LES RAPPORTS ENTRE PEINTURE ET POÉSIE | L’articulation entre peinture
et poésie a un long passé. Ut pictura poesis…
L’expression d’Horace dans son Art poétique
est la base même des études contemporaines sur image et poésie. Pour les classiques,
l’analogie s’imposait: la poésie est une peinture qui parle, s’exprime par des vers
et la peinture, une poésie muette, s’exprimant par des lignes et des couleurs. L’emblème
de la Peinture chez Alciat présente une femme un mouchoir lui couvrant la bouche.
Nous n’en ferons pas l’historique de cette analogie qu’on a glosée, le long des
siècles, dans d’innombrables traités d’art.
Mais
il y a encore un autre rapport, plus direct ou plus interne, entre poésie et peinture,
celui qui fait correspondre un poème à une œuvre plastique, l’un étant la transposition
de l’autre sans qu’on sache parfois laquelle de ces œuvres mises en parallèle vient
la première. On me dira, dans notre cas, les eaux-fortes de Lam viennent les premières,
c’est lui qui invite son ami martiniquais à apporter une illustration poétique à
un groupe de gravures déjà terminées qui s’intitulent Annonciation. Césaire aurait composé alors 10 poèmes en regardant les
eaux-fortes.
D’ailleurs,
il y a 10 poèmes pour 9 gravures et les choses ne sont pas si simples. Entre temps,
le peintre est mort et l’ensemble poétique avant d’être terminé est devenu autre
chose, un “tombeau”. Il y a même un poème
écrit au moment de la mort de l’ami “in memoriam”.
Un manuscrit de l’exposition nous le prouve. Mais regardons encore du côté poésie-peinture,
texte-image, poème-gravure.
Car
il y a une autre très, très antique tradition qui s’appelle un grec ekphrasis qui constitue la description poétique
d’une œuvre plastique, parfois fictive. Je dirais même, le plus souvent, fictive.
Mais les eaux-fortes de Lam ne sont pas fictives, elles existent, les matrices ont
été imprimées et précèdent les poèmes. La question alors devient: est-ce que les
poèmes de Césaire les décrivent ou illustrent d’un certain point de vue ces gravures
?
Avant
d’y répondre, essayons de comprendre ce qu’est une ekphrasis. Il y en a bon nombre d’exemples dans le Nouveau Roman, ou
chez Proust qui évoque la peinture, plus ou moins fictive, d’Elstir ou décrit longuement
un petit pan de mur jaune dans une toile du Vermer. Un livre récent de Pascal Guignard,
intitulé Georges de la Tour, est composé
aux trois quarts, peut-être plus, de courtes ekphrasis sans commentaire ou analyse, et il renouvelle notre vision
du peintre lorrain. Mais dans son cas, les toiles existent.
Une
très belle et longue ekphrasis apparaît
déjà chez Homère dans l’Iliade. Barbara
Cassin explique l’ekphrasis ainsi:
L’ekphrasis (sur phrazô,
faire comprendre, expliquer, et ek , jusqu'au
bout) est une mise en phrases qui épuise son objet, et désigne terminologiquement
les descriptions,
minutieuses et complètes, qu'on donne des oeuvres d'art.
La première, et sans
doute la plus célèbre, ekphrasis connue
est celle qu'Homère donne, à la fin du chant XVIII de l'Iliade, du bouclier d'Achille forgé par Héphaïstos. L'arme a été fabriquée
à la demande de Thétis, non pour permettre à son fils de résister à la mort, mais
pour que “tous soient émerveillés” (466 sq.)
quand le destin l'atteindra. C'est une œuvre cosmopolitique, où sont représentés,
non seulement Terre, Ciel, Mer, bordés par le fleuve Océan, mais deux cités dans
le détail de leur vie, l'une en paix et l'autre en guerre. Le poète aveugle produit
la première synthèse du monde des mortels, prouvant ainsi pour la première fois
que la poésie est plus philosophique que l'histoire.
Non seulement cette
ekphrasis première est la description
d'un objet fictif, mais elle est suivie dans le temps d'une seconde ekphrasis, dont le modèle est cette fois,
comme pour un remake, la première ekphrasis elle-même: il s'agit du bouclier
d'Héraclès, attribué à Hésiode. Ce palimpseste ne se conforme donc pas à un phénomène,
un bouclier réel, ni, en deçà, à la nature même et aux cités, mais seulement à un
logos. […]
L'ekphrasis se situe ainsi au plus loin de
la métaphore, dont tout l'art, conformément
à la doctrine de l’ut pictura poesis,
consiste à mettre les choses “sous les yeux”, pour en produire ainsi une nouvelle
et originale connaissance […] Il ne s'agit plus en effet dans l'ekphrasis d'imiter la peinture en tant qu'elle
cherche à mettre l'objet sous les yeux — peindre l'objet comme en un tableau —,
mais d'imiter la peinture en tant qu'art mimétique - peindre la peinture. Imiter
l’imitation, produire une connaissance,
non de l'objet, mais de la fiction d'objet, de l'objectivation: l'ekphrasis, c'est de la littérature.
Or
si nous regardons les 10 poèmes césairiens, il n’y a pas à proprement parler de
description des eaux-fortes de Lam, sauf dans un cas, le premier poème et sans doute
le dernier de la série, encore que d’une manière assez discrète. Nous proposons
ici de lire les poèmes de Césaire qui constituent un ensemble absolument magnifique,
dans leur rapport aux eaux-fortes de Lam. Mais avant d’avancer, il faudrait faire
allusion à une autre tradition littéraire, celle du tombeau, c’est à dire, le poème écrit à un mort. Comment l’ensemble
dédié par Césaire à Lam se situe ou fonctionne entre l’ekphrasis et le tombeau ou
encore autre chose, c’est ce qui nous intéresse ici d’élucider.
LA TRADITION POETIQUE
DU TOMBEAU | Dans l’un des chapitres
dans un livre publié l’année dernière, Mémoire
et métamorphose. Aimé Césaire entre l’oral et l’écrit, intitulé “Les tombeaux
césairiens”, j’essayais d’aborder non seulement l’hommage aux amis morts et aux
héros admirés, mais surtout la problématique de l’Autre et du Même. Car, au fond,
un tombeau se rattache à la problématique
de l’amitié, si importante depuis les Grecs et les classiques français, et sur les
réflexions qu’elle suscite. L’amitié est une des lignes de forces du poète Césaire.
Son amitié exemplaire avec Senghor, Damas, Lam ou encore Asturias est bien connue
de tous. Pendant longtemps, à Fort-de-France, Césaire a formé avec son vieil ami,
le Dr. Pierre Aliker, un couple d’amis en tout semblable au couple modèle de Montaigne
et La Boétie. Il était très émouvant de voir, aux funérailles de Césaire, ce vieux
monsieur, tout vêtu de blanc, s’avancer et faire l’éloge de son cadet devant la
foule dans un grand stade silencieux.
Reprenant la rhétorique de l’épitaphe, les discours philosophiques
sur l’ami décédé détruisent la structure de symétrie et de réciprocité, qui domine
la perspective antique de l’amitié, toujours associée aux idées d’égalité, de proportionnalité,
d’équivalence et d’identité, y introduisant une asymétrie insurmontable qui est
celle du mort et du vivant. Plusieurs poèmes césairiens chantent un mort: il s’agit
de savoir comment Césaire le fait.
Le poète Césaire, dans ses tombeaux à des poètes et écrivains francophones, marque sa place à lui,
à travers une très élaborée confrontation de poétiques: Paul Eluard (poésie française),
Léon-Gontran Damas (négritude américaine), Alioune Diop (négritude africaine), Saint-John
Perse (un autre type d’anabase). Césaire salue également un hispanophone, héritier
et représentant de la Méso-Amérique: Miguel Angel Asturias, celui qui a fait connaître
en France l’ancienne cosmogonie maya, le Popol-Vuh,
par sa traduction et son roman Les Enfants
du maïs.
Les tombeaux césairiens
saluent encore des personnages que le poète n’a pas personnellement rencontrés,
car éloignés dans le temps ou dans l’espace: deux héros historiques des Caraïbes
(Toussaint, le général Haïtien, dans le Cahier
dès sa première version de 1939 et Delgrès, l’Antillais par excellence), un étranger
qui vient de l’Ailleurs mais attentif à la voix collective et anonyme de l’oralité
(Lafcadio Hearn) mettant en scène un conteur et un adolescent lynché au Mississipi
(Emmet Till). Le poète se met alors à l’écoute de l’Histoire (passée et contemporaine)
ou d’un maître de l’oralité qu’il imagine présent à une veillée de contes. La plupart
de ces tombeaux font partie du recueil moi,
laminaire…
Césaire explore enfin, dans le même recueil, une forme exemplaire
de création enracinée dans les Amériques noires dans un tombeau complexe et fort beau de dix poèmes, dédié au peintre cubain,
Wifredo Lam, connu dès 1941 et décédé 40 ans plus tard. Illustration ou commentaire
tout d’abord d’une série de gravures et bientôt le plus important tombeau césairien, l’ensemble est exceptionnel
pour plusieurs raisons: a) d’une part, l’exposition du Grand Palais montre pour
la première fois au grand public en même temps les gravures et les textes; b) d’autre
part, elle y ajoute des manuscrits et enfin c) elle permet de lire en contrepoint
la création des deux caribéens.
LE
TOMBEAU DU PEINTRE LAM DANS UNE PERSPECTIVE
ANTHROPOLOGIQUE
…l’Essence par quoi qui tombe tombe
pour se relever
(in La Poésie, p. 334)
Le
tombeau de Lam est tout un cimetière.
Avec plusieurs tombes, réservoirs de la vie, lieux de fixation des âmes des morts
et surtout espace de la manifestation des dieux, selon une certaine orthodoxie ancienne
et selon une mythologie personnelle, celle de Césaire.
Les
morts sont légion et ils sont puissants. Ainsi des voix dialoguent et s’enchaînent
dans un tombeau complexe, entre tous.
Vous
l’avez compris. Entre l’ekphrasis et le
tombeau, je propose ici une troisième
voie de lecture, celle de l’anthropologie culturelle. Mon hypothèse de départ: Césaire,
connaissant parfaitement les deux traditions littéraires de l’ekphrasis et du tombeau, recrée à sa manière, librement, l’univers de Lam en s’inspirant
des cultes afro-américains. Autrement dit: Césaire ne reprend pas directement les
eaux-fortes de son ami Lam mais part de leur terreau commun, l’espace ancestral
de la Plantation dans les Amériques noires avec leurs cultes enracinés et populaires.
Sur
le problème des rapports de Césaire et l’anthropologie, nous pouvons laisser la
question pour le débat final. Avançons immédiatement que l’anthropologie est une
des lectures constantes de Césaire tout au long de sa vie.
L’ensemble
de 10 courts poèmes avec une longue épigraphe tirée d’un texte autobiographique
de Lam lui-même, met en scène plutôt un houmfò
haïtien (ou un temple cubain ou un barracão
brésilien) un jour de fête avec la descente de plusieurs loas/saints/orishas.
Le tombeau de Lam est composé d’un court texte
de Lam lui-même (La Poésie, p. 459) mis
en exergue évoquant la marraine Mantonica Wilson, et de dix poèmes intitulés successivement:
“Wifredo Lam…” (La Poésie, p. 461), “conversation
avec Mantonica Wilson” (La Poésie, p.
463), “connaître, dit-il” (La Poésie,
p. 464), “genèse pour Wifredo” (La Poésie,
p. 465), “façon langagière” (La Poésie,
p. 466), “passages” (La Poésie, p. 467),
“rabordaille” (La Poésie, p. 468), “que
l’on présente son cœur au soleil” (La Poésie,
p. 470), “insolites bâtisseurs” (La Poésie,
p. 471), “nouvelle bonté” (La Poésie,
p. 472).
Nous
sommes dans des mises en abyme successives,
dans des jeux sacrés, au son des tambours qui ponctuent et annoncent la descente
rituelle (ou la sortie) successive des orishsas,
santos ou loas (peut importe comment
on les appelle), l’apparition d’Eshou, le chant au Seigneur des feuilles, le dialogue
et les échanges des dieux, non pas en conserve mais enracinés et libres (la distinction,
comme on le sait, est de Roger Bastide[1]).
Je reprends
la distinction classique de Roger Bastide dans son ouvrage, Les Amériques noires, entre cultes en conserve (le mot conserve n’a aucune connotation
négative) et cultes en liberté. Il n’y a pas eu de transposition directe, comme
vous le savez certainement, toute prête d’Afrique en Amérique mais une longue reconstruction
qui tend vers l’orthodoxie ou se développe au risque des rencontres en toute liberté.
Le candomblé brésilien est un exemple du premier type de culte avec l’emploi d’une
langue sacrée pour les chants (le Yorouba) et l’établissement d’un processus d’initiation
en étapes; la macumba ou l’umbanda brésilienne, le vaudou haïtien et
la santería cubaine, sont, avec des degrés
divers, des cultes en liberté au syncrétisme intense, aboutissant au changement
du profil des divinités (une déesse des eaux douces devenant une déesse des eaux
salées de la mer, par exemple) ou à la création de nouveaux dieux, nés de la nouvelle
terre. La santería[2] cubaine est “el camino de los santos”: littéralement “le
chemin des saints” et son panthéon est très semblable à celui des cultes afro-brésiliens,
avec des différences néanmoins dans la correspondance entre les saints catholiques
et “los santos” de la santería.
Césaire
a connu Wifredo Lam au même moment où il a connu André Breton, en 1941. Il y a tout
un chassé-croisé entre ces trois hommes. Mais le dialogue entre Césaire et Lam est
encore plus important que le dialogue entre Breton et Césaire[3]. Et très certainement,
plus long. Nous connaissons les faits. Inutile de les reprendre.
Il nous
manque une étude systématique sur le dialogue entre Lam et Césaire. Il a duré toute
une vie et cette exposition du Grand Palais est une chance de reprendre ce dialogue
á fond. Les deux textes du catalogue forment la base pour y aboutir.
Dans ses derniers
recueils de poèmes, notamment dans moi, laminaire…,
Césaire reprend la forme des orikis, petits
poèmes souvent énigmatiques pour saluer les loas
(divinités du vaudou). Il a, depuis la première phase de sa poésie, composé des
poèmes tam-tam et il a caché des séquences énigmes[4]
dans ses grands poèmes cosmogoniques. Et ils sont plusieurs: à côté du Cahier, il y a “Les pur-sang”, “Le grand
Midi”, “Batouqe” et j’en passe. Tout cela est l’indice d’un rapport matriciel avec
des formes de l’oralité traditionnelle.
Regardons
les textes du tombeau dédié à Lam. Le premier texte, mis en exergue, est un morceau
des mémoires de Lam; il y évoque sa marraine (Mantonica Wilson) et les dieux qui
le protègent, lui, grâce à sa marraine: Yemanja, Shango, Ogun-Ferraille, Olorun.
Le simple fait de présenter Yemanja comme déesse de la mer prouve qu’il s’agit déjà
d’un culte américain, car à l’origine, en Afrique, Yemanja était la déesse des eaux
douces, non-salées. Une transformation est déjà arrivée: Pierre Verger analyse cette
transformation de façon très précise et documentée. Dans les dix poèmes, le premier
relève de l’ekphrasis, les quatre poèmes
suivants (poèmes 2 à 5) évoquent des divinités (loas ou orishas) des cultes
afro-américains, dans les quatre autres (poèmes 6 à 9) le poète Césaire part d’un
pas décidé vers une mythologie personnelle, le dernier (le dixième) enfin présente
une sorte d’épilogue. Essayons de les considérer l’un après l’autre.
LE PREMIER POEME “WIFREDO LAM…”: UNE EKPHRASIS DE
L’ENSEMBLE | Lisant le premier poème, tout suggère une ekphrasis non pas d’une gravure précise mais
de l’ensemble. Césaire considère successivement les eaux-fortes de son ami et essaie
d’en faire la synthèse: “mains implorantes/
mains d’orantes”, “toutes choses aiguës/
toutes choses bisaiguës”, “avatars d’un
dieu animé au saccage” “envol de monstres”, “que cherches-tu à travers ces forêts/ de cornes de sabots d’ailes de chevaux”
mais le poème annonce autre chose, en plus de la description d’un ensemble plastique
ou d’un espace imaginaire. En tout premier lieu, une question est posée et déjà
une réponse ou une reconnaissance se fait. À la question “que cherches-tu”, une première réponse apparaît déjà dans le poème et
elle est apportée, non pas par le destinataire mais par le témoin lui-même qui affirme:
j’ai reconnu aux combats
de justice
le rare rire de tes armes
enchantées
le vertige de ton sang
et la loi de ton nom
Dans “Wifredo Lam…”, Césaire salue son ami en tant que voyant
et maître de l’art de la divination (“liseur
d’entrailles et de destins violets” et “ récitant de macumbas”), mélangeant délibérément le vaudou haïtien, la
santería cubaine et la macumba brésilienne, des religions en liberté
des Amériques noires, cultes non soucieux d’orthodoxie, et s’identifie en quelque
sorte à ce métis qui conjugue, comme lui, le rire et les armes miraculeuses (“ le rire
rare de tes armes enchantées”). Ce poème aura une autre lecture lorsque nous
aborderons le quatrième poème de la série. Malgré l’emploi du mot “macumbas”, nous pensons que ce poème tend
déjà vers une orthodoxie.
Ekphrasis de l’ensemble, car
les ”mains implorantes/ mains d’orantes”
n’y apparaissent pas.
LES POEMES 2 A 5 DANS LE TOMBEAU A LAM: LE SALUT
D’UN INITIE SOUCIEUX D’ORTHODOXIE | Le second poème, “conversation
avec Mantonica Wilson” (Poésie, p. 463),
est clairement autre chose. Ce poème ne correspond à aucune gravure. On pourrait
dire, du point de vue anthropologique: c’est l’évocation d’Eshou sans que son nom
apparaisse: avec sa tête d’hippotrague, “ouvreur
de routes”, celui qui fait circuler la parole. Un saut se fait. La plupart des
critiques qui ignorent les Amériques noires butent sur cette “étrange tête d’hippotrague”. On ouvre les
dictionnaires et l’on trouve: “Zoologie: Antilope
de grande taille, à l’aspect chevalin, vivant dans les savanes d’Afrique”. Comment
expliquer cet animal africain dans un poème dédié à un métis cubain ? sans parler
évidemment de cet autre étrange objet: “le
chasse-mouches”
Le troisième poème,
“connaître, dit-il” (Poésie, p. 464),
a la forme d’un oriki. Définissons un
oriki: petit poème souvent énigmatique
pour saluer les loas (divinités du vaudou)
ou les orishas (divinités du candomblé, de la macumba ou de la santería).
Dans ses derniers recueils, notamment dans moi,
laminaire…, Césaire reproduit ou recrée la forme des orikis[5].
L’un des plus beaux orikis de Césaire
s’intitule “inventaire des cayes” (in Poésie,
p. 433).
Dans
ce troisième poème, Césaire chante le “connaisseur”
de l’action de connaître, en mouvement, en transformation permanente, il salue celui
qui, par le sexe (Eshou est représenté avec un phallus gigantesque), enlève les
voiles et révèle la vérité, si vérité il y en a. Sa capacité de transformation ne
peut être saisie que par le galop du cheval-vent.
Calao. Oiseau tropical porteur
d’un énorme bec recourbé que surmonte un grand casque corné. En regardant une photo
du calao, on constate sa ressemblance avec la tête d’Eshou. Oiseaux étranges et
beaux, les Calaos sont souvent impliqués dans les cultures locales. En Afrique où
le peuple les respecte, ils font partie de la mythologie et du folklore, en particulier
chez les Senoufo. D’autre part, il y a de nombreuses légendes sur la chèvre vendue
par Eshou dans un marché semant la pagaille entre les orishas.
L’eau-forte qui lui correspond présente le même visage sardonique et atterrant,
avec des cornes pointues, parfois juste la tête, parfois sur un corps féminin aux
seins flasques, parfois sur un corps hermaphrodite (avec des seins gorgés et des
couilles). Une tache rouge suggère la tête du calao qui se répète sur le sexe de
la figure de droite. N’oublions pas qu’Eshou est à la fois mâle et femelle. Souvent
il se dédouble, en une paire: au Brésil, Eshou et Pomba Gira, en Haïti, Legba et
Man Brigitte. Ils se tiennent debout aux carrefours, tour à tour menaçants et soucieux
ou protecteurs.
Dans le vaudou haïtien, deux divinités sont essentielles: Legba, mâle, génie
de la mort et du revenir et la Grande Brigitte, son épouse. De même, dans la macumba ou l’umbanda brésiliennes, Eshou, le maître et gardien des ténèbres, peut
apparaître avec sa femme (Pomba Gira)
et alors la cérémonie devient chaotique.
Le quatrième poème,
“genèse pour Wifredo” (Poésie, p. 465),
reprend le thème des os purs, matière de création
d’où part le “verbe parturiant”. Ces squelettes
ne sont pas signe de mort. Dans ce poème si dense, nous retrouvons le souvenir de
deux textes: l’un, classique et plus discret, lié au grand cycle thébain et au geste
de Cadmos semant les dents du dragon qu’il vient de tuer: de ces semailles naîtront
les Spartoï tout armés, les ancêtres lointains de la ville de Thèbes; l’autre, plus
important encore, renvoie à la croyance des Bambaras, analysée par des anthropologues
comme Germaine Dieterlen et Dominique Zahan: les os sont la matière première de
la création.
Pour les Bambaras,
les os, constituent la partie la plus durable, sinon impérissable du corps humain,
l’intérieur, le support du visible et symbolisent l’essence de la création[6].
Rappelons seulement quelques textes oraux africains.
Yo, l’Esprit Premier,
préexistant à toute création, est le grand constructeur de la moelle des os; le
point central de la croix de directions cardinales de l’espace, d’où part la spirale
du verbe créateur (Faro), appelée l’os
du milieu du monde[7].
Nous y sommes, non pas dans les cultes afro-américains, mais dans un récit elliptique
de cosmogonie primordiale. En réalité, dans le quatrième tombeau, il s’agit de la
suggestion d’une nouvelle genèse, car ces os se sont emparés “de tout ce qu’il reste de vie” et provoquent
un nouveau départ à partir du verbe.
Dans une série de poèmes qui glosent les cultes nègres de la
grande zone des Plantations, ce tombeau dédié à Lam, constitue un retour à l’Afrique
célébrant un récit de création primordiale. Mais comme souvent chez Césaire, la
création se refait par cycles. Comme pour Asturias d’ailleurs, à l’exemple du Popol-Vuh, la grande épopée maya. Ce petit
poème reprend de façon tout à fait explicite un verset du premier poème qui avait
pour titre le nom du peintre: “le cycle des
genèses vient sans préavis” (La Poésie,
p. 461). C’est là la croyance profonde de la Méso-Amérique et le lecteur sait déjà
que l’idée d’un cycle de genèses est la marque principale du Popol-Vuh.
Le titre du poème est intéressant. Le poème de Césaire s’intitule
“genèse pour Wifredo”. On s’attendait à une autre préposition “par Wifredo”. La
préposition pour ici est polyvalente au
double sens de: a) d’après Lam et b) adressé à Lam par son ami.
Le cinquième, “façon langagière” (La Poésie, p. 466) évoque de forme allusive un autre orisha, le Seigneur des feuilles, dit en
portugais du Brésil, Ossain, celui qui interprète les signes obscurs. Il porte d’ailleurs
le même nom en espagnol dans la santería
cubaine. Il correspond à Papa Loko dans le vaudou haïtien: l’esprit du vent, le papillon, “Papa Loko” appelé
aussi Loko Atissou, le gardien du poteau mitan, l’axe central du temple vaudou autour
duquel tournent les cérémonies.
Il est le Grand Prêtre des temples et préside aux initiations.
Il vit dans les arbres et comme Grand Bois, c’est un esprit guérisseur qui
connaît tous les secrets des plantes et de la végétation.
Son nom est d’origine dahoméenne:
le Loko est un arbre qui pousse dans les forêts béninoises et peut atteindre 15
mètres de haut.
Il y a une phrase populaire dans le candomblé brésilien: “sem folhas
não há orixás”. Littéralement: sans les feuilles, il n’y a pas d’orishas. Les feuilles sont liées à la médecine.
Ossain est le Seigneur secret des feuilles: c’est lui qui détient la force et la
vitalité (axé) nécessaire à tous les autres
dieux. Il est ainsi “la clé de voûte”.
Ossain est l’orisha mâle d’origine nago
(Yorouba). C’est l’orisha de la couleur
verte, du contact le plus intime avec la nature, avec la forêt. L’espace consacré
à cet orisha n’est pas celui des jardins
cultivés de manière traditionnelle, mais les recoins de la forêt où seuls les prêtres
peuvent entrer, où poussent les plantes de manière sauvage. Orisha de grande signification, car tous
les rituels importants emploient le sang noir qui vient des plantes. L’endroit pour
ses offrandes: les clairières au milieu de la forêt vierge. Relisons le poème avec
cette clé: il fait sens. “Ici commence/ repris
aux fauves/ le territoire sacré mal concédé des feuilles” (La Poésie, p. 466). Grâce à lui “le noyau parle”.
Quel est le rapport
entre le Seigneur des feuilles et Eshou ? On pourrait dire, de façon synthétique,
qu’Eshou se rattache à tout, car c’est lui qui fait tout bouger. Plus précisément:
Eshou, comme Ossain d’ailleurs, est lié à la nature et à la divination, car dans
le système d’Ifá lorsque l’initié pose les questions en jetant les cauris, c’est
toujours Eshou qui répond. Tous les objets circulaires, utilisés pour recevoir les
cauris des mains du prêtre d’Ifá, ont sur le rebord une bouche: la bouche d’Eshou.
À cet égard, le grand spécialiste reste Pierre Verger[8]
qui dans l’immédiat après-guerre, tout d’abord à Bahia et ensuite en Afrique, s’initie
au jeu d’Ifá. Il devient chercheur au CNRS et finira par atteindre le degré le plus
élevé d’initiation en tant que babalaô,
recevant son nom vaillant, Fatumbi.
Le titre de ce poème énigme, “façon langagière “, renvoie du
point de vue religieux au système traditionnel de la divination Yorouba et du point
de vue linguistique à la fonction appelée par Roman Jakobson, métalinguistique.
Dans l’eau-forte correspondante, des figure sont perdues dans
l’ombre de la forêt: trois éléments semblent correspondre au poème: “le noyau parle” correspond à cette tache
rougeâtre cornue et aux yeux allumés au fond et au centre, “le hochet directionnel” renvoie à ces têtes
en demi-lune cornues identifiées à Eshou et “le losange veille les yeux fermés”, reprennant cette sorte de bouclier
protecteur.
LES TOMBEAUX 6 A 9: LE CHANT D’UN SANTERO | On pourrait également
dire: le chant d’un vaudouisant ou d’un macumbeiro.
Un santero est un initié de la santería, le chemin des saints à Cuba. Nous
avons choisi le mot cubain, car Lam est né à Cuba.
Le sixième tombeau, “passages” (la Poésie, p. 467), évoque de nouveau le passeur par excellence, Eshou.
Le mot central du poème est une action: “passer”
(verbe repris 5 fois en 17 lignes) et une fonction “passage” (repris 2 fois). Césaire allusivement résume le rôle d’Eshou:
la transgression (“les plus audacieuses transgressions”)
et la continuité discontinue dans le temps et dans l’espace. En d’autres mots: il
garde dans le mouvement la mémoire de ce qui fut et de ce qui est (“ les mémoires vivantes”). Le noyau significatif
du poème est: “de tout paysage garder intense
la transe/ du passage”.
Mais Césaire culbute la mythologie Yorouba par ses souvenirs
classiques: “anabase et diabase,“volcan” et “termitière”. Plus sans doute que culbuter, il faudrait dire, du point
de vue analytique, articuler. Le poète mélange souvenirs classiques au savoir ancestral
africain lorsqu’il écrit “passer/ anabase
et diabase” et évoque de façon sibylline deux formes coniques: l’une gigantesque
(le volcan) et l’autre de la taille du petit (“ termitière”). Les deux formes sont dans l’indécis, dans le brouillard
du paysage: “se dégage du fouillis au loin/
tribulation d’un volcan/ la halte d’une vive termitière”.
Là encore, c’est l’expérience d’avoir passé une partie de l’enfance
dans de petites villes de campagne, au Brésil, dans la vallée du Paraíba, qui me
fait lire la termitière comme une forme analogue, dans le petit, au volcan. Nous
connaissons un certain nombre d’orikis
très populaires d’Eshou. Ce dieu nègre y est décrit et salué comme tour à tour très
grand (comme un volcan: assis, sa tête touche au ciel) et tout petit (comme une
termitière: debout, il a la taille d’un ustensile de cuisine ou d’une brique). Césaire
joint une forme du paysage antillais (le volcan: la montagne Pelée en Martinique
ou la Soufrière en Guadeloupe) et une forme créée par des animaux minuscules dans
les pays tropicaux (la termitière).
Un Européen, un Américain du Nord a sans doute déjà lutté contre
des termites dans sa maison ou dans sa bibliothèque, mais n’a probablement jamais
vu une termitière des pays chauds. Le Petit Larousse explique:
Termite n.m. (bas lat. termes-itis, ver rongeur). Insecte xylophage,
aux pièces buccales broyeuses, à deux paires d’ailes égales, qui vit dans une société
composée d’une femelle (reine) à énorme abdomen, d’un mâle, de nombreux ouvriers,
qui assurent la construction et apportent la nourriture, et de nombreux soldats,
chargés de la défense. (Quelques espèces habitent en France, causant parfois des
dégâts dans les constructions, mais les termites sont surtout abondants dans les
régions chaudes, où ils édifient de grandes termitières. Ordre des isoptères.)
Termitière n.f. Construction en terre
ou en carton de bois, que les termites fabriquent dans les pays tropicaux. (La termitière
peut atteindre plus d’un mètre de haut et se poursuit dans le sol par de nombreuses
galeries.)
Selon Lilyan Kesteloot, Césaire avait pensé tout d’abord appeler
son recueil moi, laminaire: diabase. Celui-ci
serait le mouvement complémentaire à l’anabase. Si anabase est du point de vue étymologique
l’action de monter, de retourner aux sources, diabase est le mouvement de passer
à travers. Mais passer à travers quoi ? C’est au lecteur de résoudre l’énigme: Eshou
passe à travers l’espace et le temps.
Mais anabase a encore
un sens précis, littéraire: anabase est un titre classique. Avant d’être l’anabase
de Saint-John Perse, c’est le retour des mercenaires grecs en Grèce, raconté par
un officier grec, qui les commande, Xénophon[9].
Xénophon raconte la retraite des dix mille qui, à travers des dangers sans fin,
traversant des terres hostiles, retournent au pays natal, arrivent enfin devant
la mer et crient Thalassa! Thalassa!
La juxtaposition finale entre un volcan et une vive termitière
vient d’un des traits physiques les plus marquants d’Eshou: sa taille change sans
cesse. Plusieurs de ses orikis l’affirment.
Des détails encore
l’identifient: le chasse-mouches et un certain type de coiffure. La description
de la tête d’Eshou salué dans sa “tête d’hippotrague”
ne renvoie pas uniquement à un type d’antilope aux longs cornes d’Afrique du Sud;
l’expression renvoie également à un type de coiffure traditionnelle, car Eshou porte
sur sa tête un couteau ou une plume d’oiseau. Celle-ci a même un nom dans le candomblé brésilien: ekodidês. Ses prêtres nous le rappellent
soit par leur coiffure, soit par une sorte de béret qu’ils portent avec un haut
vertical[10].
De nombreux orikis
saluent la tête d’Eshou sur laquelle il y a au moins deux légendes fort connues.
Selon la première, Oshala, le dieu suprême,
frappa Eshou qui devint un nain, puis celui-ci se secoua et devint un géant: ce
conte explique pourquoi Eshou tantôt n’est pas plus grand qu’une brique, tantôt
sa tête touche au ciel. Un autre oriki
au Brésil réunit sa taille au couteau sur sa tête; il dit textuellement:
A lâmina sobre a sua cabeça é afiada
Ele
não tem cabeça para carregar fardos
Exu
leva azeite numa peneira
Sem
derramar uma gota
Quando
está de pé
Tem
o tamanho de um tijolo
Quando
está sentado
Sua
cabeça resvala no teto.
On pourrait traduire:
Le couteau sur sa tête est coupant
Il n’a pas une tête
à porter des fardeaux
Il porte l’huile
dans un tamis
Sans que coule une
seule goutte
Quand il se met debout
Il a la taille d’une
brique
Quand il est assis
Sa tête touche au
ciel
Eshou est encore celui qui porte souvent le chasse-mouches: ainsi,
tous les détails du poème sont justes. Un regard sur les photos de Pierre Verger
des initiés recevant des orishas aiderait
le lecteur à percevoir la métaphore.
De tout paysage garder intense la transe
Du passage
Passer anabase et diabase (La Poésie, p. 467)
Eshou, anabase et diabase, insinue Césaire. Cela veut dire
que non seulement Eshou passe et remonte dans le temps et dans l’espace, mais qu’il
passe à travers des espaces. C’est pour cela qu’il est toujours, comme on le sait,
le premier à être salué dans un houmfò
(au Brésil, on dirait barracão)
Eshou “qui ouvre les chemins”,
“le maître des carrefours” est chanté
dans un poème qui s’intitule “passages” et qui se termine par l’image étrange de
deux cônes l’un gigantesque, l’autre très petit, celui d’un volcan et d’une vive
termitière: telle est une de ses caractéristiques essentielles. Fidèle à son rôle
de médiateur, Eshou est source de changement, de dialectisation:
Eshou! La pierre qu’il a lancée
C’est aujourd’hui
qu’elle tue l’oiseau.
Du désordre il fait
l’ordre, de l’ordre le désordre!
Ah! Eshou est un
mauvais plaisant.
Le passage, que tout lecteur de Césaire reconnaît, tiré de la
pièce Une tempête (III, 3, p. 70) n’est
que la citation, littérale, d’un oriki
d’Eshou. Jorge Amado, dans son livre Bahia de Todos os Santos, guia
de ruas e mistérios, présente Eshou ainsi:
Quem
guarda os caminhos da cidade de Salvador da Bahia é Exu, orixá dos mais importantes
na liturgia do candomblé, orixá do movimento,
por muitos confundido com o diabo no sincretismo com a religião católica, pois ele
é malicioso e arreliento, não sabe estar quieto, gosta de confusão e aperreio. Postado
nas encruzilhadas de todos os caminhos, escondido na meia-luz da aurora ou do crepúsculo,
na barra da manhã, no cair da tarde, no escuro da noite, Exu guarda sua cidade bem
amada. Ai de quem aqui desembarcar com malévolas intenções, com o coração de ódio
ou de inveja, ou para aqui se dirigir tangido pela violência ou o azedume: o povo
desta cidade é doce e cordial e Exu tranca seus caminhos ao falso e ao perverso.[....]
Gosta
de balbúrdia, senhor dos caminhos, mensageiro dos deuses, correio dos orixás, um
capeta. Por tudo isso sincretizam-no com o diabo: em verdade ele é apenas o orixà
em movimento, amigo de um bafafá, de uma confusão, mas, no fundo, excelente pessoa.
De certa maneira é o Não onde só existe o Sim: o Contra em meio do a Favor; o intrépido
e o invencível.[11]
Résumons: Eshou dit oui
dans le monde du non, il est pour dans le monde du contre ou inversement. Toujours. De l’ordre,
il fait le désordre; du désordre, il fait l’ordre. Ainsi la lecture de cet ensemble
de Césaire, soit pour un vaudouisant, soit pour un Brésilien familier du candomblé ou de la macumba, ne pose pas de problème du point de vue anthropologique. De
même que pour un familier de la santería:
Lam la connaissait fort bien. Cette lecture échappe au psychologisme et aux souvenirs
personnels souvent contestables si l’on regarde de près les dates, se concentrant
de préférence sur le mythique. Mais évidemment, les deux lectures ne s’annulent
point.
L’eau-forte correspondante “passages” est douée d’un extraordinaire
mouvement de propulsion dans tous les sens. On y retrouve la main implorante qui
veut recevoir le petit losange bleu.
Le septième poème, “rabordaille” (La Poésie, p. 468-469), prend le nom d’un petit tambour pour titre.
Le Glossaire explique: “petit tambour
cylindrique à deux peaux. Désigne aussi le rythme rapide joué sur ce tambour, comme
pour l’abordage”.
Le tambour apparaît en particulier dans la Tragédie du Roi Christophe au moment de la
mort du Roi. On est dans la pénombre; atmosphère inquiétante de cérémonie vaudou.
Christophe invoque l’arbre, Ibo Loko et
Legba. Mme Christophe invoque le loa serpent Damballah wedo; le Roi prêt de mourir s’identifie au tambour.
Tambours mon pouls, battez,
Le toucan de son bec brise
le fruit du palmier-raphia
Salut toucan grand tambourinaire!
Coq, la nuit saigne au tranchant
de la hache de ton cri
Salut, coq, ahan tranchant!
Le martin-pêcheur happant
brin d’oriflamme par brin d’oriflamme s’invcnte un petit matin de soleil ivre
Salut martin-pêcheur grand
tambourinaire!
tambour-coq
tambour-toucan
tambour-martin-pêcheur
tambour! mon sang audible!
Assotor mon cœur, battez.
Mes hounsis! mes enfants!
quand je mourrai,
le grand tambour n’aura plus
de son.
Alors qu’il batte, qu’il
batte, le grand tambour
qu’il me batte un fleuve
de sang,
un ouragan de sang et de
vie
Mon corps! (Chr., III, 7, p.143 – 144)
Jacques Stephen Alexis, le romancier haïtien, emploie le même
mot “rabordaille” dans L’Espace d’un cillement: “Le tambour hoquette au loin sur un tempo littéralement épileptique de rabordaille”.
[12] Au fond, dans les
Amériques noires, le tambour est important parce que sans le tambour, les dieux
ne descendent pas, ni dans le vaudou, ni dans la santería, ni dans le candomblé,
ni dans la macumba. Sans tambour, pas
de dieux (loas, orishas).
Les colons protestants ont parfaitement compris la fonction du
tambour: lorsqu’ils l’interdisent, ils permettent la christianisation profonde de
leurs esclaves. Les catholiques (Espagnols et Portugais essentiellement, mais Français
également en Louisiane et en Haïti) n’ont pas réussi à éliminer le tambour et ainsi
dans leurs colonies, le terrain était propice à l’enracinement des dieux africains:
vaudou, santería, lucumi, candomblé, quimbanda,
macumba, umbanda etc. La liste des cultes afro-américains dans la grande zone
de la Plantation en Amérique est presque interminable. Cela est un lieu commun et
nous n’y insistons pas.
Ce qui est important,
dans ce tombeau césairien, c’est que ce n’est pas un dieu qui descend ou chevauche
son initié. Le tambour annonce la venue d’un homme. Et cet homme est vent, vantail, portail, un homme. C’est,
bien entendu, Lam, le mort lui-même, métis de nègre et de chinois. Exagération poétique
? Non. Césaire fait pour Lam qu’il présente comme une sorte de loa, ce que les Haïtiens ont fait pour certains
de leurs héros de l’Indépendance: le très historique général Dessalines[13],
dont on connaît le lieu et la date de mort – 1806 – ainsi que ses faits, est devenu,
comme on le sait, Papa Dessalines dans
les houmfò haïtiens. Pour conclure avec
ce poème, on pourrait affirmer que Césaire amorce ou revendique là un mouvement
que la macumba brésilienne a mené à bonne
fin lorsqu’elle crée les orishas/santos
natifs du nouveau pays, les “boiadeiros”,
les “indiens”, les “sertanejos”, les “caboclos” ou encore les “pretos
velhos” etc.
Le poème “rabordaille”
a eu une lecture sensible, de type biographique, faite par René Hénane dans un livre
récent[14].
Je ne la conteste pas d’emblée, mais je crois que ce poème a une autre couche de
signification à explorer, même si on accepte l’idée d’un poème à clés, avec identification
de personnages. Il ne faut pas oublier: ce poème n’est pas isolé, il fait partie
d’un tombeau complexe avec plusieurs pièces où se profile la figure d’Eshou. Il
doit être lu dans un ensemble. Césaire prend comme introduction à son ensemble un
texte de Lam sur les orishas à Cuba. La
marraine l’avait mis sous la protection d’Yemanja,
Shango, Ogoun-Ferraille, Olorun. Ainsi, je résiste sans doute à l’idée avancée
par René Hénane d’identifier la “femme très
belle /au corps de maïs aux cheveux de déluge” à l’artiste suédoise Lou Laurin. Wifredo Lam la connaît à Paris en 1954 et
l’épouse en 1960. Pour deux raisons différentes: l’une, elle aussi biographique;
l’autre, beaucoup plus importante, intrinsèque au texte.
Tout cela me fait douter de l’identité de la femme au corps de
maïs, proposée par René Hénane pour le poème de Césaire. Enfin, au fond, peu importe
la femme, Helena ou Lou. Il y a toujours une femme dans la poésie de Césaire à laquelle
se réfère le héros ou le narrateur: c’est une figure idéale et le plus souvent presque
mythique. Cette figure idéale est tantôt la Liberté ou l’Espérance qui hors-peur
hèle le personnage ou le narrateur. Dans cet hommage à Lam, cette figure idéale
n’est pas le portrait de telle ou telle femme pour aimée qu’elle ait été dans la
vie de tous les jours.
D’ailleurs si l’on regarde attentivement le texte, le poète se
réfère “au corps de maïs aux cheveux de déluge”.
Le corps de maïs sort évidemment du Popol
Vuh, le grand récit cosmogonique de l’Amérique précolombienne, mythe que reprend
d’ailleurs Asturias dans son roman le plus célèbre: Los hombres de maíz. Césaire au fond est marqué, on le répète, par un
type de cosmogonie à étapes ou par essais successifs: les hommes naissent, enfin,
après une série de cosmogonies ratées, de la terre et d’une céréale, le maïs. La
lecture de ses poèmes cosmogoniques le prouve. Césaire a fait plusieurs essais en
particulier dans la première phase de sa poésie.
Relisons ce que dit le Larousse du maïs:
Maïs n.m. (esp. maíz, d’une langue haïtienne). Céréale de grande dimension, à tige généralement
unique et très forte, à gros épi portant des grains en rangs serrés, cultivée dans
le monde pour l’alimentation humaine (grains) et, surtout, animale. Genre Zea; famille des graminées.)
Sur l’importance
du maïs dans toutes les Amériques, la bibliographie spécialisée est immense. Du
point de vue littéraire, Asturias a diffusé, par son roman, l’idée que les hommes
descendent du maïs, c’est-à-dire d’une culture de la terre. Du point de vue populaire,
la consultation d’un dictionnaire du folklore comme celui, monumental, de Luís Câmara
Cascudo pour l’aire brésilienne, apporterait un ensemble de faits documentés. Câmara
Cascudo[16]
écrit, après avoir fait un résumé des principales légendes sur le maïs (je traduis
directement du portugais):
Du Mexique jusqu’au Paraná,
le maïs s’articule avec les anciens cultes précolombiens, figurant dans des bas-reliefs,
signe divin, personnalisé par la figure de Mama Sara, étant même une constellation
(Saramanca –la feuille du maïs). Après le manioc, le complexe ethnographique du
maïs est le plus vaste, avec une projection folklorique dans la cuisine traditionnelle.
Si l’on consulte une carte géographique, du Mexique au Paraná
(fleuve du sud du Brésil avec son embouchure dans l’estuaire de La Plata), le maïs
couvre au moins deux tiers de l’Amérique continentale.
Du point de vue populaire,
faire des poupées avec des épis de maïs est une activité à la fois enfantine et
sacrée[17].
Du point de vue culinaire, – la cuisine fait la médiation entre nature et culture:
Lévi-Strauss nous l’a montré – le maïs entre dans la cuisine traditionnelle, quotidienne
et sacrée des orishas.
Tout cela renforce ma
résistance à accepter une lecture simplement biographique de ce tombeau. La lecture
de René Hénane se justifie du point de vue de la littérature occidentale: il identifie
certains renvois, par exemple, “à l’échelle
de soie contre un mur”, mais c’est le contexte américain enraciné qui est totalement
absent de son interprétation. Ce qui est important dans cette image ce n’est pas
l’amour entre deux adolescents à Vérone mais la clandestinité. Surtout l’articulation
de ce poème avec un ensemble poétique, celui d’un tombeau multiple dédié à un métis américain, antillais, cubain. Car
Lam est également métis du point de vue culturel, comme Césaire d’ailleurs.
Ce poème “rabordaille”
est lié au fond à une double tradition américaine: l’une de la Méso-Amérique (le
maïs, le Popol-Vuh, la Sara Mama[18]
etc.) et l’autre des Amériques noires (la création de nouveaux orishas ou loas dans les cultes en liberté qui innovent par rapport à la tradition
strictement africaine). Un certain vocabulaire reste évidemment “africain”: jeter
des cauris, masque goli[19], hyène et vautour,
baobab etc. Le trait d’humour final - “le
temps n’était pas un gringo gringalet” – montre, s’il en était besoin, que Césaire
y articule les “latinos” aux “noirs” d’Amérique.
Le poème “rabordaille”
est encore important, car nous connaissons – l’exposition nous le montre – la première
étape de ce poème écrit “in memoriam”
avec un titre plus transparent “poète rabordaille”.
Le catalogue note: “version sans doute composée
peu après le décès de Wifredo Lam le 11 septembre 1982. Tapuscrit recueilli par
Lilian Kesteloot et offert par elle en 2010 à la Bibliothèque Jacques Doucet”
(p. 77).
La présence d’un
tapuscrit permet d’analyser ce que les multiples versions du Cahier nous ont fait comprendre depuis longtemps:
Césaire reprend ses textes, ses poèmes dans de multiples versions, il compose par
blocs, il coupe et multiplie les ajouts.
Regardons les deux
textes: celui qui a été publié par Seuil et la version précédente “in memoriam”. Quels en sont les changements
? Je mets côte à côte les deux poèmes pour mieux dégager les principales différences:
a) tout d’abord le
titre: “poète rabordaille” (in memoriam) et “rabordaille”
b) l’incise entre
parenthèses change: (le soleil était lisse
sans écaille ni prétintaille) devient (on
était très loin de la prétintaille[20] quinteuse[21] qu’on lui connaît depuis)
c) le passage central,
la 2e strophe, s’allonge et se transforme: voyons tout d’abord la première
version:
alors vint un homme qui claudiquait les mots
alors vint un homme qui mâchonnait des montagnes
alors vint un homme qui étendait les mains comme
des alpages
histoire de faire brouter un nuage
alors vint un homme d’un apanage désespéré
alors vint un homme qui s’était longtemps tenu
entre l’hyène et le vautour
au pied d’un baobab
d) d’autre part,
la division en strophes disparaît de la version imprimée et le passage central du
poème devient:
alors vint un homme qui jetait les cauris
ses couleurs
et faisait revivre vive la flamme des palimpsestes
alors vint un homme dont la défense lisse
était un masque goli
et le verbe un poignard acéré
alors un homme vint qui s’élevait contre la nuit
du temps
un homme stylet
un homme scalpel
un homme qui opérait des taies
c’était un homme qui s’était longtemps tenu
entre l’hyène et le vautour
au pied d’un baobab.
Essayons de voir
rapidement ces trois changements:
a) le titre se simplifie: l’identité peintre =
tambour rabordaille s’efface de la surface du texte; elle se maintient de façon
plus subtile, car les répétitions font de ce poème une sorte de poème tam-tam;
b) l’incise devient
plus prosaïque, ce qui est assez courant chez Césaire, indice d’un rapport important
entre l’écriture et une certaine oralité. D’ailleurs ce soleil quinteux est une
des faces courantes du “pourrissement”
du monde avant les grands changements: il se rattache au “sacré soleil” du début du Cahier
ou encore au “au soleil qui toussote”
du même poème;
c) la première présentation
de Lam se rattachait à des thèmes courants chez Césaire mais plutôt négatifs: “claudiquer ses mots”, “mâchonner des montagnes”, “étendre ses mains comme des alpages[22]“, “apanage[23] désespéré”. Dans la version définitive,
le poète met en scène de façon plus évidente le rôle divinatoire du peintre (“jeter les cauris” renvoie au jeu de l’Ifa),
reprend le thème du palimpseste qui est celui de l’écriture sur d’autres écritures
et le masque goli. Lam qui n’est jamais exprimé avec une parfaite aisance en français
(il a toujours parlé espagnol avec Helena ou avec Picasso) et dont le symbole chez
Alciat porte un bouchon sur la bouche, devient le porteur du Verbe, “poignard acéré”, “stylet”, “scalpel”. Le souvenir
discret des textes évangéliques est encore là: “opérer des taies”, charrié d’ailleurs par le Cahier: “ma négritude n’est une
taie sur l’œil mort de la terre”. Enfin de façon révélatrice, Césaire maintient
la position de l’homme rabordaille entre deux charognards, l’hyène et le vautour,
ceux qui vivent des morts et permettent la transmutation des valeurs. Lam devient
un Africain mythique au pied de l’arbre, le baobab.
Sur l’importance
de l’arbre dans la pensée de Césaire, inutile d’insister. Des débuts jusqu’aux derniers
textes, c’est le schéma essentiel, le modèle même de vie.
Par contre, l’évocation
de Lam entre deux charognards est à commenter. Animal à la fois charognard et nocturne,
la hyène présente, d’après Dominique Zahan[24], une signification
ambivalente tout en s’articulant avec le vautour. L’hyène se caractérise par sa
voracité, par son odorat, entraînant les facultés de divination qu’on lui attribue,
et par la puissance de ses mâchoires capables de broyer les os les plus durs. De
ce fait elle constitue, en Afrique noire, une allégorie de la connaissance, du savoir,
de la science. Mais en dépit de ses extraordinaires facultés d’assimilation, l’hyène
est un animal terrestre et mortel, dont la sagesse et la connaissance sont purement
matérielles. C’est en ce sens qu’elle s’oppose, en même temps qu’elle le complète,
à un autre charognard, le vautour aérien et donc divin, dans la pensée des Bambaras.
Hyène et vautour se tiennent à côté de Lam, cet homme au pied du baobab. Chez lui
se conjuguent le savoir matériel, terrestre et le savoir spirituel, divin.
Le baobab est par
excellence l’arbre africain: arbre mythique et chargé d’histoire, symbole de paix
et de longévité. Le baobab est certainement
l’arbre le plus célèbre d’Afrique et également le plus facilement reconnaissable.
Arbre des régions tropicales d’Afrique, au tronc pouvant atteindre 25 m de circonférence
et aux fruits comestibles. En effet le
baobab n’est pas un arbre ordinaire, de par ses "mensurations" hors normes et la place qu’il occupe au cœur
des cultures et croyances du Sahel. Il est également appelé "l'arbre magique", "l'arbre pharmacien", "l'arbre de la vie", "l’arbre à palabres", "l’arbre à l’envers" ou encore
"l'arbre sens dessus dessous".
Considérons pour un
moment l’eau-forte correspondant au poème “rabordaille”: c’est une danse sauvage
de formes monstrueuses. L’explosion du mouvement correspond au déchaînement des
tambours.
Dans le huitième poème,
“que l’on présente son cœur au soleil” (in La
Poésie, p. 470) Césaire mélange de nouveau des mythologies diverses certes,
mais enracinées en Amérique: le personnage populaire de la Bête des contes antillais
s’unit à la cérémonie des cultes précolombiens d’offrir aux dieux le cœur sanglant
et encore palpitant d’un homme. Nous y retrouvons le schéma obsédant de l’imaginaire
césairien, celui de l’inversion de l’inversion:
Bête
aux abois
Mort traquée par la mort
De son masque déchu elle
s’arc-boute à son mufle
Le poème est un discours d’un vivant au mort qui défie encore
la Mort; l’ouverture a un accent nettement épique: “la Bête a dû céder sur le sentier de ton dernier défi”. Dans ce combat
du mort contre la Mort, la victoire sera de Lam s’il perdure dans la mémoire des
hommes. Quelle meilleure façon de perdurer sinon par ses œuvres et par le souvenir
de son ami ?
Pour vaincre encore: il suffit d’offrir “à la gourde des germes/ le sexe frais du temps
/sur l’aube d’une main mendiante de fantômes”. On y retrouve l’idée de la chaîne
des vivants et des morts et la réincarnation des morts dans les vivants. Lam répond
au besoin collectif de réincarnation: les “fantômes”
reviendront, non pas pour faire peur aux vivants, mais pour leur faire des dons.
Les “fantômes” sont les germes de l’avenir
(“le sexe frais du temps”, c’est-à-dire
du printemps = primus tempus).
Comparant cette eau-forte à la précédente, le spectateur sent
que la danse sauvage au son du tambour est remplacée par une scène beaucoup plus
calme et hiératique. Les formes connues reviennent: le losange bleu, l’œuf, l’oiseau
calao. Seul la figure de droite paraît exploser et en mouvement.
Le neuvième tombeau, “insolites bâtisseurs” (in La Poésie, p. 471), semble tout d’abord décrire
un tableau de Lam, La Jungle. Mais attention:
la reprise du mot “fantômes” le relie
au poème précédent. Il faut surtout faire attention au conseil: “préserve la parole”. Regardant attentivement
le texte très court, on n’y retrouve que des verbes à l’impératif: “préserve la parole”, “rends fragile l’apparence”,“capte aux décors le secret des racines”.
Le poème est composé de trois parties: dans la première, dans
six versets, on énumère tout ce qui est négatif ou en train de mourir: “tant pis si la forêt”, “tant pis si l’avancée...”,“tant pis si le drapeau…”,“tant pis / tant pis, si l’eau…”); dans la
seconde partie, s’accumulent les verbes à l’impératif; à la fin, en deux versets,
apparaît le commentaire du narrateur ou si l’on veut du metteur en scène.
La vraie question est: qui parle ? Ce n’est pas le vivant qui
s’adresse à l’ami mort. Là est l’énigme à résoudre, le secret à déchiffrer. Celui
qui parle, ici, c’est le mort, c’est Lam lui-même qui dicte, pour les vivants, nous
tous, ses conseils de vie et leur/nous apprend l’essentiel. En somme: le code à
suivre. Les nouvelles tables de la loi. “La
résistance ressuscite”: la résurrection de la vie dépend des vivants capables
d’entendre et de suivre la leçon des morts. Certains morts (“fantômes”) sont “plus vrais que leur allure”. Ces fantômes sont les “insolites bâtisseurs” de l’avenir.
Dans l’eau-forte correspondante, la scène se passe sur ce fond
rouge–doré que l’on connaissait déjà. Des mains orantes protègent la ténuité du
double losange. Et un vévé semble s’inscrire par terre. Un vévé est un symbole
religieux qu’on dessine sur le sol avec de la craie, de la farine ou du marc de
café: il représente un loa pendant un
rituel. Il correspond au ponto riscado
au Brésil.
Parmi les neuf eaux-fortes de l’ensemble, c’est la seule où une
forme et un visage apaisés se montrent. Dans la fureur et l’épouvante, une “ nouvelle
bonté” est possible.
UN REGARD SUR L’ENSEMBLE POETIQUE DEDIE A WIFREDO
LAM | N’importe
qui, avec quelque connaissance des cultes afro-américains, décrivant ce tombeau
multiple dirait que, dans les cinq premiers poèmes, c’est plutôt un initié du candomblé ou du lucumi qui parle, soucieux d’orthodoxie, de détails précis, cherchant
à chanter selon les règles d’un rituel, essayant consciemment de renouer en profondeur
avec l’Afrique (c’est le cas du poème nº 4 qui récite et glose un récit cosmogonique
Bambara le faisant entrer, il est vrai, dans un cycle de genèses successives). Le
personnage central est Eshou, avec deux poèmes: le deuxième et le troisième, ou
encore l’homme des feuilles, c’est-à-dire le Maître de la forêt, Ossain.
Dans les cinq derniers
poèmes, Césaire se rapproche plutôt du “santero”,
du “vaudouisant” ou du “macumbeiro”: en toute liberté et sans aucun
complexe, il bat son “batouque”, mélange
les dieux et métisse allègrement les mythologies, comme un vrai anthropophage heureux[25].
Dans ces cinq derniers poèmes, le poète annonce la bonne nouvelle, la venue d’un
homme et une aube. Dans la dernière eau-forte, un visage apaisé et endormi de femme
paraît une promesse d’espoir.
Revenons enfin à Eshou. Il n’est pas simplement un “diable nègre”. Césaire l’a écrit, certes,
dans une didascalie dans une pièce de théâtre, pour faire vite et pour donner une
explication rapide aux metteurs en scène d’Une
Tempête. Au fond, Eshou n’est pas un dieu, ni un diable nègre, ni même un orisha à vrai dire: on le présente souvent
comme orisha pour faire vite, pour parler/expliquer
aux non-initiés. Ceux qui le connaissent, le savent. Il est plus qu’un orisha et moins qu’un orisha. Il est le premier-né, l’aîné, toujours
salué le premier d’ailleurs. En réalité, Césaire connaît et fort bien Eshou, car
des passages d’Une tempête sont des transcriptions
littérales, - ipsis litteris -, d’orikis, pris dans un volume sur les Textes sacrés d’Afrique. De la même façon, une des récades du Roi Christophe est la transcription littérale
de la formule lapidaire d’une récade exposée jadis au Musée de l’Homme à Paris.
Il suffit de comparer les textes.
D’autre part, Césaire a lu Frobenius, Roger Bastide et Jahn Jahneinz;
il a rencontré en 1941 Lévi-Strauss dont il accompagne avec attention l’œuvre; il
a connu Price-Mars et Alfred Métraux; il était l’ami de Lam, le filleul de Mantonica
Wilson; son Cahier a été traduit par Lydia
Cabrera, la grande spécialiste de la santería
cubaine; parti en 1944 pour Haïti avec sa femme Suzanne pour un séjour de plus de
six mois, il y a vu des cérémonies vaudoues, comme il est allé voir, presque vingt
ans plus tard, en 1963, des cérémonies de candomblé
et de macumba au Brésil, à Salvador et
à Rio, accompagné d’un ethnologue béninois, Alexandre Adandé; un de ses poèmes s’intitule
“Lettre de Bahia-de-tous-les-saints”, un autre s’appelle “Batouque”; il était très
lié à Michel Leiris, ethnologue et anthropologue, parrain d’une de ses filles; il
a feuilleté les albums de photos d’initiés de Pierre Fatumbi Verger: il sait de
science certaine qu’Eshou est le médiateur, celui qui change le monde et le met
en mouvement, qui dialectise le réel, qui provoque des courts-circuits de la pensée.
Face au monde qui vivote en rond selon un ordre de plus en plus figé ou injuste,
Eshou sème le désordre; devant le désordre ou le chaos où se perdent les hommes,
il instaure un nouvel ordre. Et les poèmes césairiens l’expriment. Dans ce sens
le tombeau de Lam, dans le recueil moi, laminaire…,
est une Annonciation, non chrétienne certes,
mais une Annonciation.
Lorsque Césaire compare son ami mort Wifredo à Ossain et à Eshou,
il est en train de le saluer en tant que celui qui connaît les mystères de la forêt
et surtout comme celui qui jette des ponts entre nature et culture, entre cultures,
entre culture populaire et culture savante, entre le monde visible et invisible,
entre le passé, le présent et l’avenir. Il touche même à la sacralisation du mort,
car il revient, parmi nous, comme un nouveau loa.
Césaire a écrit un poème à la mort d’un autre caribéen, Saint-John
Perse, né en Guadeloupe et béké par sa famille. Dans ce tombeau intitulé “cérémonie
vaudou pour Saint-John Perse” qui fait partie également du recueil moi, laminaire…, Césaire révèle son admiration
profonde par l’appropriation du langage de l’Autre, certes, mais aussi un certain
ton (caché) de persiflage, sinon ironique du moins critique, dans le jeu, ô combien
savant des “têtes insonores”/ “têtes décebales”.
En d’autres termes: dans l’éloge, il perce à qui sait l’entendre, une distance critique.
Par contre, l’ensemble dédié à Lam, beaucoup plus qu’un tombeau, est une cérémonie entière chantant la vie. Les deux amis –
Lam et Césaire – sont à l’unisson du point de vue imaginaire et poétique: ils puisent
tous les deux dans leur terre, les îles.
Reste encore le problème des rapports entre image et texte, entre
gravure et poème. Pour nous, seuls le premier et sans doute le dernier poème sont
des illustrations – je ne dirais pas la description – des eaux-fortes. Ils s’approchent
du genre métalinguistique par excellence, l’ekphrasis.
Dans les autres poèmes, Césaire met en scène sa mythologique personnelle où le schéma
de la double inversion est toujours présent. Cette mythologie personnelle s’inspire
librement, insolemment de tout ce que le poète a lu le long de sa vie, de tout ce
qu’il a rêvé.
Lam, en 1951, essayant d’exprimer le sens de ses toiles écrit
ceci:
J’ai
peint des tableaux pleins d’amour et d’autres qui, bien qu’ils n’en soient pas dépourvus,
sont de véritables drames […] Ici des êtres dans leur passage de l’état végétal
à celui de l’animal et encore chargés de vestiges de la forêt. Des couteaux deviennent
à leur tout des êtres vigilants, inquiets, prêts à ouvrir des blessures mortelles.
Des ailes d’évasion, des présages d’oiseaux en plein vol effleurant nos yeux en
contemplation de leur fuite, de leur exode, comme des langues de feu dans l’infini
anxieux. La stridence des lignes, les unes fines et blanches, les autres illuminées
de tons très vifs […] Là des formes et des silhouettes absorbées à secouer la mort
sur les seins qui nourrissent et donnent vie. Des flèches en fuite rapide qui laissent
derrière elles les parfums de leurs primitives essences… [26]
C’est ainsi que Lam, en 1951, décrit son univers, un monde qui
surgit du sol de son enfance cubaine. Son inspiration – Anne Egger le note avec
finesse – est tout entière tournée vers la poésie. S’il faut chercher une ekphrasis de cette série de gravures, elle
est là, dans les mots, non pas du poète Césaire mais du peintre lui-même, trente
ans avant la création des ces eaux-fortes. D’où, deux conclusions possibles: a)
d’une part, l’extraordinaire cohérence de cette peinture à partir du moment où le
peintre a trouvé sa voie; b) les deux sources de cette peinture sont dans la poésie
et le songe. “Naturellement, il ne s’agit
que de poésie, […] car je vis et je produis dans la rêverie”[27].
Mais la poésie n’est pas une fuite au monde, un refuge. Césaire
nous le dit, en 1945, juste après son séjour en Haïti, dans le texte le plus important
qu’il a écrit sur la poésie et qui sera publié dans Tropiques, “Poésie et connaissance”:
Le
poète est cet être très vieux et très neuf, très complexe et très simple qui aux
confins vécus du rêve et du réel, du jour et de la nuit, entre absence et présence,
cherche et reçoit dans le déclenchement soudain des cataclysmes intérieurs le mot
de passe de la connivence et de la puissance. (Tropiques, nº 12, janvier 1945, p. 170)
Cette conception de poésie et de peinture permet au poète et
au peintre de rester alertes, d’avoir une attitude attentive à l’entour, tout au
long d’une existence itinérante. Éthique et esthétique ne s’opposent guère. Césaire
écrit sur Lam:
Wifredo Lam le premier aux Antilles a su saluer la Liberté. Et
c’est libre de tout scrupule esthétique, libre de tout réalisme, libre de tout souci
de commentaire que Wifredo Lam tient, magnifique, le grand rendez-vous terrible:
avec la forêt, le marais, le monstre, la nuit, les graines volantes, la pluie, la
liane, le serpent, la peur, le bond, la vie.[28]
UN DERNIER REGARD SUR LA SERIE “ANNONCIATION”, DE LAM | Ces gravures associent deux techniques: ce sont des
eaux-fortes et des aquatintes. On trouve, dans le catalogue de cette exposition,
quelque part, le mot lithogravures. Il faudrait le corriger. Les matrices de ces
gravures ne sont pas des pierres (litho
en grec) mais des plaques en métal.
Décrivons rapidement
les procédés techniques de l’eau-forte et de l’aquatinte.
L'eau-forte
est une gravure en creux, indirecte: cela veut dire que la matrice (normalement
une plaque en cuivre) est creusée chimiquement. L’artiste dessine, sur une plaque
en cuivre recouverte de vernis, à l'aide d'une pointe métallique qui met le métal
à nu mais ne l'atteint pas. La plaque est plongée ensuite dans l'acide (d'où le
nom eau-forte) et le métal non protégé est mordu. La profondeur de la morsure depend
du temps dans l’acide. A la fin, l'artiste enlève le vernis, puis il encre sa plaque
comme pour la gravure directe, pour l’imprimer.
L'aquafortiste trace avec
aisance et souplesse dans le vernis, à la manière d'un dessinateur, son trait est
spontané. On dit souvent que l’eau-forte
c’est “la gravure des peintres”, car elle ne nécessite pas de grandes connaissances
techniques. Par contre, c’est le cas de la xylogravure ou de la lithogravure, le
bois ou la pierre posant des problèmes techniques importants dans le travail de
la matrice.
La
taille de l’eau-forte se caractérise par des bords légèrement irréguliers, dus à
l'effervescence de l'acide. L'épaisseur du trait est modulée en fonction du calibre
des pointes et du temps de morsure. L'eau-forte permet des effets très nuancés.
Elle est souvent associée à l'aquatinte, à la pointe sèche, au burin etc.
Pour l’aquatinte, l’artiste saupoudre la même plaque de grains de résine, de
façon plus ou moins dense. La plaque est ensuite chauffée, la résine y adhère, puis
les grains durcissent et forment autant de petits points résistants. Le métal est
creusé à l'acide autour de ces grains. Il faut renouveler plusieurs
fois l'opération et superposer les taches. Ce procédé est généralement associé à
l'eau-forte, un vernis protégeant les parties non grainées. L'aquatinte permet d'obtenir
des masses aux valeurs nuancées, à la manière d'un lavis.
Travailler la plaque est le
travail de l’artiste proprement dit. Imprimer la plaque, celui de l’imprimeur à
partir des couleurs que choisit l’artiste. Dans certains cas, mais pas toujours,
l’artiste travaille la plaque et l’imprime.
Tous les critiques de ces
gravures mettent en relief leur rapport, voire leur parenté, avec la toile La Jungle, mais un trait y est constant:
la forêt est absente de cet ensemble et les personages paraissent se mouvoir sur
un sol neutre et abstrait.
EN GUISE DE CONCLUSION OUVERTE | C’est Wifredo Lam
qui demande à son ami Césaire de donner des titres aux gravures d’une série qu’il
tient à nommer “Annonciation”. Césaire
compose alors pour les neuf gravures, dix poèmes plus une sorte d’introduction,
née des conversations entre les deux créateurs amis. C’est ainsi que Lam y est associé
à une figure tutélaire de sa jeunesse, sa marraine, prêtresse de la santería, capable d’invoquer les orishas. C’est ainsi également qu’apparaît
le poème sans gravure: “Conversation avec Mantonica Wilson” où trône déjà Eshou,
le go-between par excellence. Avant que
l’ensemble poétique soit terminé et publié, le peintre meurt. Et les poèmes débouchent
sur quelque chose d’inattendu: un tombeau,
le plus complexe de tous, dans l’œuvre du poète Aimé Césaire.
Nous avons essayé tout au long de notre analyse de démarquer
d’un point de vue critique les topos iconographiques et textuels qui sont mis en
jeu: espaces et techniques, thèmes et traditions. Dialogue entre image et texte,
création plastique et littérature, gravures et ekphrasis ou tombeaux.
Les discours funèbres consolident d’une certaine manière la logique
de l’identité surtout lorsque Césaire reprend et développe la perspective classique
de l’amitié. Ainsi tout chant funèbre incorpore l’autre dans la subjectivité de
celui qui lui rend un hommage posthume.
Nous avons pu distinguer néanmoins deux types de tombeaux fort différents: celui qui s’adresse
à des inconnus, modèles ou héros; celui qui s’adresse aux amis.
Parmi ceux-ci, il y a de très belles réussites poétiques qui
reprennent des thèmes importants de l’œuvre césairienne. Un vrai dialogue s’installe
entre la poétique de l’orateur funèbre et la poétique du mort auquel s’adresse l’hommage.
Tel est le cas des poètes et écrivains comme Damas, Asturias, Alioune Diop, Perse.
Avec le peintre Lam, le dialogue se fait de manière différente,
grâce à la mise en scène des cultes afro-américains (candomblé ou lucumi; vaudou,
santería ou macumba, umbanda).
Nous séparons le candomblé
et le lucumi du vaudou, ou de la macumba: les premiers sont soucieux des textes,
des rites et des formules codées (voire des essais d’anthropologues au besoin: on
y parle une langue portant la marque du sacré); le vaudou et la macumba, l’umbanda sont plutôt du côté de
la liberté enracinée (on y parle la langue de tous les jours, transfigurée par le
rythme, par la danse et par le chant). Dans ce tombeau complexe, - nous le répétons -, les cinq premiers poèmes tendent
vers l’orthodoxie; les cinq derniers, vers le syncrétisme le plus radical et l’enracinement.
Nous y retrouvons une dialectique toujours présente dans les Amériques noires: retourner
au pays d’antan, rendu mythique (l’Afrique des ancêtres) ou s’enraciner dans un
nouvel espace. La réponse de Césaire ne fait pas de doute: dans sa vieillesse, il
prône de plus en plus l’enracinement. Sa négritude n’est pas un essentialisme.
Mais élargissons le débat. Essayons de placer cet ensemble dédié
à Lam dans la poétique césairienne. En gros: Césaire, dans ses tombeaux, dialogue
avec des intellectuels et des poètes, avec des héros. Ici, il dialogue avec un peintre
devenu graveur utilisant la technique de l’eau-forte associée à l’aquatinte.
Le modèle le plus achevé de tombeau à un héros est celui de Toussaint
Louverture dans le Cahier d’un retour au pays natal: on y fait allusion,
sous mots couverts, à un médiateur en passe de devenir surhumain. De même que Dessalines,
dans le vaudou, est devenu un loa puissant
(Papa Dessalines), le narrateur du Cahier espère que le sacrifice de Toussaint
sauve les Amériques noires et que la “splendeur
de ce sang” un jour éclate. Par là, Toussaint rejoint la figure du médiateur
mais aussi de l’agnus sacrifié, mais sauveur
peut-être. Reste enfin ce nom prédestiné: Toussaint = tous les Saints, Louverture
= celui qui est ouverture. Si les noms ont une force, - et ils en ont -, quel meilleur
médiateur ? Qu’est-ce en réalité un orisha
sinon un ancêtre devenu médiateur, moyen d’avoir accès au Dieu suprême ou à la vie
dans toute sa plénitude ? Or le tombeau
complexe à Wifredo Lam insinue la même idée et celui qui est honoré est un artiste
peintre. Il exprime une réalité, un univers métis et nouveau (personnel et collectif)
et il se passe de mots.
Reste au public (lecteurs et spectateurs) d’accepter ces deux
voix/voies, celle du héros, celle de l’artiste, tous les deux des Américains de
l’Autre Amérique.
*****
Agulha Revista de
Cultura
Número 115 | Julho de
2018
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[1] Les Amériques noires: les civilisations africaines dans le Nouveau Monde,
Paris, L’Harmattan,
1967 et également Le candomblé de Bahia: rite nago. Paris, Mouton & Co.,
1958; Les Religions Africaines du Brésil, Paris, PUF, 1960.
[2] BOLÍVAR ARÓSTEGUI, Natalia. Los orishas en Cuba. La Habana, Ediciones
Unión, 1990.
[3] Sur le dialogue
entre les deux écrivains et poètes, un texte bien informé et sensible offre une
première synthèse de la question: le grand spécialiste de Breton, Jean-Claude Blachère,
analyse les rapports entre Breton et Césaire. Voir en particulier “Breton et Césaire:
flux et reflux d’une amitié”, in Aimé Césaire,
nº spécial de la Revue Europe, nº 832-833.
Paris, septembre 1998, p. 146-159.
[4] Voir, à ce sujet, dans le livre déjà cité,
les chapitres “Encore des interventions d’Eshou” et “La réécriture de l’oralité
traditionnelle: une poétique américaine”.
[5] Voir, à ce sujet, les chapitres “Encore des
interventions d’Eshou” et “La réécriture de l’oralité traditionnelle: une poétique
américaine”.
[6] Cf. ZAHAN, Dominique. Sociétés d’initiation Bambara, Le N’Domo, le Kore. Paris-La Haye, 1960.
[7] DIETERLEN, Germaine. Essai sur la religion des Bambaras. Paris,
1951.
[8] C’est en Afrique que Pierre Verger va vivre
sa renaissance, recevant, en 1953, le nom de Fatumbi, “né de l’Ifá”. Il devient
finalement babalaô, devin dans le jeu
d’Ifá, accédant ainsi au coeur des traditions orales Yorouba. Césaire l’a rencontré
à Bahia dans les années 60: il faudrait approfondir l’étude des rapports entre les
deux hommes. Outre l’initiation religieuse, Verger commence à la même époque une
nouvelle carrière, celle de chercheur. L’Institut Français d’Afrique Noire (IFAN),
dirigé par Théodore Monod, ne se contente pas des deux mille négatifs qu’il présente
comme résultat de sa recherche et sollicite de sa part un récit détaillé de ce qu’il
a vu au cours de son périple africain. Il accepte, bon gré mal gré, et publie, en
1957, Notes sur le culte des orishas et voduns. Il pénètre ainsi, sans
vraiment le vouloir, dans l’univers de la recherche scientifique, univers qui va
le passionner et qu’il ne quittera plus. Bien qu’ayant trouvé une voie précise -
l’histoire, les coutumes et principalement la religion des peuples Yorouba en Afrique
Occidentale et de leurs descendants à Bahia -, Verger reste avant tout un nomade.
Il devient le messager entre ces deux mondes, acheminant informations, messages,
objets rituels et présents. En tant que collaborateur et chercheur invité de diverses
universités, il divulgue ses recherches en donnant de nombreuses communications
et en publiant livres et articles. En 1960, il achète une petite maison à Salvador,
dans le quartier Vila América. À la fin des années 1970, il abandonne la photographie
et effectue ses derniers voyages de recherche en Afrique. Dans les années 1980,
la maison d’édition Corrupio publie les premiers ouvrages de Verger au Brésil. Au
cours des dernières années de sa vie, sa principale préoccupation devint la mise
à disposition de ses recherches à un vaste public et la préservation de ses d’archives.
C’est pour cette raison qu’il crée, en 1988, la Fondation Pierre Verger (FPV), dont
il est le donateur et président, et engage ainsi l’aménagement de sa maison en centre
de recherches. Il décède le 11 février 1996, laissant à la Fondation la tâche de
poursuivre son travail. Pierre Verger était fils d’Omoulou et une très belle toile
de cet orisha, peinte par Carybé, était
suspendue dans sa petite salle.
[9] Anabase
(“l’ascension, la montée dans le Haut Pays ”) est l’œuvre la plus célèbre de l’Athénien
Xénophon. L’Anabase est riche de descriptions
de populations locales, parfois aussi hostiles aux Grecs qu’aux Perses, de combats
difficiles, de rapports humains conflictuels. Surtout, cet épisode célèbre stigmatise
la faiblesse de l’empire perse, ce qu’Agésilas II et plus tard Alexandre le Grand n’oublieront
pas.
[10] Voir également dans la troisième partie
de ce volume, d’autres précisions sur le syntagme “ tête d’hippotrague”.
[11] Extraits du livre
Bahia de Todos os Santos, guia de ruas e mistérios.
La traduction en portugais
du texte serait la suivante:
Celui qui
garde les chemins de la ville de Salvador de Bahia est Eshou, orisha des plus importants dans la liturgie
du candomblé, orisha du mouvement, confondu
souvent avec le diable dans le syncrétisme avec le catholicisme, car il est plein
de malice et provocation, ne sait se tenir, aimant la confusion et les mauvais tours.
Au carrefour de tous les chemins, caché dans le clair-obscur de l’aurore ou du crépuscule,
au pipiri du jour, entre chien et loup, dans le noir de la nuit, Eshou garde sa
ville bien-aimée. Malheur à celui qui débarque ici avec de mauvaises intentions,
la haine ou l’envie au cœur, ou à celui qui vient ici mené par la violence ou l’acrimonie:
le peuple de cette ville est doux et cordial et Eshou ferme ses chemins à l’homme
faux et au pervers. [...]
Il aime
le bruit, le maître des chemins, le messager des dieux, l’envoyé des orishas, le malin. Pour tout cela on l’a
syncrétisé avec le diable: en vérité il n’est que l’orisha en mouvement, l’ami des farces, de la confusion, mais, au fond,
un bon diable. D’une certaine manière il est le Non là où il n’existe que le Oui;
le Contre au milieu du Pour: l’intrépide et l’invincible.
[12] L’espace
d’un cillement. Paris, Gallimard, 1959, p. 21.
[13] Jean-Jacques Dessalines (Guinée avant 1758
– Jacmel 1806), empereur d’Haïti. Esclave noir, lieutenant de Toussaint Louverture,
il proclama l’indépendance d’Haïti et prit le titre d’empereur (1804), sous le nom
de Jacques Ier. Il meurt assassiné.
[14] In Les jardins d’Aimé Césaire. Harmattan, 2003,
p. 226-230.
[15] Cf. Armando Álvarez Bravo, in Lam: homenaje por su centenario, 2002.
[16] CÂMARA CASCUDO, Luís.
Dicionário do folclore brasileiro. 10ª edição. Ediouro, 1998, p. 578.
[17] L’un des classiques pour enfants en langue
portugaise, le cycle des romans de Monteiro Lobato sur O Sítio do Picapau amarelo , a un personnage savant, le Visconde de
Sabugosa (littéralement le Vicomte de Sabugosa), né d’un épi de maïs: il a été fabriqué
comme Pinocchio et a pris vie.
[18] C’est la Mère du Maïs ou de l’aliment, la
papa. Mama Sara était liée à Pacha Mama, qu’on appelait également la Terre Mère,
garant de la fertilité des champs
[19] Le Goli est un masque heaume en forme de tête de buffle.
Il ne sort que pour les grandes occasions. Le Goli est le fils de Nyamien, le Dieu
du ciel: il est aussi le père de Kplé-Kplé. Le Goli est une divinité protectrice
(il fait partie des Amouins, les grands masques Baoulé).
[21] Plusieurs sens, dont deux sont importants:
1. Fantasque, qui est sujet à des quintes, à des fantaisies, à des caprices. 2.En
médecine: qui se produit par quintes (groupement de secousses successives et répétées.
[22] Alpage. N.m. Pâturage d’été, en haute montagne.
SYN.: alpe.
[23] Apanage. N.m. (du lat. apanare, donner du pain, nourrir). Litt.
Etre l’apanage de: appartenir en propre
à, de droit ou naturellement. – Avoir l’apanage
de: l’exclusivité. – HIST. Portion du domaine royal dévolue aux frères ou aux
fils puînés du roi jusqu’à l’extinction de sa lignée mâle.
[24] ZAHAN, Dominique. Sociétés d’initiation bambara. Le N’Domo, le Koré. Paris- La Haye, 1960.
[25] On emploie évidemment le mot au sens qui
lui attribue Oswald de Andrade. Voir notre “ Défense et illustration de l’anthropophagie”,
in Césaire 70. Organisation Ngal et Steins.
Paris, Silex Editions, 1984, p. 123-139. Dans ce cas, on distingue anthropophagie
(dévoration rituelle de ce que l’on admire) et cannibalisme (prédateur et brutal).
[26] Texte cité par Anne Egger dans le catalogue
Césaire &Lam. Insolites bâtisseurs.
Grand Palais-HC Éditions, 2011, p. 52.
[27] Ibid., p. 92.
[28] Catalogue
Césaire & Lam. Insolites bâtisseurs, p. 95.
Merci Dr DAWN de m'avoir aidé à ramener mon amant avec votre sort d'amour, je suis tellement excité que nous vivons heureux ensemble maintenant vraiment votre sort d'amour est garanti à 100% et il n'a aucun effet secondaire. Les téléspectateurs si vous traversez des problèmes relationnels, je vous conseille de contacter le Dr DAWN pour son sort d'amour. Je vous assure que son sortilège d'amour peut résoudre une relation brisée et un problème de futilité en un clin d'œil. Voici ses coordonnées email : dawnacuna314@gmail.com ou WhatsApp : +2349046229159
ResponderExcluirJ'ai perdu mon mariage au bout de 2 ans et ce fut une expérience horrible pour moi. Ma femme m'a quitté, moi et mon fils, et tout s'est passé hors de mon contrôle et je n'ai jamais su que peu de personnes autour de moi avaient manipulé ma femme et l'avaient retournée contre moi simplement parce que j'avais choisi de fonder ma famille et de me concentrer davantage dessus. J'ai dû demander de l'aide parce que je sais que je n'ai rien fait pour que mon mariage s'effondre. Le Dr Isikolo m'a aidé et beaucoup de choses m'ont été révélées sur ce qui s'est passé. Il a lancé un sort de réunion d'amour qui nous a unis, ma femme et moi, et tout le mal que ma famille a fait contre moi a été révélé. Je suis reconnaissant que ma maison soit de retour plus heureuse que jamais et toute ma gratitude va au Dr Isikolo car il a effectivement résolu mes problèmes juste après 48 heures.email: isikolosolutionhome@gmail.com ou envoyez-lui un SMS sur WhatsApp au +2348133261196
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