et serrées sur la tige. Cela donne à l'inflorescence une forme
dense, étroite, allongée, en pointe: phallique.
[37] Consulter la lecture
du poème de ce nom dans notre Césaire hors
frontières. Poétique, intertextualité
et littérature comparée. Königshausen & Neumann, 2015, p. 289-301.
[38] L’abandon des campagnes
et l’urbanisation des masses autrefois rurales constituent un phénomène décrit par
les géographes dans les Antilles anglaises et français.
[39] L’ambiguïté n’est
pas perçue immédiatement par le lecteur/auditeur francophone, les formes au masculin
ou au féminin (exaspérés ou exaspérées)
sonnant de la même façon. Il saute aux yeux et à l’oreille dans la traduction du
passage vers des langues où le masculin et le féminin se disent et s’écrivent différemment.
[40] “Il y a plus de quinze ans, une phrase m’est venue, comme malgré moi, revenue,
plutôt, singulière, singulièrement brève, presque muette: Il y a là cendre. Là s’écrivait
avec un accent grave: là, il y a cendre. Il y a, là, cendre. Mais l’accent, s’il
se lit à l’œil, ne s’entend pas: il y a là cendre. À l’écoute, l’article défini,
la, risque d’effacer le lieu, la mention ou la mémoire du lieu, l’adverbe là… Mais
à la lecture muette, c’est l’inverse, là efface la, la s’efface: lui-même, elle-même,
deux fois plutôt qu’une. Cette tension risquée entre l’écriture et la parole, cette
vibration entre la grammaire et la voix, c’est aussi l’un des thèmes du polylogue.
Celui-ci était fait pour l’œil ou pour une voix intérieure, une voix absolument
basse. Mais par là même il donnait à lire, peut-être à analyser ce qu’une mise en
voix pouvait appeler et à la fois menacer de perdre, une profération impossible
et des tonalités introuvables.”
[41] Seule varie la forme
de suggérer l’arbre occulte.
[42] Une forêt de kelp est une zone sous-marine
densément peuplée par des macro-algues brunes poussant sur des substrats rocheux. Par sa taille imposante, le kelt procure
un habitat unique à bon nombre d'espèces marines. Ces zones côtières figurent parmi
les écosystèmes les plus productifs et diversifiés de la planète. Une forêt de kelp se rattache au thème césairien, déjà connu,
de l’algue laminaire.
[43] Le paysage marin serait
le reflet dans le miroir du paysage terrestre.
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