De qui mon corps, nuit et jour, fait grand fête,
Car j’ai tant miré votre doux visage
Qu’il en reste en moi, gravée, une empreinte
Que même la mort ne peut effacer:
Quand je serai tout entier hors du siècle,
Ceux qui mon corps porteront au sépulcre
Verront votre signe inscrit sur ma face.[1]
Voilà la première strophe du poème “Estramps” de Jordi de
Sant Jordi, traduite par l’occitaniste René Nelli, et recueillie par le poète surréaliste
Benjamin Péret dans son Anthologie de l’amour sublime (1956). Il s’agit des vers
les plus célèbres du troubadour catalan, né à Valence à la fin du XIVe siècle, et
qui a mené sa vie poétique et militaire pendant les trois premières décennies du
XVe à la cour du roi d’Aragon Alphonse V. Cette déclaration solennelle de fidélité
extrême à la dame, même par-delà la mort, s’insère tout naturellement comme vers
amoureux dans une anthologie de l’amour. Mais ce qui est frappant c’est le chemin
que ces vers ont suivi avant cela, itinéraire qui révèle combien les marges sont
fascinées par les marges.
Il s’agit
de la rencontre de trois poètes – Jordi de Sant Jordi, Benjamin Péret et René Nelli
– qui ont une relation avec les marges tout à fait différente: Benjamin Péret fait
le choix, en participant au surréalisme, de se situer en marge des littératures
et idéologies dominantes en quête d’une poésie subversive, à contre-courant; René
Nelli, en revanche, ne prétend pas faire une poésie subversive, mais en étant à
ce moment-là un des principaux diffuseurs de la littérature d’oc et aussi un des
poètes liés à l’autre surréalisme français, celui de Joë Bousquet et du Sud, il
se situe, par ses intérêts, aux marges des canons dominants. Péret et Nelli se placent
donc à deux extrêmes de la littérature française: d’un côté celui du poète rebelle
face à ses propres langue et tradition et, de l’autre, celui du poète qui suit un
chemin absolument éloigné de ce qui est courant dans la langue dans laquelle il
écrit parce que sa langue et sa tradition de référence sont autres, ici le provençal
des troubadours.
Jordi de
Sant Jordi, en revanche, ne se situe pas aux marges de la littérature de son moment.
C'était un poète courtisan et, comme tel, il suit le goût de sa cour, qui est le
centre de son monde. Mais c’est précisément cette cour et son goût qui l’obligent
à se situer dans les marges. C’est-à-dire que pour avoir du succès à la cour il
continue une forme de poésie qui appartenait déjà au passé, car même s’il incorpore
des innovations d’origine française et italienne, son oeuvre ne s’explique que par
rapport à la tradition des troubadours,[2]
qui avait connu son apogée au XIIe siècle. Ainsi, même s’il suit le modèle des troubadours
catalans des XIIIe et XIVe siècles, qui continuaient à écrire en langue d’oc, c’est
par rapport à cette tradition troubadouresque qu’il se trouve plus que jamais dans
les marges. Jordi devient ainsi peut-être le dernier troubadour en langue d’oc,
mais décalé par rapport à ses référents: dans le temps – il compose son œuvre au
XVe s. –, dans l’espace – il est originaire de Valence – et dans la langue, une
langue d’oc fortement catalanisée.
Péret et
Jordi se trouvent donc dans des marges presque opposées: Péret a la chimère de subvertir
la poésie telle qu’il l’a reçue; Jordi a celle de la continuer quand cela ne semble,
à nos yeux, presque plus possible. Alors,
où se rencontrent-ils? Et comment ressortent-ils de cette rencontre?
Dans la
brève notice de Péret qui accompagne le poème “Vers libres” (“Estramps”) de Jordi,
on ressent un sentiment de reconnaissance, comme celle de la rencontre surréaliste.
Péret y justifie son choix parce que dans ce poème “plus que dans nul autre, l’amour
sublime se révèle tout en conservant un maintien courtois”.[3]
Le jugement de Péret est celui d’un poète et d’un lecteur qui fait la rencontre
d’un autre poète chez qui il peut reconnaître sa théorie de l’amour. Mais, qu’est-ce
que l’amour sublime? Comment Jordi peut-il s’y insérer?
Ce sont-là
les questions auxquelles on tentera de répondre dans ce texte, en les mettant en
relation avec les conséquences idéologiques, mais aussi linguistiques, de l’appartenance
aux marges. On y suit une hypothèse linguistique: l’idée que bien que pour des raisons
opposées (Jordi pour plaire à la cour, Péret pour déplaire aux défenseurs des courants
établis), tous deux se situent dans les marges linguistiques de leur tradition,
et c’est justement par cette situation qu’ils peuvent faire apparaître leur idée
extrême de l’amour.
Cette hypothèse
part du fait que Jordi et Péret sont des auteurs qui écrivent dans une langue du
centre (le français pour le monde de Péret, le provençal pour l’imaginaire courtois
de Jordi) mais en se situant en dehors du centre. Nelli, à son tour, en écrivant
en français et en occitan, fait œuvre de médiateur grâce à sa double position marginale:
il s’identifie au surréalisme du “Sud” et vit le monde courtois comme monde mythique. Ainsi nous pouvons considérer ces trois écrivains
comme des créateurs d’une langue “affectée d’un fort coefficient de déterritorialisation”,
comme diraient Deleuze et Guattari;[4]
une langue subversive, volontairement ou à son insu, par sa distance avec la langue
de la littérature établie dont elle et chacun de ses mots sont arrachés pour prendre
une nouvelle force d’énonciation. L’écrivain se met sur le seuil d’intensité de
l’étranger qui est capable de ressentir la langue de l’extérieur de son territoire.
Ainsi pour Péret, la langue se déterritorialise par la distance qu’il crée par des
jeux syntaxiques et le brisement continuel des horizons d’attente du lecteur, procédures
par lesquelles il cherche une expression qui soit capable de dévoiler de nouveaux
sens qu’on ne remarque pas dans un usage traditionnel. Jordi, à son tour, travaille
sur une langue qui, historiquement et géographiquement déjà marginale, lui permet
des combinaisons porteuses de nouveaux sens.
On tentera
donc de voir comment Péret fait une lecture surréaliste des vers de Jordi, comment
il les insère dans sa théorie de l’amour sublime, et quel rôle y joue la transmission
textuelle, avec les erreurs de copistes et d’éditeurs qu’elle comporte, ainsi que
leurs positions différentes par rapport à la langue. C’est-à-dire, comment Nelli,
et surtout la traduction erronée d’un vers de Jordi portant sur la “virilité” de
l’amour du troubadour, a médiatisé la lecture de Jordi par Péret, et avec elle,
la formation de la théorie de l’amour sublime, en même temps que Péret se laisse
frapper par la langue même du poème de Jordi. On analysera, ainsi, comment idéologie
et textualité, dans cette relation à trois, se conjuguent continuellement.
JORDI DE SANT JORDI ET L’AMOUR SURRÉALISTE
La première strophe
des “Estramps” permet déjà une lecture surréaliste si on joue à lire littéralement
les “effets fantastiques sur le corps” – selon l’heureuse expression d’Aniello Fratta[5] – qui arrivent comme conséquence de la vision
de la femme aimée. Imaginer plastiquement la vision du signe de la dame sur le front
du troubadour au sépulcre pourrait faire penser autant à des rêveries romantiques
qu’à des exagérations des fous d’amour, qui subissent dans leur corps toutes sortes
de réactions devant leur objet de désir.
D’autres
éléments dans ce poème en appellent aussi, plus qu’à l’imagination, à l’idéologie
surréaliste. Le vers 24, par exemple, peut se lire comme un reflet de l’ “amour
unique”:
Dans votre amour seul, ô colombe blanche
Nous retrouvons
aussi, chez Jordi, le trouble du poète surréaliste dans la rencontre amoureuse,
quand Jordi chante qu’il se sent, à cause de l’amour, “plus troublé que ne fut Aristote
/ d’amour qui m’ard et défait tous mes sens”.[6]
Plus loin,
dans la sixième strophe, il combine le topique courtois du péril de la mort d’amour
avec un autre topos, hérité de la tradition d’ Arnaut Danièl: le poète demande à
la dame qu’elle le retienne dans la chambre et il supplie un plus d’amour:
O Corps d’honneur, sans péché ni mensonge,
Ayez pitié de moi, Dame si belle,
Et ne souffrez qu’un tel amant périsse
Plus ferme amour ne vous fia nul homme.
Je vous supplie: vous êtes le bel arbre
De tous les fruits, où Valeur vient prendre ombre.
Retenez-moi dans votre bonne chambre,
Vôtre serai tant que vis et vivrai.[7]
Il s’agit
d’une demande que pourrait signer tout poète surréaliste.
La toute
puissance de l’imagination ainsi que la forte capacité d’émerveillement devant la
dame rapprochent donc Jordi d’une lecture surréaliste. Mais, au-delà, les vers de
Jordi présentent aussi certaines coïncidences plus particulièrement avec l’”amour
sublime” selon Péret, dont on va voir maintenant quelques-uns des points principaux.
L’AMOUR SUBLIME
Le concept d’amour sublime chez Benjamin Péret répond
autant à une théorie de l’amour qu’à une théorie de l’imagination poétique. Dans
l’introduction à l’Anthologie, intitulée “Le noyau de la comète”, il relance le
concept amour sublime par contraste avec
d’autres conceptions de l’amour: l’amour-passion
de Stendhal,[8] qu’il
semble trouver superficiel, et l’amour-absolu
romantique, parce qu’il lui paraît “impliquer une idée de transcendance inconnue
dans l’amour humain.[9]
—même s’il revient luimême, avec l’adjectif “sublime”, à un concept romantique (souvenons-nous
de la redécouverte du “sublime” de Longin par les romantiques). Ensuite, il le définit
ainsi:
Je ne vois que l’amour sublime pour exprimer le sens réel
de ce lien. Il implique le plus haut degré d’élévation, le point-limite où s’opère
la conjonction de toutes les sublimations, quelque voie qu’elles aient empruntée,
le lieu géométrique où viennent se fondre en un diamant inaltérable, l’esprit, la
chair et le cœur.[10]
Péret utilise
“amour sublime” pour montrer, selon sa définition, “le sens réel de ce lien”, c’est-à-dire
le sens de la relation à l’Autre. Il en parle ensuite, avec des termes qui renvoient
au Second manifeste du surréalisme d’André Breton, comme d’un repère spatial: comme
du “plus haut degré d’élévation”, “point-limite où” et “lieu géométrique où”. L’amour
sublime apparaît ainsi comme le point où quelque chose se passe, particulièrement
celui où ont lieu les rencontres avec l’Autre. L’amour sublime est, comme la sublimation,
une élévation et, même, le point le plus élevé de toutes les sublimations. Toutefois,
il n’y a pas substitution du désir pour se consacrer à quelque chose d’autre, comme
dans le cas d’une sublimation freudienne, mais une fusion, brillante et précieuse
comme le diamant, de “l’esprit, la chair et le cœur”. En revenant à ces trois aspects
traditionnels dans la théorie de l’amour,[11]
la révolte de Péret consiste simplement à fusionner ce qui, dans la pensée dominante,
était présenté comme séparé.
C’est ainsi
que la “source de bonheur” ne se trouve que dans l’”être aimé”, bien entendu, la
“personne aimée”, sans autre transcendance. Il réélabore donc des idées messianiques,
de promesse de bonheur, qui concorderaient aussi avec l’amour absolu qu’il a refusé
dans ce prologue, de même qu’avec la religion qu’il refuse toujours.[12]
L’appeler “sublime” sert, pourtant, à Péret pour lui donner une dimension humaine
et pour montrer que (puisque “sublime” et pas “sublimé”) il n’est pas coupé de ses
parties ou de ses forces. Il relève, en revanche, en bon surréaliste, de ce qui
va “sexualiser l’univers”: Le désir, dans l’amour sublime, loin de perdre de vue
l’être de chair qui lui a donné naissance, tend donc, en définitive, à sexualiser
l’univers.[13]
Il s’agit
de créer un érotisme qui permette de voir le monde sous le prisme de l’amour, de
voir l’amour sous le prisme de la poésie et la poésie encore sous le prisme de l’amour.
On trouve donc à nouveau des rapports qui unissent l’amour surréaliste et l’amour
courtois, peut-être les deux moments où cette identification amour-poésie a eu lieu
avec le plus de force.
Le “sens
réel de ce lien” devient une recherche de l’essentiel, mais surtout une recherche
à travers l’imagination et le langage. Rappelons-nous que Péret avait déjà utilisé
en 1936 le titre Je sublime pour son recueil de poèmes d’amour, dessiné à travers
les plus extrêmes associations linguistiques. De plus, le terme “sublimation” apparaît
comme une référence quand il s’agit de définir la place du poète dans le surréalisme
et, comme avançait Breton en 1950, le surréalisme de Péret peut être défini précisément
comme une “sublimation” du langage:
Il fallait (…) un détachement à toute épreuve, dont je
ne connais bien sûr pas d’autre exemple, pour émanciper le langage au point où d’emblée
Benjamin Péret a su le faire. Lui seul a pleinement réalisé sur le verbe l’opération
correspondante à la “sublimation” alchimique qui consiste à provoquer “l’ascension
du subtil” par sa “séparation d’avec l’épais”. L’épais, dans ce domaine, c’est cette
croûte de signification exclusive dont l’usage a recouvert tous les mots et qui
ne laisse pratiquement aucun jeu à leurs associations en dehors de cases où les
confine par petits groupes l’utilité immédiate ou convenue, solidement étayée par
la routine.[14]
Dans “Le
noyau de la comète” Péret reprend l’émancipation du langage comme émancipation aussi
de l’amour. Par la force de la création poétique, l’amour veut se séparer de l’
“épais” des contraintes pour arriver à la fusion des éléments déjà purs, ce qui
se retrouve sous la métaphore du “diamant inaltérable”.[15]
C’est la métaphore parfaite de la durabilité, la richesse naturelle mais aussi,
de par sa brillance, de la force que possède cet amour puissant pour se répandre.
JORDI DE SANT JORDI ET L’AMOUR SUBLIME: “BRILLANCE” DE LA DAME ET “VIRILITÉ”
DU POÈTE
En plus des coïncidences
surréalistes des vers de Jordi, on y trouve aussi deux conceptions qui semblent
venir illustrer parfaitement la définition de l’amour sublime de Péret et le sens
de la relation à l’Autre: la “brillance” de la dame et la “virilité” du troubadour.
Toutes
les images des “Vers libres” de Jordi peuvent se rapprocher de la valeur resplendissante
de l’amour sublime péretien, par la valeur d’attraction qu’il confère à la dame,
mais aussi de l’expression littérale de cet amour, car beaucoup d’images de Jordi
renvoient au “diamant inaltérable” du “Noyau de la comète”.
Tout d’abord
on pourrait lire l’ “empreinte” de la première strophe sous le prisme de l’idée
de durabilité du diamant, et le “front” du poète comme le “lieu géométrique” où
la rencontre se passe d’abord puis reste gravée. La dame devient une partie du corps
de l’amant, ce qui la rapproche aussi de la fusion amoureuse selon Péret. Les vers
de toute la composition relient, en outre, le psychique —l’amour éternel, le trouble—
au physique —le corps—, tout comme Péret veut relier “l’esprit, la chair et le cœur”.
Il y a une vision de la plénitude qui se répand dans toutes les dimensions.
Mais l’image
qui rapproche le plus Jordi de la métaphore de Péret, c’est toute la métaphore filée
qui, à partir de la deuxième strophe, relie l’image de la dame aux métaux et pierres
resplendissants: dans la deuxième strophe, Jordi compare l’attraction de la dame
à l’attraction de l’or; dans la quatrième, il compare le corps de la dame à l’ “escarboucle”
(“carvoncles”), la pierre précieuse qui surpasse toutes les autres:
Dieu fit votre corps plus beau que tous les corps, Riant
et doux, éclairant comme gemme, Fait d’un amour plus pénétrant qu’étoile. Quand
je vous vois, parmi les autres femmes, Vous me semblez, comme fait l’escarboucle
Qui en vertus passe les pierres fines.[16]
À la fin,
dans l’envoi, il appelle la dame “riche joyau” (dans le texte original “mon richs
balays”, en nommant ainsi encore une autre pierre précieuse).
Les deux
poètes expriment ainsi la haute position de la femme dans leur poésie, son élévation
à ce point géométrique où tout se passe. Il s’agit d’une idée qui relève bien de
la poésie des troubadours, qui chantaient la dame —”midons”— à laquelle ils rendaient
vassalité, idée chère aussi au surréalisme, par sa mythification de la femme réelle
des rencontres amoureuses.
Mais les
images de Jordi ont aussi d’autres origines, qui, par leur caractère hétéroclite,
enrichissent la force d’énonciation du poète. Selon Fratta, les métaphores de Jordi
proviennent, plutôt que des troubadours, de la lecture particulière que fait celui-ci
de la poésie de Dante: il en recueille les images qui relient la dame à la divinité,
mais il garde les valeurs courtoises, puisqu’il n’applique pas ces images à une
dame spirituelle, mais à une dame de ce monde-ci, à son corps même.[17]
C’est dans ce type de rapport à l’Autre que l’image de Jordi coïncide avec celle
de Péret: la dame est aussi élevée que le serait une image religieuse, mais elle
reste toujours une femme corporelle. Il en fait même une image sacrilège:
De votre corps que tant de charmes ornent,
Je le contemple et, plus que Dieu, l’admire,
Tant suis joyeux d’amour qui me pénètre.[18]
Cette exaltation
de la dame est si extrême qu’elle devient elle-même marginale, non seulement parce
qu’elle est sacrilège, mais aussi parce qu’elle implique un dévouement aux valeurs
féminines presque impossible, autant du temps de Jordi de Sant Jordi que de celui
de Benjamin Péret. Dans le “Noyau de la comète”, Péret contrebalance cette intensité
de la valeur de la féminité avec l’idée que,
dans l’amour, elle rencontre aussi la “virilité” dans tout son éclat. Selon Péret,
l’homme et la femme ne peuvent connaître la fusion de l’amour que quand ils ont
chacun une force propre, dans une tension qui se transforme en totale harmonie.
Péret l’explique:
Il en va de même pour l’homme et la femme. C’est seulement
lorsque cette différenciation est entièrement accomplie, à savoir lorsque l’homme
a développé toutes ses possibilités viriles et la femme toutes ses virtualités féminines,
que leur accord parfait devient possible. Chacun possédant en outre une individualité
nettement accusée, peut alors songer à l’être qui lui manque pour que l’harmonie
règne en chacun d’eux, autrement dit pour connaître le bonheur. L’amour sublime
est précisément cet accord parfait entre deux êtres harmonieusement appariés.[19]
Les vers
de Jordi, à leur tour, sont complètement consacrés à la femme. Toutes les images
y reviennent. Mais le texte tel qu’il apparaît dans l’Anthologie parle aussi de
la valeur de l’amour de l’homme comme “amour viril”:
De toutes parts, mon amour est viril,
Tel que nul homme, en son cœur, ne vous l’offre.
Si fort amour, d’un dard m’ouvrant le cœur,
Que fut jamais en nul homme en nulle âme.[20]
Ce texte
met clairement en relief la virilité de l’amour, en montrant donc la complémentarité
de l’amour masculin, véritablement viril, avec la dame chantée par Jordi. L’image
de l’ “empreinte”, de la “brillance” de la dame et la “virilité” de l’amour sont
de possibles raisons pour lesquelles Péret aurait été frappé par la poésie de Jordi.
Mais il faut se souvenir que cette lecture a été médiatisée par une traduction,
ce qui peut toujours entraîner aussi de petites trahisons.
JORDI ET L’AMOUR SUBLIME
À TRAVERS RENÉ NELLI: RÊVES POLITIQUES ET TEXTUELS
La médiation de René
Nelli a clairement influencé Benjamin Péret, dans son choix de Jordi de Sant Jordi
et, peut-être aussi, dans la création de la théorie de l’amour sublime. On va le
voir à travers l’exemple de Jordi, auquel Péret peut s’identifier par le biais des
espoirs politiques de Nelli et surtout des images qu’on vient de signaler, la brillance
de la dame et la “virilité” de son partenaire. Comme on l’exposera, ces idées sont
basées en partie sur des expériences vitales et en partie sur des interprétations
textuelles et même, comme dans le cas de la “virilité”, sur des erreurs textuelles.
Dans son
introduction aux Cinq poèmes d’amour de
Jordi de Sant Jordi qu’il traduit en 1945, René Nelli, dans une lecture politique
pleine d’un espoir qui finalement s’avérera faux, donne une image de Jordi reflétée
dans son présent, passé et futur. D’abord, il le voit comme un représentant de toute
“la civilisation d’oc”:
En ce beau printemps 1945, c’est parce que nous considérons
que Jordi de Sant Jordi représente la civilisation d’oc toute entière, celle qui
s’étend de Toulouse à Barcelone, que nous avons voulu éditer, pour la première fois
en France, quelques-uns de ses plus beaux poèmes.[21]
Ensuite
il relie l’acte de traduire et éditer Jordi à un espoir de libération politique:
Ils [les poèmes de Jordi] nous aideront à attendre que
la Catalogne – et avec elle tout l’esprit du “Sud” – se retrouve vivante et forte,
à Barcelone, dans sa capitale enfin libérée.[22]
Les marges
du surréalisme du Sud de Nelli et ses quêtes rejoignent ici l’esprit de Benjamin
Péret. Même s’il ne mentionne pas cette question-là dans l’Anthologie, il a suivi
aussi ses idéaux politiques en se battant contre le franquisme, dont, probablement,
Nelli espère que se libèreront Barcelone et “l’esprit du Sud”.[23]
Mais le
rapprochement entre Nelli et l’amour sublime de Péret est plus clair dans la note
introductive de Nelli qui précède le poème “Estramps”, puisqu’il y parle aussi de
la “valeur virile” que transmet le poème et du rayonnement de la femme, avec, quand
même, quelques différences. Au sujet de la “virilité” Nelli écrit:
Cette chanson (…) contient beaucoup de mystère mais, en
même temps, elle donne la clé du fameux secret des troubadours tant galvaudé depuis
Péladan: La femme et l’amour sont sources de toute valeur virile. L’homme, en présence
de la Beauté, ne s’élève qu’à partir d’un certain “masochisme” intellectuel, à la
connaissance de sa vraie nature…[24]
Pour Nelli,
la valeur virile apparaît à travers un processus d’élévation vers la connaissance,
tandis que pour Péret la virilité était nécessaire à côté de la féminité pour atteindre
une fusion érotique.
D’autre
part, au sujet de la brillance de la femme, il écrit: “La figure de la femme y brille
dans l’esprit seul, comme une abstraction créée par Picasso: la femme est un cercle”.[25]
Nelli donne donc une place prépondérante à l’esprit, tandis que, comme nous l’avons
vu, pour Péret il s’agit d’une fusion de “l’esprit, la chair et le cœur” et, pour
Jordi, d’une transposition des attributs de l’esprit au corps de la dame.
Ainsi,
même si les sujets de la virilité et du resplendissement de la femme sont communs
à Nelli et Péret, ils prennent chez Péret une valeur plus corporelle que chez Nelli.
De ce point de vue, nous pensons que la lecture que fait Péret du poème serait plus
proche du texte de Jordi que la lecture de Nelli, étant donné que Jordi chante toujours
le corps de la femme, plus que son entité spirituelle.
En vérité,
la brillance de la dame et la “virilité” qui apparaissent dans le texte de Jordi
cité par Péret sont les éléments qui trouvent l’écho le plus littéral dans le “Noyau
de la comète”, ce qui suggère que Péret devait être assez influencé par Nelli au
moment de la composition du “Noyau de la comète”. Ainsi, Nelli —et surtout le Nelli
lecteur de Jordi de Sant Jordi— apparaît-il comme une influence importante sur le
poète surréaliste, au moins à l’heure de la rédaction de sa théorie érotique.[26]
Mais, est-ce
que le poème de Jordi se pose vraiment ces questions-là? En fait, si l’éloge de
la dame par la métaphore de la brillance est indiscutable, l’existence de la question
de la virilité chez Jordi est assez douteuse. Plus précisément, elle est le fruit
d’une lecture erronée du texte de Jordi, car le vers 33 des “Estramps” traduit par
Nelli comme “De toutes parts, mon amour est viril” reste, en fait, un des plus discutés
de Jordi de Sant Jordi.
Nelli traduit
par l’élégant “viril” l’adjectif “mascle” (qui littéralement serait “mâle”[27])
qui se trouve dans l’édition de Jordi par Jaume Massó. Massó, en 1902, suivant fidèlement
les manuscrits, ouvrait ainsi la strophe:
L’amor que us hay en totes les part mascle.[28]
Or Martí
de Riquer, dans sa première édition de Jordi, en 1935, se rend compte qu’il s’agit
là d’une erreur du copiste, et, dans une nouvelle édition, en 1955, propose le texte
qui, bien qu’encore problématique, est devenu le plus généralement accepté:[29]
l’amor que us hay en totes part[s] m’ascla.[30]
Dans la
nouvelle version, l’adjectif “mascle” est remplacé par une forme du verbe “asclar”,
provenant d’ “ascla”, morceau de bois. L’amour est ainsi ce qui transforme, par
douleur, toutes les parties du corps en échardes.[31]
Le corps devient à nouveau une métaphore de la subjectivité qui est, comme l’empreinte
sur le front, susceptible d’être lue littéralement ainsi que littérairement.
Dans ce
cas, si nous acceptons l’influence de Nelli sur Péret, on voit là combien cette
influence s’appuie fortement sur une erreur textuelle, qui devient donc source de
création. De cette façon, on pourrait même dire que les différentes lectures du
texte ne dépendent plus seulement de l’idéologie de leurs auteurs, mais aussi des
nouvelles marges, celles de la transmission textuelle.
CONFLUENCES LINGUISTIQUES DES MARGES
L’erreur textuelle
relève d’un fait de langage. Il s’agit probablement là, de la part de Nelli, d’un
sentiment d’anticipation et aussi de reconnaissance qui lui fait voir dans le texte
de Jordi l’idéologie telle qu’il est en train de la lire chez les troubadours et
qui va clairement influencer Benjamin Péret. Mais l’origine de cette erreur a aussi
à voir avec des questions véritablement liées à la langue et la lecture des textes.
D’un côté, il est clair qu’à cause de la double valeur de la tradition de Jordi,
provençale mais aussi catalane, il faut également lire sa langue dans une tradition
linguistique double, ce qui crée des doubles possibilités et des interstices par
où de nouveaux sens peuvent s’échapper. Ces interstices pourraient bien sûr attirer
l’attention de Péret. Mais, s’il en est ainsi, cette reconnaissance apparaît totalement
novatrice.
En fait,
dans le “Noyau de la comète” Benjamin Péret apparaît assez critique avec les troubadours.
Il essaye, certes, une lecture longue et approfondie de l’amour courtois, en en
louant surtout la capacité à élever la position de la femme ainsi que l’opposition
à l’Église, c’est à dire, les points qui convergent avec le surréalisme en général,
et l’amour sublime en particulier. Mais il pense que l’amour courtois ne pouvait
pas être pleinement identifié à l’amour sublime, parce qu’en instaurant un conflit
trop grand entre le code et la réalité, il laissait un vide d’insatisfaction:
L’amour courtois présente bien tous les signes extérieurs
de l’amour, mais on ne trouve que le vide derrière son décor. (…) L’amour courtois
appelant invinciblement l’amour sublime, tout en lui prohibant le droit à l’existence,
le cœur humain erre, désemparé. Il se cherche en vain.[32]
L’amour
surréaliste, tout comme l’”amour absolu” que Péret a pourtant refusé, tend vers
la plénitude. Il attend que le “sens réel de ce lien” se révèle dans la femme concrète
de la rencontre. En revanche, il semble que l’assujettissement au code de l’amour
courtois, chez les troubadours qui donnèrent naissance à cet amour, fait que l’amour
s’éloigne de lui-même. Mais, qu’en est-il chez Jordi? Se pourrait-il qu’on ne trouve
pas cet assujettissement dans les “Estramps”?
Selon les
philologues du temps de Péret, tout se passe comme si la codification extrêmement
élevée s’accentuait encore chez les troubadours des marges qui ont, bien sûr, une
distance plus grande par rapport aux chants fondateurs et qui se trouvent dans un
monde différent des châteaux du XIIe siècle, même s’ils essayent de le perpétuer,
comme c’est le cas de la cour d’Alphonse V d’Aragon, où se trouve Jordi. Il s’ensuit
que les références au code de l’amour des troubadours classiques sont incontournables.
Pour se réaffirmer comme troubadour, Jordi doit se réclamer de leur langue, leurs
motifs, leurs topiques. Mais cette situation de Jordi comme dernier troubadour n’était
pas vue, à l’époque où Péret réunit son anthologie, comme un chantier de possibilités
mais comme un manque d’originalité. La vision qu’ont les philologues de Jordi est
celle d’un poète courtisan, peu original, mais “de bon goût”. C’est ainsi qu’en
parle Martí de Riquer en 1955:
Jordi de Sant Jordi, elegante, correcto y con aciertos inolvidables,
es el prototipo del poeta cortesano y aristocrático, en el que se juntan la arbitrariedad
y el depurado gusto, los tópicos de una tradición que se remonta al siglo XII y
los afortunados momentos personales, la ternura y el ingenio.[33]
Même si
Riquer est un grand connaisseur et admirateur des troubadours et de Jordi, dans
ce texte s’insinue l’idée que le fait d’être un continuateur des troubadours comporte
de l’ “arbitraire” et des “topiques”. Péret, en revanche, lit Jordi hors du temps,
frappé non seulement par la tradition de ses images mais par la capacité qu’elles
ont dans ce poème d’évoquer l’amour sublime.
Il semble
que Péret a pu s’apercevoir que chez Jordi les topiques revêtent parfois simplement
le caractère d’un “maintien”. Si nous reprenons le concept de Deleuze et Guattari,
la langue “déterritorialisée” permet à Jordi, comme aux autres troubadours catalans
des XIVe et XVe siècles, de jouer différemment avec la tradition. La langue s’éloigne
de son centre, non seulement par l’apparition de catalanismes, mais plus précisément
par sa volonté d’imiter le centre. Ainsi s’ouvre la possibilité de mettre en évidence
l’existence même des topiques, de les combiner entre eux différemment et d’en changer
la signification.[34]
Cet artifice est susceptible de mener à un vide encore plus grand: ne plus être
qu’une simple manière. Mais, en même temps, ce haut degré de codification porté
à la limite, peut entraîner, volontairement ou non, une nouvelle décodification,
ce qui pourrait présenter un fort intérêt pour un poète comme Benjamin Péret qui
cherche continuellement la décodification de son code, de la langue, et par elle
de la pensée.
Cet enjeu
est précisément poussé à l’extrême dans les “Estramps”. En suivant Girolamo et Fratta,
on peut constater deux choses: d’abord, les “Estramps” sont une forme poétique consistant
à substituer à la rime du poème des rimes tirées d’autres poèmes, c’est-à-dire que
les vers de Jordi ne riment pas avec les autres vers de ce même poème, mais avec
des poèmes d’autres troubadours, ce qui suppose un jeu avec le monde des troubadours
depuis la distance. D’autre part, la référence à Dante présente dans tout le poème
l’emplit de motifs nouveaux qui changent totalement l’imaginaire courtois. Comme
le montre A. Fratta, la femme lumineuse de Dante est une femme spirituelle que Jordi
transforme en une femme lumineuse corporelle.[35]
Même si
Péret était étranger à ces discussions philologiques, il s’est aperçu de la force
qui émane de ce poème doté – tout à la fois du fait des différentes origines des
topiques et de la maîtrise linguistique du troubadour situé à distance de son monde
– d’un pouvoir étrange pour stimuler l’imagination (comme l’amour sublime surréaliste), en transférant au corps les réactions subjectives,
en mettant en rapport les contraires. Comme le demande Péret, les mots de ce poème
réussissent à répandre en toutes directions la force de l’amour.
Et c’est
ainsi que la force de l’effet fantastique sur le corps, de même que la métaphore
de la dame brillante comme des pierres précieuses — des images déjà existantes —,
deviennent une poésie nouvelle par la force du langage.
ÉPILOGUE
Il est curieux, émouvant
même, de suivre les diverses lectures de Jordi depuis la distance temporelle et
spatiale. D’abord “poète courtisan” pour les philologues, “conti nuateur des troubadours”
et représentant des rêves politiques de Nelli, Jordi de Sant Jordi devient aussi,
à travers les yeux et la voix de Péret, un poète de l’amour sublime. Malgré le manque
de pudeur relative au sujet de la conscience historique et des possibles pièges
des marges de la transmission textuelle, cette lecture, comme celles que faisait
en général le surréalisme, apparaît novatrice et en même temps légitime. On voit
comment pour Péret l’“amour sublime”, défini comme un “point” et comme un “lien”,
semble être une façon de souligner la valeur sublime de l’Autre féminin. Chez Jordi,
Péret peut reconnaître justement cette valeur de la femme, autant que l’implication
d’un “je” qui se définit par rapport à elle, soit pour l’appeler, soit pour la comparer
aux objets du monde. C’est ainsi que l’“amour sublime” lui-même en quête d’un bonheur
plus absolu que sublimé, mais plus humain qu’absolu, se perd dans les textes en
en acceptant les contradictions et les erreurs. Les poètes deviennent par ce chemin
aussi créateurs d’un langage érotique. La distance avec la propre langue devient
créatrice ainsi que la distance par rapport à la langue des autres. Malgré les inquiétudes
de Péret pour le vide que peut provoquer le code amoureux, en réalité la distance
qu’ils peuvent avoir tous trois envers leur code linguistique et la déterritorialisation
qu’il subit, leur permet aussi d’élargir le monde des références, de créer des surprises
dans ce qui est, au fond, une création de l’amour ainsi que de la femme.
On a vu
comment Jordi a eu, bien sûr, une certaine influence, aussi bien sur Nelli que sur
Péret. Mais cela ne serait pas possible sans une confluence de leur pensée. C’est
ainsi que le rapprochement de Péret et Jordi paraît plutôt guidé par le sentiment
de reconnaissance. Péret fait, grâce au généreux médiateur qu’était R. Nelli, la
trouvaille d’un poète lointain chez qui il peut lire son “amour sublime”. C’est
pourquoi on peut voir cette rencontre comme une rencontre surréaliste. Jordi était
là pour que Péret le “trouve”.
Ici il
ne s’agit que de cela, du récit d’une rencontre, avec ses conséquences sur la relation
à l’Autre, car par la rencontre il s’opère toujours une transformation. Dans ce
cas, en deux sens. D’un côté, par rapport à ses lecteurs, Jordi prend une nouvelle
signification, délivré de son passé et projeté comme poète de l’amour. D’autre part,
en faisant la rencontre de Jordi (ainsi que des autres poètes qui trouvent leur
place dans l’Anthologie à côté de lui) et en incluant une image aussi puissante
que l’empreinte d’amour gravée sur le corps, la théorie de Péret repousse ses limites
en même temps qu’elle atteint une nouvelle portée révolutionnaire grâce à sa capacité
de faire ses choix dans les marges.
*****
EDIÇÃO COMEMORATIVA | CENTENÁRIO
DO SURREALISMO 1919-2019
Artista convidado: José Ángel
Leyva (México, 1958)
Agulha Revista de Cultura
20 ANOS O MUNDO CONOSCO
Número 137 | Julho de 2019
editor geral | FLORIANO MARTINS | floriano.agulha@gmail.com
editor assistente | MÁRCIO SIMÕES | mxsimoes@hotmail.com
logo & design | FLORIANO MARTINS
revisão de textos & difusão | FLORIANO
MARTINS | MÁRCIO SIMÕES
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NOTAS
Cet article a été publié originalement dans la revue Pandora,
numéro 9, 2009, pp. 349-362. Texte original disponible sur: https://dialnet.unirioja.es/servlet/articulo?codigo=3646506.
[1] Jordi de sant Jordi, “Estramps”, traduit par René Nelli, cité par B.
Péret, Anthologie de l’Amour sublime,
Paris, Albin Michel, 1988, p.102. Toutes les citations proviennent de cette édition.
[2] Martí de Riquer et Lola Badia, Les
poesies de Jordi de Sant Jordi: cavaller valencià del s. XV, Valence, Edicions
Tres i quatre, 1984, p. 55-64.
[3] B. Péret, Anthologie de l’Amour
sublime, op.cit., p. 102.
[4] Pour Deleuze et Guattari la “déterritorialisation” est le premier caractère
de la “littérature mineure”: “Les trois caractères de la littérature mineure sont
la déterritorialisation de la langue, le branchement sur l’immédiat-politique, l’agencement
collectif d’énonciation. Autant dire que “mineur” ne qualifie plus certaines littératures,
mais les conditions révolutionnaires de toute littérature au sein de celle qu’on
appelle grande (ou établie). Même celui qui a le grand malheur de naître dans le
pays d’une grande littérature doit écrire dans sa langue, comme un juif tchèque
écrit en allemand, ou comme un Ouzbek écrit en russe.” Gilles Deleuze et Félix Guattari,
Kafka. Pour une littérature mineure, Paris,
Les éditions de minuit, 1975, p. 33.
[5] Dans Jordi de Sant Jordi, Poesies,
edició crítica d’Aniello Fratta, Barcelone, Editorial Barcino, 2005, p. 117.
[6] Jordi de Sant Jordi dans B. Péret, Anthologie de l’Amour sublime, op.cit., p. 103.
[7] Ibid., p. 103.
[8] Signalons que, curieusement, Stendhal, en parlant des troubadours, cite
lui aussi un troubadour catalan, Guillem de Cabestany, seigneur roussillonnais même
si on ne peut pas, pour des raisons temporelles et formelles notamment, parler de
marges dans ce cas-là.
[9] B. Péret, Anthologie de l’Amour
sublime, op.cit., p. 9.
[10] Ibid., p. 9.
[11] Le cœur renvoie au symbole et au lieu de l’amour, idée qui se trouve
déjà dans les troubadours. Cf. Bernard de Ventadour cité dans Les Troubadours: anthologie bilingue/ introd.,
choix et version française de Jacques Roubaud, Paris, Seghers, 1971, p.12: “e port
el cor on que m’estei · sa beutat e sa fachura”. La séparation entre l’esprit et
la chair renvoie à la pensée chrétienne d’origine platonicienne.
[12] B. Péret, Anthologie de l’Amour
sublime, p. 20-21: “Par suite, l’amour sublime s’oppose à la religion, singulièrement
au christianisme. C’est pourquoi le chrétien ne peut que réprouver l’amour sublime
appelé à diviniser l’être humain.”
[13] B. Péret, Anthologie de l’Amour
sublime, op. cit., p. 22.
[14] André Breton, Anthologie de l’humour
noir, dans Œuvres Complètes, vol.
II, édition établie par Marguerite Bonnet avec, pour ce volume, la collaboration
de Philippe Bernier, Étienne-Alain Hubert et José Pierre, Paris, Gallimard, 1992,
Bibliothèque de la Pléiade, p. 1133.
[15] Cette image renvoie aussi au diamant que Breton compare au pic du Teide
dans L’Amour fou.
[16] Cité par B. Péret, Anthologie de
l’Amour sublime, op. cit., p. 103.
[17] Voir A. Fratta, Poesies, op.
cit., p. 114-122.
[18] Cité par B. Péret, Anthologie de
l’Amour sublime, op. cit., p. 102.
[19] B. B. Péret, Anthologie de l’Amour
sublime, op. cit., p. 23.
[20] Ibid., p. 103.
[21] René Nelli, Cinq poèmes d’amour
de Jordi de Sant Jordi, traduits pour la première fois du catalan au français,
avec une introduction et des notes, Toulouse, Société des Bibliophiles Occitans,
1945, p.10.
[22] René Nelli, Cinq poèmes, op.
cit., p.11.
[23] L’expression “esprit du Sud” chez René Nelli montre que, même s’il est
dans ses marges, sa vision territoriale se forme à partir de la France. Cette expression
appliquée à Barcelone (et aussi à son propre espace dans le Midi) a, depuis la France,
un sens qu’on ne pourrait pas reconnaître si facilement si on se situait à Barcelone
même.
[24] René Nelli, Cinq poèmes, op.
cit., p.30. C’est l’auteur qui souligne.
[25] Ibid., p.31.
[26] En plus du poème de Jordi et de l’interprétation ici exposée, il y a
d’autres faits qui soulignent cette relation entre Nelli et Péret. Dans “Le noyau
de la comète” Péret cite le livre de Nelli L’Amour
et les mythes du cœur et une traduction inédite du poème “J’ai le cœur si plein
de joie” de Bernard de Ventadour. Leur relation est confirmée, en outre, par une
lettre inédite de Nelli à Péret au sujet des troubadours et de son anthologie, avec
des références explicites à la traduction de Jordi. Nelli y annonce à Péret l’envoi
de plusieurs traductions, dont il pourra faire l’usage qu’il désirera, tout comme
il pourra le faire avec les poèmes de Jordi de Sant Jordi. Cette lettre est conservée
à la Bibliothèque Littéraire Jacques Doucet, que nous remercions pour l’accès qu’elle
nous a autorisé. Nous remercions aussi M. Gérard Roche, qui nous a indiqué l’existence
de cette lettre.
[27] Cf. version en espagnol du texte par Félix Ros: “el entero y viril amor
que os tengo” citée dans Martín de Riquer, Jordi
de Sant Jordi, Grenade, Universidad de Granada, 1955, p.152. Le manque de littéralité
de la part de Nelli en quelques occasions arrive même à changer les valeurs transmises
par le poème, comme par exemple dans le vers 41 où il traduit le mot juridique “frau”
(“engany”, c’est-à-dire, “mensonge”, dans la traduction de Badia; “fraude”, avec
le même sens qu’a ce mot en français, dans la traduction espagnole de Riquer) par “péché”.
[28] Jaume Massó i Torrents, Obres poètiques
de Jordi de Sant Jordi, Barcelone-Madrid, L’Avenç, 1902.
[29] Pour un aperçu des discussions qu’a suscitées ce vers, voir A. Fratta,
Poesies, op. cit., p. 128.
[30] M. de Riquer, Jordi de Sant Jordi,
op. cit., p. 148. Il en donne aussi la traduction en espagnol: “En todas partes
me astilla el amor que siento por vos”, p. 150. Cette interprétation est reprise
dans riquer-Badia, Les poesies de Jordi, op.cit., p. 174-175, avec la traduction
en catalan: “L’amor que us professo m’estella per tots cantons”. L'édition de Fratta,
citée ici en annexe, est légèrement différente: “L'amor que us hay en totes les
part[s] m'ascle”, voir A. Fratta, Poésies,
op.cit., p. 124 et 128.
[31] La traduction de J. Roubaud suit déjà Riquer, même si elle ne transmet
pas cette idée de douleur: “L’amour que j’ai de partout m’envahit”, dans Jacques
Roubaud, La Fleur inverse: essai sur l’art
formel des troubadours, Paris, Ramsay,
1986, p. 338.
[32] B. B. Péret, Anthologie de l’Amour
sublime, op. cit., p. 45.
[33] M. de Riquer, Jordi de Sant Jordi,
op.cit., p. 5.
[34] Pour ces questions, voir M. de Riquer et L. Badia, Les poesies de Jordi…, op.cit., et A. Fratta,
Poesies…, op. cit., passim.
[35] A. Fratta, Poesies…, op. cit.,
p.119.
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