Aimé Césaire. Moi, laminaire...
Il y a un certain “manque” de la canne du
point de vue imaginaire dans la production littéraire des régions qui font partie,
en fait, de l'Amérique des Plantations, là justement où l’essor économique eut comme
base les denrées tropicales, la canne et ses dérivés, en tout premier lieu[1]: le sucre et le rhum. Car la
canne est liée à l'esclavage. Elle a marqué les corps et les esprits des descendants
des anciens esclaves qui ne rêvent que d'y échapper. Elle est ce végétal “insipide” dont parle le Cahier d'un retour au pays natal, Césaire.
Un colloque organisé sur
la canne et la littérature[2] m’a amenée à relire de façon
systématique les poèmes sur la canne à sucre dans la littérature brésilienne, au
fond assez peu nombreux. Je ne reprends pas, ici, l’analyse d’un texte précédent[3], déjà publié, car ce qui nous
intéresse maintenant c’est plutôt le type de problèmes que pose un effort de traduction
d’un texte poétique, en apparence simple et redondant mais au fond extrêmement sophistiqué.
C’est au cours de ces relectures en portugais, que les poèmes de João Cabral de
Melo Neto sur la canne[4], par leur exceptionnelle qualité,
ont fait naître la tentation d’en proposer une traduction en français, pour essayer
d’expliquer à un étranger où bute le traducteur.
En fait, le thème central
de ces poèmes n’est qu’en apparence la canne: dans une série de variations (au sens
musical du terme), les poèmes métaphorisent le fonctionnement même du texte littéraire
en tant que production ludique centrée sur l’écriture même. L'exercice de traduction
littéraire – périlleux entre tous et passionnant pour cela même – s’est révélé, comme toujours dans le cas de poèmes, comme une
interprétation des nœuds (au sens lacanien
du mot), invisibles du texte. Les quatre poèmes dévoilent une pratique du
texte comme jeu combinatoire et ce n’est que par l’appréhension de cette caractéristique
que leur traduction s’est avérée possible.
Présentons donc rapidement
le corpus choisi et attachons-nous à décrire brièvement notre démarche. Les quatre
poèmes qui nous intéressent, s’intitulent “O mar e o canavial” (“La mer et la cannaie”, poèmes nº1 et nº
2) et “ O canavial e o mar” (“La cannaie et la mer”, poèmes nº 3 et nº 4). Ils font
partie du recueil A educação pela pedra
(L'éducation par la pierre), volume au
titre énigmatique, rassemblant la production de João Cabral de Melo Neto, de 1962
à 1965.
Ils forment deux paires de
huitains avec des vers oscillant entre 11 et 13 pieds. Les quatre poèmes présentent
tous le même schéma de ponctuation et reprennent, comme point de départ, l’image,
connue et usée entre toutes, de la cannaie comme une grande mer végétale.
Nous citons tout d’abord
les quatre poèmes suivis de leur traduction en français, qu’on essaiera plus tard
de justifier au fur et à mesure de notre lecture.
1 O que o mar sim aprende
do canavial:
a elocução horizontal de
seu verso;
a geórgica de cordel, ininterrupta,
narrada em voz e silêncios
paralelos.
O que o mar não aprende do
canavial:
a veemência passional da
preamar;
a mão-de-pilão das ondas
na areia,
moída e miúda, pilada do
que pilar.
2 O que o canavial sim aprende
do mar:
o avançar em linha rasteira
da onda;
o espraiar-se minucioso,
de líquido,
alagando cova a cova onde
se alonga.
O que o canavial não aprende
do mar:
o desmedido do derramar-se
da cana;
o comedimento do latifúndio
do mar,
que menos lastradamente se
derrama.
O canavial e o mar
3 O que o mar sim ensina ao
canavial:
o avançar em linha rasteira
da onda;
o espraiar-se minucioso,
de líquido,
alagando cova a cova onde
se alonga.
O que o canavial sim ensina
ao mar:
a elocução horizontal de
seu verso;
a geórgica de cordel, ininterrupta,
narrada em voz e silêncio
paralelos.
4 O que o mar não ensina ao
canavial:
a veemência passional da
preamar;
a mão-de-pilão das ondas
na areia,
moída e miúda, pilada do
que pilar.
O que o canavial não ensina
ao mar:
o desmedido do derramar-se
da cana;
o comedimento do latifúndio
do mar,
que menos lastradamente se
derrama.
La mer et la cannaie
1 Ce que la mer oui apprend
de la cannaie:
l’élocution horizontale de
son vers;
la géorgique orale, ininterrompue,
narrée en voix et silence
parallèles.
Ce que la mer point n’apprend
de la cannaie:
la véhémence passionnelle
de la marée;
le son de pilon des ondes
sur le sable,
moulu et menu, plutôt pilé
qu’en pile.
2 Ce que la cannaie oui apprend
de la mer:
l’avancée en ligne rampante
de l’onde;
l’étendue minutieuse du liquide
inondant creux à creux là
où il s’allonge.
Ce que la cannaie point n’apprend
de la mer:
la démesure de l’étendue
de la canne;
la mesure du latifundium
de la mer,
qui moins lestement s’étend
et se répand.
La cannaie et la
mer
3 Ce que la mer oui apprend
à la cannaie:
l’avancée en ligne rampante
de l’onde;
l’étendue minutieuse du liquide
inondant creux à creux là
où il s’allonge.
Ce que la cannaie oui apprend
à la mer:
l’élocution horizontale de
son vers;
la géorgique orale, ininterrompue,
narrée en voix et silence
parallèles.
4 Ce que la mer point n’apprend
à la cannaie:
la véhémence passionnelle
de la marée;
le son de pilon des ondes
sur le sable
moulu et menu, plutôt pilé
qu’en pile.
Ce que la cannaie point n’apprend
à la mer:
la démesure de l’étendue
de la canne;
la mesure du latifundium
de la mer,
qui moins lestement s'étend
et se répand.
Pour rendre plus facilement
compréhensible la composition de ces poèmes, nous appellerons segment a, b,
c et d chaque ensemble de traits relevant de la cannaie et de la mer dans
la première paire de poèmes, segments repris, selon un ordre différent, par la deuxième
paire de poèmes. Ces permutations et ces changements caractérisent des variations.
Du point de vue musical, la variation est une composition formée d’un thème et de
la suite de ses modifications. Les quatre variations sur la cannaie et la mer sont
composées de segments agencés de la sorte:
1 - O que o marsimaprende
docanavial+ segment a
o que o marnãoaprende docanavial+ segment b
2 - O que o canavialsimaprende
domar+ segment c
o que o canavialnãoaprende domar+ segment d
3 - O que o marsimensina
aocanavial+ segment c
o que o canavial simensina aomar+ segment a
4 - O que o marnãoensina
aocanavial+ segment b
o que o canavialnãoensina aomar+ segment d
Ce schéma, que nous avons
respecté dans la traduction, se présente dans la version en français ainsi:
1 - Ce que la merouiapprend
de lacannaie+ segment a
ce que la merpointn’apprend de lacannaie+ segment
b
2 - Ce que la cannaieouiapprend
de lamer+ segment c
ce que la cannaiepointn’apprend de lamer+ segment
d
3 - Ce que la merouiapprend
à lacannaie+ segment c
ce que la cannaieouiapprend à lamer+ segment
a
4 - Ce que la merpointn’apprend
à lacannaie+ segment b
ce que la cannaiepoint n’apprend à lamer+ segment
d
Nous retrouvons, dans ces
huitains, avec éclat, ce que Valéry appelait “les forces combinatoires de l'esprit” et, tout particulièrement, un
certain rythme marqué par:
a) l’alternance, dans les
poèmes 1, 2, 3 et 4, en position tonique, de formules d’affirmation et de négation:
sim, não; sim, não; sim, sim; não, não;
b) la présence, dans chaque
huitain, de deux quatrains aux vers de 11 à 13 syllabes (en portugais, bien entendu)
présentant toujours un même schéma de ponctuation;
c) l’entrecroisement en portugais
de deux verbes, aprender de et ensinar a, fort heureusement exprimés en
français par un seul verbe, apprendre
de ou à;
d) l’agencement différent
soit d’un groupe d’objets, soit des caractéristiques appartenant, tour à tour, à
la mer et à la cannaie;
e) la permutation des segments,
configurant un jeu combinatoire.
Dans la traduction, notre
premier souci a été de garder le temps fort au milieu des vers, marqué par les adverbes
aux sonorités nasales en portugais. L’adverbe français oui ne posait pas de problème malgré l’absence de nasalité, mais la
négation en français, diluée en deux morceaux faibles (ne...pas), détruisait complètement
le rythme et la régularité de l’original en portugais. Nous avons opté pour une
construction à saveur archaïsante, la négation point, placée avant le verbe: elle a un son nasal, elle est monosyllabique,
elle marque le temps fort à la césure et enfin elle reprend une tournure courante
jusqu’au XVIe siècle, dont il reste un exemple dans l'expression courante point n'est besoin. Montaigne et Rabelais,
entre autres, l’ont employée.
Un passage, en particulier,
dans l’original brésilien de João Cabral, reste, à la première lecture, assez opaque:
“moída e miúda, pilada do que pilar” (poèmes
1 et 4, segment b). Les adjectifs en portugais
s’accordent, bien entendu, avec le substantif féminin areia, sable en français,
la traduction en français gardant, si l'on veut, à la fois le sens et le jeu des
consonnes: “le sable, moulu et menu”.
Le problème le plus ardu, par contre, se situait dans le deuxième hémistiche du
vers. La construction, elliptique s'il en est, signifie littéralement: “sable pilé de ce qu'il y a à piler”. En traduisant,
il fallait garder les jeux sonores des consonnes bilabiales, la concision syntaxique
et encore le rythme, si possible. Comme le poème nº 1 fait alterner des vers de
11, 12 et 13 syllabes avec un accent fort de préférence sur la cinquième syllabe
(cf. vers 1, 2, 5, 7 et 8 du premier huitain), nous avons opté, en français, pour
un vers de 11 syllabes réitérant la reprise des consonnes bilabiales, employant
tout d'abord un mot dans son sens archaïsant, pile. C’était, si l’on veut, une première solution. Au XVIIIe siècle,
pile est un “mortier à piler” (sens du lat. pila,
de pinsere, “broyer”): cet archaïsme permettait
de conserver le jeu des mots et les sonorités (bilabiales et latérales) de l’original
brésilien. Dans cette autre combinatoire, née du passage d'une langue à une autre,
il y avait certes un glissement sémantique: en français, le sable est pilé, et non
pas pilon où se cassent les ondes, selon l’original. Et cette circulation du sens
allait dans le sens même de la composition ludique de ces poèmes. Notre première
solution était donc de rendre le passage par: “le sable, moulu et menu, plutôt pilé que pile”.
Pour éviter néanmoins de
recourir à un sens archaïque du mot pile,
très probablement non connu par la grande majorité des lecteurs, on peut également
rendre le passage tout en gardant le même rythme par “le sable moulu et menu, plutôt pilé qu’en pile”, solution finalement
adoptée non seulement parce qu’elle paraît moins étrange aux francophones d’origine
mais encore parce qu’elle renvoie aux piles des cannes coupées, à la fin d’une journée
de travail harassant, les soirs de récolte.
Avant d'avancer dans notre
analyse, considérons pour un moment l'inventaire de ce que possèdent respectivement
la mer et la cannaie dans le texte de João Cabral de Melo Neto.
A la mer végétale de la cannaie
appartiennent:
a) l’élocution horizontale
de son vers,
la géorgique orale, ininterrompue, narrée en voix et silence parallèles (segment
a)
b) la démesure de l’étendue
de la canne (premier vers du segment d).
A la mer reviennent:
a) la véhémence passionnelle
de la marée
le son de pilon des ondes sur le sable,
moulu et menu, plutôt pilé qu’en pile (segment
b)
b) l'avancée en ligne rampante
de l’onde;
l'étendue minutieuse du liquide,
inondant creux à creux là où il s’allonge (segment
c)
c) la mesure du latifundium
de la mer,
qui moins lestement s’étend et se répand (partie
du segment d).
Autrement dit: à la cannaie,
l’élocution et la démesure; à la mer, la force impétueuse des sentiments et leur
expression, mais également la mesure et le rythme. Le segment a explicite, d’ailleurs, le lien de la cannaie
(et partant de la mer) avec l’écriture. Considérons brièvement ce que nous appelons
le segment a:
a) l’élocution est la manière
de s’exprimer oralement, d’articuler et d’enchaîner les phrases;
b) l’élocution “horizontale” s’attache, certes, aux rangées
des cannes coupées sur la terre mais aussi aux signes couchés en lignes horizontales
sur la page blanche;
c) la géorgique, du point
de vue de l’histoire littéraire, concerne les travaux des champs (on dira: genre
ou poème géorgique dont le modèle reste, bien entendu, le recueil homonyme de Virgile;
d) le syntagme “geórgica de cordel” que nous avons traduit
par l'expression “géorgique orale” renvoie
à une forme de littérature populaire à la fois orale et écrite, typique du Nord-Est
brésilien[5] et
e) finalement, dans le passage
“voix et silence parallèles”, la voix
correspond à la rangée des cannes, l’onde qui balaie le sable, le texte qui court
sur la page; le silence, à l'espace vide entre les rangées de cannes, le recul de
la vague sur le sable nu, l’interligne sur la page.
Ces poèmes sont donc de subtiles
variations sur les rapports symboliques entre la mer et la cannaie; ils refont,
encore une fois, “la mer, la mer toujours
recommencée”. Autrement dit: comme les rangées de la canne sur le sol ou les
ondes régulières sur le sable des plages sont isomorphes des lignes sur la page,
ces quatre variations ont pour thème nucléaire, le poème lui-même. L’aire sémantique
du discours (cf. l’élocution, le vers, la géorgique narrée, voix et silence etc.)
dévoile ce thème secret. Il est ici question, avant tout, d’écriture, de création.
La circulation est, avant tout, celle du sens. La composante ludique de construction,
de déconstruction et de lecture y est évidente. Il est, dans “La mer et la cannaie” et dans “La cannaie et la mer”, en dépit des apparences,
moins question du monde concret (espace référentiel, dénotatif, du Nord-Est brésilien
avec sa mer verte[6]
et la mer de ses plantations de canne à sucre à perte de vue) que d’écriture. Le
texte de João Cabral revitalise et réécrit la métaphore banale de la “mer de cannes” en fonction d’une autre logique,
celle de l’écriture avec ses permutations. Or,
il est intéressant de noter que, dans l’univers du texte, l’immensité marine se
caractérise par la mesure tandis que la démesure habite en fait la cannaie, œuvre humaine, qui avance
et se répand sans retenue, océan végétal intarissable. Si l’on veut, la parole n’y
dit pas le monde, ne le reproduit pas, elle le produit à partir de la matière même
du langage. La mer et la cannaie y sont le sujet et l’objet d’un apprentissage,
tour à tour imposé, accepté ou refusé. La mer et la cannaie y font des échanges.
Le texte est le lieu de ces échanges réglés par leurs désirs, le lieu de leur existence
certes, mais surtout de leur dépense, de leur perte dans et par l’écriture. Lieu
de leur mesure et de leur démesure, liées à un savoir.
L’original en portugais insinue
encore d'autres suggestions, nées des signifiants mêmes: o mar et o amar sont équivalents
et, en poésie, ont le même nombre de syllabes, à savoir, “la mer” et “l’action d’aimer”. C’est
une chance qu’en français les mots mer
et mère soient féminins, des homophones
en plus, la traduction insinuant/confirmant alors une certaine tonalité amoureuse,
autrement perdue.
Il y en a encore d’autres
sens dans le non-dit du texte.[7] Par exemple: dans le mot portugais
canavial, on retrouve à la fois cana (ir em cana, “aller en prison”, sens populaire), via (= “voie”), vil (= “vilain”, “mauvais”) etc. Le mot charrie, dans sa forme même,
de nombreuses connotations, plus ou moins inquiétantes, que le mot français cannaie, du moins dans le français de France,
ne possède guère. Il est bien vrai que, dans signifiant cannaie, il y a peut-être le souvenir lointain d’une arme interdite,
la canne-épée. Il est possible encore que, dans les Antilles, la marque de l’esclavage
et de la Plantation d’autrefois estampille le mot d’une ombre: Césaire, dans le
Cahier d'un retour au pays natal, comme nous l’avons déjà indiqué, dans un
des rares passages où le mot apparaît, lui accole une épithète négative et non-réaliste:
“la canne insipide”. C’est le seul végétal
sans goût chez le poète.
Dans le texte brésilien,
à la cannaie reviennent, d’une part, l’élocution horizontale de son vers et la géorgique
orale, mais d’autre part, la démesure liée sans doute à toute activité humaine.
Le latifundium de la mer - malgré la force des marées et son immensité - reste mesuré,
car en tant qu’élément naturel, il ne s’étend guère au delà de son espace, tandis
que la cannaie, sans cesse, avance, envahit et conquiert d’autres terres. Comme
il se doit du point de vue de l'imaginaire, l’émotion est liée à la mer/mère: la
véhémence passionnelle, la complétude amoureuse, les creux remplis par l’eau.
Il faut lire, dans ces quatre
huitains, autre chose qu’une rêverie sur le Nord-Est natal du poète, à savoir: l’inscription
d’une poétique et d’une problématique très contemporaine de l’écriture-lecture[8]. Ces textes renvoient à une
pratique courante de la littérature de la fin du XIXe siècle jusqu’à nos jours,
celle de Mallarmé, de Lautréamont, “qui n'est
plus de la littérature, plus de la représentation - le simulacre – d’un dehors,
mais qui se donne consciemment comme une exploration du mécanisme du fonctionnement
de la langue, de la signification” (Kristeva, 1972).
C’est en épousant le jeu
de construction du sens dans le poème que la traduction peut arriver, dans sa lecture,
à réécrire, dans une autre lange, ce même texte en essayant d’y ajouter d'autres
équivalences pour remédier à la perte d'un certain nombre de connotations inhérentes
à la chair même des signifiants de l’original. La traduction passe donc par l’interprétation
du texte: sur le bien fondé de cet exercice de translation du sens, un regard comparatif
sur le texte, en portugais et en français, incombe au lecteur.
Combinatoire, selon le dictionnaire
Robert, indique aussi un système d’ouverture d’un coffre-fort. Dans ce sens, l'exploration
des permutations et des combinaisons permet d’ouvrir ces textes de João Cabral de
Melo Neto à un regard étranger, non lusophone, malgré le malaise, bien connu, du
poète à l’égard des traductions de ses poèmes dans des langues qu’il fréquente.
NOTE FINALE | Nous avons suggéré à l’éditeur
de la revue Agulha, Floriano Martins,
de faire accompagner ce petit texte sur la traduction d’un certain nombre de gouaches
récentes du peintre portugais, Nikias Skapinakis, intitulées “Paysages occultes”,
tirées du catalogue Nikias Skapinakis. Antologia
de gouaches. 1950 – 2018. Lisboa, Documenta Fundação Carmona e Costa, 2018,
252 p. Nous avons choisi les gouaches, des années 2015 - 2018, sans titre, successivement
des pages 175, 177, 194, 195, 213, 214, 215, 216.
Très aimablement, Nikias
Skapinakis nous en a donné l’autorisation et nous le remercions vivement.
Mais attention: il ne s’agit
pas exactement d’illustration, le peintre portugais ne s’étant pas inspiré de…,
plutôt de quelque chose de beaucoup plus intéressant et profond, une rencontre de
poétiques, celles, à la fois, de Paul Valéry, de João Cabral et de Nikias Skapinakis,
centrées sur “les forces combinatoires de l’esprit”. Ces gouaches, tour à tour verticales
ou horizontales, dans un dessin sinueux, suggèrent, toutes, des paysages qui ne
sont ni explicites ni référentiels; elles délimitent sept espaces de couleur.
Une certaine ordination de
ces gouaches autour de la couleur verte c’est l’auteur(e) du texte qui l’a faite,
choisissant, parmi quarante-sept gouaches, selon deux critères: des gouaches horizontales
et la présence de la couleur verte. Le vert renvoie évidemment, dans son esprit,
à la mer et à la cannaie.
*****
Agulha Revista de Cultura
Número 115 | Julho de 2018
editor geral | FLORIANO MARTINS
| floriano.agulha@gmail.com
editor assistente | MÁRCIO
SIMÕES | mxsimoes@hotmail.com
logo & design | FLORIANO
MARTINS
revisão de textos & difusão
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equipe de tradução
ALLAN VIDIGAL | ECLAIR ANTONIO
ALMEIDA FILHO | FEDERICO RIVERO SCARANI | MILENE MORAES
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todos os direitos reservados © triunfo produções ltda.
CNPJ 02.081.443/0001-80
[1] Une exposition récente au Musée National d’Art ancien (MNAA),
de Lisbonne, a présenté le patrimoine artistique de l’île de Madère comme “l’or
blanc”: “As ilhas do ouro branco”. Note
ajoutée.
[2] Colloque Canne à sucre et littérature dans la Caraïbe et l'Océan
Indien. APES - Ecole Normale, Fort de France, 25 - 28 mars 1991.
[3] In Actes du Colloque,
ouvrage cité ci-dessus, “La canne (encore) insipide de l'Amérique francophone. Lecture
intertextuelle de la poésie brésilienne et antillaise sur la canne”, p. 52 - 69.
La thèse centrale de ce texte d’analyse reprend la distinction nécessaire entre
cultures de marronnage et cultures d'anthropophagie culturelle. Nous nous contentons
ici d’en faire un très bref résumé. Ainsi, dans la littérature écrite dans les Amériques
des Plantations on peut considérer que: a) la cannaie est un des lieux de l'aliénation
et son expression, pour des gens nés dans l'univers des Plantations, est liée à
la prise de conscience de l’aliénation; b) la première étape en est, semble-t-il,
celle de la dénonciation du système, de l'espace infernal, des rapports de force
et d’exploitation: cela se fait de préférence, en prose, à savoir, dans le discours
politique, dans l’essai et dans le roman engagé; c) cette première étape de dénonciation
semble avoir lieu tout d’abord dans les pays qui ont atteint leur indépendance politique
(Cuba, Brésil, par exemple), une certaine autonomie dans la production ou qui ne
sont pas des cultures diglossiques; d) dans les cultures de marronnage qui vivent
en régime de diglossie, en particulier, la canne prend, dans des textes écrits dans
la langue de l’Autre, des valeurs contradictoires (canne tendre pour le Maître,
canne insipide pour l’esclave, par exemple) mais elle constitue, en grande partie,
une zone de silence que les auteurs explorent petit à petit, en tâtonnant pour ainsi
dire, dans une quête orphique; e) la conscience que la canne, dans la zone civilisationnelle
des Plantations, est donc le lieu d’un non-dit, car c'est dans la cannaie que s'est
forgée la parole occulte ou le discours de la résistance culturelle, permet le dépassement
d’une littérature “engagée” à un premier niveau (= récit de dénonciation), débouchant
sur la réécriture de l’oralité. Mieux: sur la dévoration de l’oralité traditionnelle.
Là encore, les littératures non-contraintes (les littératures hispanophones d’Amérique
ou la littérature brésilienne) abordent plus tôt la canne en tant que thème majeur,
primordial.
[4] Dans la littérature brésilienne, la production littéraire sur
la canne est nombreuse et importante. Elle comporte en particulier l’essai devenu
classique de Gilberto Freyre, Casa grande
e senzala, de 1933, traduit en français sous le titre Maîtres et esclaves, le roman du Nord-Est sur le cycle de la canne avec
les œuvres de José Américo de Almeida et de José Lins do Rego, les poèmes de Jorge
de Lima, Ascenso Ferreira, Ferreira Gullar et surtout de João Cabral de Melo Neto.
[5] L'expression “geórgica de cordel” renvoie à la “literatura de
cordel”, ou simplement “cordel” (littéralement, “petite corde”). Le “cordel” comprend
les très nombreuses petites brochures artisanales exhibées sur des cordes tendues
(d’où le nom) dans les foires populaires, non seulement au Nord-Est au pays mais
dans toutes les grandes villes, Rio ou São Paulo, c’est-à-dire, là où il y a des
“nordestins”. Ces petits livres aux xylogravures naïves colportent des poèmes à
être récités ou chantés devant un public populaire, souvent illettré, par des “cantadores”
(des poètes chanteurs). Ces poèmes écrits dans des rythmes traditionnels (quatrains
de vers impairs, le plus souvent de 5 ou 7 syllabes) appartiennent à un genre mixte,
à la lisière de l’oral et de l’écrit, genre né dans la zone même des cannaies et
du “sertão”. Lorsque João Cabral, né lui même à Pernambouc, fait allusion à la “geórgica
de cordel”, il unit, dans un seul syntagme, la poésie populaire chantée dans les
foires et la poésie classique de Virgile.
[6] Jadis, tout brésilien connaissait par cœur, le début du récit poétique de
José de Alencar, Iracema (1865): Verdes mares bravios
da minha terra natal onde canta a jandaia... Pour un Brésilien, la mer est toujours
verte, surtout celle du Nord-Est.
[7] Dans ces huitains en portugais, il y a encore d’autres jeux de
mots auxquels on ne fait même pas allusion, dans notre analyse, pour ne pas l’allonger.
Par exemple: a) aprender - apreender (en français, respectivement: apprendre
et appréhender); b) mar - preamar (en français: mer et marée haute;
le jeu phonique se perd dans la traduction et c’est une trouvaille, car preamar en portugais suggère littéralement
“avant d’aimer”); c) alagar et alongar (respectivement: inonder et allonger, autre jeu sonore qui se
perd); d) mão et pilão (respectivement: main et pilon, avec un effet d’écho en portugais);
e) derramar, amar, mar (les mots correspondants
en français - verser, aimer et mer - étant moins semblables entre eux du point de
vue phonétique).
[8] Notons cependant que ce genre d'écriture - lecture n’est pas
exclusive au discours de la “modernité” ou de la “post-modernité”. Ruyon l’a montré, parmi beaucoup d'autres, dans son analyse
des Essais, de Montaigne (Seghers - Laffont,
1973)
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