sábado, 14 de julho de 2018

LILIAN PESTRE DE ALMEIDA | Les forces combinatoires de l’esprit



Jamais resserrée l’infinie combinatoire.

Aimé Césaire. Moi, laminaire...

Il y a un certain “manque” de la canne du point de vue imaginaire dans la production littéraire des régions qui font partie, en fait, de l'Amérique des Plantations, là justement où l’essor économique eut comme base les denrées tropicales, la canne et ses dérivés, en tout premier lieu[1]: le sucre et le rhum. Car la canne est liée à l'esclavage. Elle a marqué les corps et les esprits des descendants des anciens esclaves qui ne rêvent que d'y échapper. Elle est ce végétal “insipide” dont parle le Cahier d'un retour au pays natal, Césaire.
Un colloque organisé sur la canne et la littérature[2] m’a amenée à relire de façon systématique les poèmes sur la canne à sucre dans la littérature brésilienne, au fond assez peu nombreux. Je ne reprends pas, ici, l’analyse d’un texte précédent[3], déjà publié, car ce qui nous intéresse maintenant c’est plutôt le type de problèmes que pose un effort de traduction d’un texte poétique, en apparence simple et redondant mais au fond extrêmement sophistiqué. C’est au cours de ces relectures en portugais, que les poèmes de João Cabral de Melo Neto sur la canne[4], par leur exceptionnelle qualité, ont fait naître la tentation d’en proposer une traduction en français, pour essayer d’expliquer à un étranger où bute le traducteur.
En fait, le thème central de ces poèmes n’est qu’en apparence la canne: dans une série de variations (au sens musical du terme), les poèmes métaphorisent le fonctionnement même du texte littéraire en tant que production ludique centrée sur l’écriture même. L'exercice de traduction littéraire – périlleux entre tous et passionnant pour cela même – s’est révélé, comme toujours dans le cas de poèmes, comme une interprétation des nœuds (au sens lacanien du mot), invisibles du texte. Les quatre poèmes dévoilent une pratique du texte comme jeu combinatoire et ce n’est que par l’appréhension de cette caractéristique que leur traduction s’est avérée possible.
Présentons donc rapidement le corpus choisi et attachons-nous à décrire brièvement notre démarche. Les quatre poèmes qui nous intéressent, s’intitulent “O mar e o canavial” (“La mer et la cannaie”, poèmes nº1 et nº 2) et “ O canavial e o mar” (“La cannaie et la mer”, poèmes nº 3 et nº 4). Ils font partie du recueil A educação pela pedra (L'éducation par la pierre), volume au titre énigmatique, rassemblant la production de João Cabral de Melo Neto, de 1962 à 1965.
Ils forment deux paires de huitains avec des vers oscillant entre 11 et 13 pieds. Les quatre poèmes présentent tous le même schéma de ponctuation et reprennent, comme point de départ, l’image, connue et usée entre toutes, de la cannaie comme une grande mer végétale.
Nous citons tout d’abord les quatre poèmes suivis de leur traduction en français, qu’on essaiera plus tard de justifier au fur et à mesure de notre lecture.

O mar e o canavial

1 O que o mar sim aprende do canavial:
a elocução horizontal de seu verso;
a geórgica de cordel, ininterrupta,
narrada em voz e silêncios paralelos.
O que o mar não aprende do canavial:
a veemência passional da preamar;
a mão-de-pilão das ondas na areia,
moída e miúda, pilada do que pilar.

2 O que o canavial sim aprende do mar:
o avançar em linha rasteira da onda;
o espraiar-se minucioso, de líquido,
alagando cova a cova onde se alonga.
O que o canavial não aprende do mar:
o desmedido do derramar-se da cana;
o comedimento do latifúndio do mar,
que menos lastradamente se derrama.

O canavial e o mar

3 O que o mar sim ensina ao canavial:
o avançar em linha rasteira da onda;
o espraiar-se minucioso, de líquido,
alagando cova a cova onde se alonga.
O que o canavial sim ensina ao mar:
a elocução horizontal de seu verso;
a geórgica de cordel, ininterrupta,
narrada em voz e silêncio paralelos.


4 O que o mar não ensina ao canavial:
a veemência passional da preamar;
a mão-de-pilão das ondas na areia,
moída e miúda, pilada do que pilar.
O que o canavial não ensina ao mar:
o desmedido do derramar-se da cana;
o comedimento do latifúndio do mar,
que menos lastradamente se derrama.

La mer et la cannaie

1 Ce que la mer oui apprend de la cannaie:
l’élocution horizontale de son vers;
la géorgique orale, ininterrompue,
narrée en voix et silence parallèles.
Ce que la mer point n’apprend de la cannaie:
la véhémence passionnelle de la marée;
le son de pilon des ondes sur le sable,
moulu et menu, plutôt pilé qu’en pile.

2 Ce que la cannaie oui apprend de la mer:
l’avancée en ligne rampante de l’onde;
l’étendue minutieuse du liquide
inondant creux à creux là où il s’allonge.
Ce que la cannaie point n’apprend de la mer:
la démesure de l’étendue de la canne;
la mesure du latifundium de la mer,
qui moins lestement s’étend et se répand.

La cannaie et la mer

3 Ce que la mer oui apprend à la cannaie:
l’avancée en ligne rampante de l’onde;
l’étendue minutieuse du liquide
inondant creux à creux là où il s’allonge.
Ce que la cannaie oui apprend à la mer:
l’élocution horizontale de son vers;
la géorgique orale, ininterrompue,
narrée en voix et silence parallèles.


4 Ce que la mer point n’apprend à la cannaie:
la véhémence passionnelle de la marée;
le son de pilon des ondes sur le sable
moulu et menu, plutôt pilé qu’en pile.
Ce que la cannaie point n’apprend à la mer:
la démesure de l’étendue de la canne;
la mesure du latifundium de la mer,
qui moins lestement s'étend et se répand.

Pour rendre plus facilement compréhensible la composition de ces poèmes, nous appellerons segment a, b, c et d chaque ensemble de traits relevant de la cannaie et de la mer dans la première paire de poèmes, segments repris, selon un ordre différent, par la deuxième paire de poèmes. Ces permutations et ces changements caractérisent des variations. Du point de vue musical, la variation est une composition formée d’un thème et de la suite de ses modifications. Les quatre variations sur la cannaie et la mer sont composées de segments agencés de la sorte:

1 - O que o marsimaprende docanavial+ segment a
   o que o marnãoaprende docanavial+ segment b
   
2 - O que o canavialsimaprende domar+ segment c
   o que o canavialnãoaprende domar+ segment d

3 - O que o marsimensina aocanavial+ segment c
   o que o canavial  simensina aomar+ segment a

4 - O que o marnãoensina aocanavial+ segment b
   o que o canavialnãoensina aomar+ segment d

Ce schéma, que nous avons respecté dans la traduction, se présente dans la version en français ainsi:

1 - Ce que la merouiapprend de lacannaie+ segment a
   ce que la merpointn’apprend de lacannaie+ segment b

2 - Ce que la cannaieouiapprend de lamer+ segment c
   ce que la cannaiepointn’apprend de lamer+ segment d

3 - Ce que la merouiapprend à lacannaie+ segment c
   ce que la cannaieouiapprend à lamer+ segment a

4 - Ce que la merpointn’apprend à lacannaie+ segment b
   ce que la cannaiepoint n’apprend à lamer+ segment d

Nous retrouvons, dans ces huitains, avec éclat, ce que Valéry appelait “les forces combinatoires de l'esprit” et, tout particulièrement, un certain rythme marqué par:
a) l’alternance, dans les poèmes 1, 2, 3 et 4, en position tonique, de formules d’affirmation et de négation: sim, não; sim, não; sim, sim; não, não;
b) la présence, dans chaque huitain, de deux quatrains aux vers de 11 à 13 syllabes (en portugais, bien entendu) présentant toujours un même schéma de ponctuation;
c) l’entrecroisement en portugais de deux verbes, aprender de et ensinar a, fort heureusement exprimés en français par un seul verbe, apprendre de ou à;
d) l’agencement différent soit d’un groupe d’objets, soit des caractéristiques appartenant, tour à tour, à la mer et à la cannaie;
e) la permutation des segments, configurant un jeu combinatoire.
Dans la traduction, notre premier souci a été de garder le temps fort au milieu des vers, marqué par les adverbes aux sonorités nasales en portugais. L’adverbe français oui ne posait pas de problème malgré l’absence de nasalité, mais la négation en français, diluée en deux morceaux faibles (ne...pas), détruisait complètement le rythme et la régularité de l’original en portugais. Nous avons opté pour une construction à saveur archaïsante, la négation point, placée avant le verbe: elle a un son nasal, elle est monosyllabique, elle marque le temps fort à la césure et enfin elle reprend une tournure courante jusqu’au XVIe siècle, dont il reste un exemple dans l'expression courante point n'est besoin. Montaigne et Rabelais, entre autres, l’ont employée.
Un passage, en particulier, dans l’original brésilien de João Cabral, reste, à la première lecture, assez opaque: “moída e miúda, pilada do que pilar” (poèmes 1 et 4, segment b). Les adjectifs en portugais s’accordent, bien entendu, avec le substantif féminin areia, sable en français, la traduction en français gardant, si l'on veut, à la fois le sens et le jeu des consonnes: “le sable, moulu et menu”. Le problème le plus ardu, par contre, se situait dans le deuxième hémistiche du vers. La construction, elliptique s'il en est, signifie littéralement: “sable pilé de ce qu'il y a à piler”. En traduisant, il fallait garder les jeux sonores des consonnes bilabiales, la concision syntaxique et encore le rythme, si possible. Comme le poème nº 1 fait alterner des vers de 11, 12 et 13 syllabes avec un accent fort de préférence sur la cinquième syllabe (cf. vers 1, 2, 5, 7 et 8 du premier huitain), nous avons opté, en français, pour un vers de 11 syllabes réitérant la reprise des consonnes bilabiales, employant tout d'abord un mot dans son sens archaïsant, pile. C’était, si l’on veut, une première solution. Au XVIIIe siècle, pile est un “mortier à piler” (sens du lat. pila, de pinsere, “broyer”): cet archaïsme permettait de conserver le jeu des mots et les sonorités (bilabiales et latérales) de l’original brésilien. Dans cette autre combinatoire, née du passage d'une langue à une autre, il y avait certes un glissement sémantique: en français, le sable est pilé, et non pas pilon où se cassent les ondes, selon l’original. Et cette circulation du sens allait dans le sens même de la composition ludique de ces poèmes. Notre première solution était donc de rendre le passage par: “le sable, moulu et menu, plutôt pilé que pile”.
Pour éviter néanmoins de recourir à un sens archaïque du mot pile, très probablement non connu par la grande majorité des lecteurs, on peut également rendre le passage tout en gardant le même rythme par “le sable moulu et menu, plutôt pilé qu’en pile”, solution finalement adoptée non seulement parce qu’elle paraît moins étrange aux francophones d’origine mais encore parce qu’elle renvoie aux piles des cannes coupées, à la fin d’une journée de travail harassant, les soirs de récolte.
Avant d'avancer dans notre analyse, considérons pour un moment l'inventaire de ce que possèdent respectivement la mer et la cannaie dans le texte de João Cabral de Melo Neto.
A la mer végétale de la cannaie appartiennent:
a) l’élocution horizontale de son vers,
la géorgique orale, ininterrompue,  narrée en voix et silence parallèles (segment a)
b) la démesure de l’étendue de la canne (premier vers du segment d).

A la mer reviennent:
a) la véhémence passionnelle de la marée
  le son de pilon des ondes sur le sable,
  moulu et menu, plutôt pilé qu’en pile (segment b)
b) l'avancée en ligne rampante de l’onde;
  l'étendue minutieuse du liquide,
  inondant creux à creux là où il s’allonge (segment c)
c) la mesure du latifundium de la mer,
  qui moins lestement s’étend et se répand (partie du segment d).
Autrement dit: à la cannaie, l’élocution et la démesure; à la mer, la force impétueuse des sentiments et leur expression, mais également la mesure et le rythme. Le segment a explicite, d’ailleurs, le lien de la cannaie (et partant de la mer) avec l’écriture. Considérons brièvement ce que nous appelons le segment a:
a) l’élocution est la manière de s’exprimer oralement, d’articuler et d’enchaîner les phrases;
b) l’élocution “horizontale” s’attache, certes, aux rangées des cannes coupées sur la terre mais aussi aux signes couchés en lignes horizontales sur la page blanche;
c) la géorgique, du point de vue de l’histoire littéraire, concerne les travaux des champs (on dira: genre ou poème géorgique dont le modèle reste, bien entendu, le recueil homonyme de Virgile;
d) le syntagme “geórgica de cordel” que nous avons traduit par l'expression “géorgique orale” renvoie à une forme de littérature populaire à la fois orale et écrite, typique du Nord-Est brésilien[5] et
e) finalement, dans le passage “voix et silence parallèles”, la voix correspond à la rangée des cannes, l’onde qui balaie le sable, le texte qui court sur la page; le silence, à l'espace vide entre les rangées de cannes, le recul de la vague sur le sable nu, l’interligne sur la page.
Ces poèmes sont donc de subtiles variations sur les rapports symboliques entre la mer et la cannaie; ils refont, encore une fois, “la mer, la mer toujours recommencée”. Autrement dit: comme les rangées de la canne sur le sol ou les ondes régulières sur le sable des plages sont isomorphes des lignes sur la page, ces quatre variations ont pour thème nucléaire, le poème lui-même. L’aire sémantique du discours (cf. l’élocution, le vers, la géorgique narrée, voix et silence etc.) dévoile ce thème secret. Il est ici question, avant tout, d’écriture, de création. La circulation est, avant tout, celle du sens. La composante ludique de construction, de déconstruction et de lecture y est évidente. Il est, dans “La mer et la cannaie” et dans “La cannaie et la mer”, en dépit des apparences, moins question du monde concret (espace référentiel, dénotatif, du Nord-Est brésilien avec sa mer verte[6] et la mer de ses plantations de canne à sucre à perte de vue) que d’écriture. Le texte de João Cabral revitalise et réécrit la métaphore banale de la “mer de cannes” en fonction d’une autre logique, celle de l’écriture avec ses permutations. Or, il est intéressant de noter que, dans l’univers du texte, l’immensité marine se caractérise par la mesure tandis que la démesure habite en fait la cannaie, œuvre humaine, qui avance et se répand sans retenue, océan végétal intarissable. Si l’on veut, la parole n’y dit pas le monde, ne le reproduit pas, elle le produit à partir de la matière même du langage. La mer et la cannaie y sont le sujet et l’objet d’un apprentissage, tour à tour imposé, accepté ou refusé. La mer et la cannaie y font des échanges. Le texte est le lieu de ces échanges réglés par leurs désirs, le lieu de leur existence certes, mais surtout de leur dépense, de leur perte dans et par l’écriture. Lieu de leur mesure et de leur démesure, liées à un savoir.
L’original en portugais insinue encore d'autres suggestions, nées des signifiants mêmes: o mar et o amar sont équivalents et, en poésie, ont le même nombre de syllabes, à savoir, “la mer” et “l’action d’aimer”.  C’est une chance qu’en français les mots mer et mère soient féminins, des homophones en plus, la traduction insinuant/confirmant alors une certaine tonalité amoureuse, autrement perdue.
Il y en a encore d’autres sens dans le non-dit du texte.[7] Par exemple: dans le mot portugais canavial, on retrouve à la fois cana (ir em cana, “aller en prison”, sens populaire), via (= “voie”), vil (= “vilain”, “mauvais”) etc. Le mot charrie, dans sa forme même, de nombreuses connotations, plus ou moins inquiétantes, que le mot français cannaie, du moins dans le français de France, ne possède guère. Il est bien vrai que, dans signifiant cannaie, il y a peut-être le souvenir lointain d’une arme interdite, la canne-épée. Il est possible encore que, dans les Antilles, la marque de l’esclavage et de la Plantation d’autrefois estampille le mot d’une ombre: Césaire, dans le Cahier d'un retour au pays natal, comme nous l’avons déjà indiqué, dans un des rares passages où le mot apparaît, lui accole une épithète négative et non-réaliste: “la canne insipide”. C’est le seul végétal sans goût chez le poète.
Dans le texte brésilien, à la cannaie reviennent, d’une part, l’élocution horizontale de son vers et la géorgique orale, mais d’autre part, la démesure liée sans doute à toute activité humaine. Le latifundium de la mer - malgré la force des marées et son immensité - reste mesuré, car en tant qu’élément naturel, il ne s’étend guère au delà de son espace, tandis que la cannaie, sans cesse, avance, envahit et conquiert d’autres terres. Comme il se doit du point de vue de l'imaginaire, l’émotion est liée à la mer/mère: la véhémence passionnelle, la complétude amoureuse, les creux remplis par l’eau.
Il faut lire, dans ces quatre huitains, autre chose qu’une rêverie sur le Nord-Est natal du poète, à savoir: l’inscription d’une poétique et d’une problématique très contemporaine de l’écriture-lecture[8]. Ces textes renvoient à une pratique courante de la littérature de la fin du XIXe siècle jusqu’à nos jours, celle de Mallarmé, de Lautréamont, “qui n'est plus de la littérature, plus de la représentation - le simulacre – d’un dehors, mais qui se donne consciemment comme une exploration du mécanisme du fonctionnement de la langue, de la signification” (Kristeva, 1972).
C’est en épousant le jeu de construction du sens dans le poème que la traduction peut arriver, dans sa lecture, à réécrire, dans une autre lange, ce même texte en essayant d’y ajouter d'autres équivalences pour remédier à la perte d'un certain nombre de connotations inhérentes à la chair même des signifiants de l’original. La traduction passe donc par l’interprétation du texte: sur le bien fondé de cet exercice de translation du sens, un regard comparatif sur le texte, en portugais et en français, incombe au lecteur.
Combinatoire, selon le dictionnaire Robert, indique aussi un système d’ouverture d’un coffre-fort. Dans ce sens, l'exploration des permutations et des combinaisons permet d’ouvrir ces textes de João Cabral de Melo Neto à un regard étranger, non lusophone, malgré le malaise, bien connu, du poète à l’égard des traductions de ses poèmes dans des langues qu’il fréquente.

NOTE FINALE | Nous avons suggéré à l’éditeur de la revue Agulha, Floriano Martins, de faire accompagner ce petit texte sur la traduction d’un certain nombre de gouaches récentes du peintre portugais, Nikias Skapinakis, intitulées “Paysages occultes”, tirées du catalogue Nikias Skapinakis. Antologia de gouaches. 1950 – 2018. Lisboa, Documenta Fundação Carmona e Costa, 2018, 252 p. Nous avons choisi les gouaches, des années 2015 - 2018, sans titre, successivement des pages 175, 177, 194, 195, 213, 214, 215, 216.
Très aimablement, Nikias Skapinakis nous en a donné l’autorisation et nous le remercions vivement.
Mais attention: il ne s’agit pas exactement d’illustration, le peintre portugais ne s’étant pas inspiré de…, plutôt de quelque chose de beaucoup plus intéressant et profond, une rencontre de poétiques, celles, à la fois, de Paul Valéry, de João Cabral et de Nikias Skapinakis, centrées sur “les forces combinatoires de l’esprit”. Ces gouaches, tour à tour verticales ou horizontales, dans un dessin sinueux, suggèrent, toutes, des paysages qui ne sont ni explicites ni référentiels; elles délimitent sept espaces de couleur.
Une certaine ordination de ces gouaches autour de la couleur verte c’est l’auteur(e) du texte qui l’a faite, choisissant, parmi quarante-sept gouaches, selon deux critères: des gouaches horizontales et la présence de la couleur verte. Le vert renvoie évidemment, dans son esprit, à la mer et à la cannaie.


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Agulha Revista de Cultura
Número 115 | Julho de 2018
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[1] Une exposition récente au Musée National d’Art ancien (MNAA), de Lisbonne, a présenté le patrimoine artistique de l’île de Madère comme “l’or blanc”: “As ilhas do ouro branco”. Note ajoutée.
[2] Colloque Canne à sucre et littérature dans la Caraïbe et l'Océan Indien. APES - Ecole Normale, Fort de France, 25 - 28 mars 1991.
[3] In Actes du Colloque, ouvrage cité ci-dessus, “La canne (encore) insipide de l'Amérique francophone. Lecture intertextuelle de la poésie brésilienne et antillaise sur la canne”, p. 52 - 69. La thèse centrale de ce texte d’analyse reprend la distinction nécessaire entre cultures de marronnage et cultures d'anthropophagie culturelle. Nous nous contentons ici d’en faire un très bref résumé. Ainsi, dans la littérature écrite dans les Amériques des Plantations on peut considérer que: a) la cannaie est un des lieux de l'aliénation et son expression, pour des gens nés dans l'univers des Plantations, est liée à la prise de conscience de l’aliénation; b) la première étape en est, semble-t-il, celle de la dénonciation du système, de l'espace infernal, des rapports de force et d’exploitation: cela se fait de préférence, en prose, à savoir, dans le discours politique, dans l’essai et dans le roman engagé; c) cette première étape de dénonciation semble avoir lieu tout d’abord dans les pays qui ont atteint leur indépendance politique (Cuba, Brésil, par exemple), une certaine autonomie dans la production ou qui ne sont pas des cultures diglossiques; d) dans les cultures de marronnage qui vivent en régime de diglossie, en particulier, la canne prend, dans des textes écrits dans la langue de l’Autre, des valeurs contradictoires (canne tendre pour le Maître, canne insipide pour l’esclave, par exemple) mais elle constitue, en grande partie, une zone de silence que les auteurs explorent petit à petit, en tâtonnant pour ainsi dire, dans une quête orphique; e) la conscience que la canne, dans la zone civilisationnelle des Plantations, est donc le lieu d’un non-dit, car c'est dans la cannaie que s'est forgée la parole occulte ou le discours de la résistance culturelle, permet le dépassement d’une littérature “engagée” à un premier niveau (= récit de dénonciation), débouchant sur la réécriture de l’oralité. Mieux: sur la dévoration de l’oralité traditionnelle. Là encore, les littératures non-contraintes (les littératures hispanophones d’Amérique ou la littérature brésilienne) abordent plus tôt la canne en tant que thème majeur, primordial.
[4] Dans la littérature brésilienne, la production littéraire sur la canne est nombreuse et importante. Elle comporte en particulier l’essai devenu classique de Gilberto Freyre, Casa grande e senzala, de 1933, traduit en français sous le titre Maîtres et esclaves, le roman du Nord-Est sur le cycle de la canne avec les œuvres de José Américo de Almeida et de José Lins do Rego, les poèmes de Jorge de Lima, Ascenso Ferreira, Ferreira Gullar et surtout de João Cabral de Melo Neto.
[5] L'expression “geórgica de cordel” renvoie à la “literatura de cordel”, ou simplement “cordel” (littéralement, “petite corde”). Le “cordel” comprend les très nombreuses petites brochures artisanales exhibées sur des cordes tendues (d’où le nom) dans les foires populaires, non seulement au Nord-Est au pays mais dans toutes les grandes villes, Rio ou São Paulo, c’est-à-dire, là où il y a des “nordestins”. Ces petits livres aux xylogravures naïves colportent des poèmes à être récités ou chantés devant un public populaire, souvent illettré, par des “cantadores” (des poètes chanteurs). Ces poèmes écrits dans des rythmes traditionnels (quatrains de vers impairs, le plus souvent de 5 ou 7 syllabes) appartiennent à un genre mixte, à la lisière de l’oral et de l’écrit, genre né dans la zone même des cannaies et du “sertão”. Lorsque João Cabral, né lui même à Pernambouc, fait allusion à la “geórgica de cordel”, il unit, dans un seul syntagme, la poésie populaire chantée dans les foires et la poésie classique de Virgile.
[6] Jadis, tout brésilien connaissait par cœur, le début du récit poétique de José de Alencar, Iracema (1865): Verdes mares bravios da minha terra natal onde canta a jandaia... Pour un Brésilien, la mer est toujours verte, surtout celle du Nord-Est.
[7] Dans ces huitains en portugais, il y a encore d’autres jeux de mots auxquels on ne fait même pas allusion, dans notre analyse, pour ne pas l’allonger. Par exemple: a) aprender - apreender (en français, respectivement: apprendre et appréhender); b) mar - preamar (en français: mer et marée haute; le jeu phonique se perd dans la traduction et c’est une trouvaille, car preamar en portugais suggère littéralement avant d’aimer); c) alagar et alongar (respectivement: inonder et allonger, autre jeu sonore qui se perd); d) mão et pilão (respectivement: main et pilon, avec un effet d’écho en portugais); e) derramar, amar, mar (les mots correspondants en français - verser, aimer et mer - étant moins semblables entre eux du point de vue phonétique). 
[8] Notons cependant que ce genre d'écriture - lecture n’est pas exclusive au discours de la modernité ou de la post-modernité. Ruyon l’a montré, parmi beaucoup d'autres, dans son analyse des Essais, de Montaigne (Seghers - Laffont, 1973)


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