terça-feira, 3 de setembro de 2019

S. DRUET | Les ciseaux sanglants: Interview avec Conroy Maddox


Membre du groupe surréaliste britannique depuis 1936, Conroy Maddox s’est d’emblée manifesté par son refus de la compromission. Lors de l’exposition surréaliste internationale de 1936 à Londres, il trouble la quiétude des manifestations en dénonçant l’opportunisme et le dévoiement qui règnent dans les rangs des exposants, plus intéressés par l’imagerie surréaliste que par l’esprit contestataire. Dès lors, il n’a jamais cessé de pratiquer un surréalisme intégral, viscéral, à rebours de tous les automatismes lucratifs. A quatre-vingt-neuf ans, l’inventeur de l’écrémage, auteur d’une biographie critique de Dali, est le dernier représentant du surréalisme de la première période en Grande-Bretagne, ce qui lui vaut d’être courtisé par bon nombre de galeries (la dernière en date n’est autre que Les Yeux fertiles à Paris), et de se voir choyé par les chercheurs es surréalisme (sa biographie écrite par Silvano Levy va paraître en Grande-Bretagne, et la revue Pleine marge s’est intéressée dernièrement à ses rapports avec Charcot). Ce n’est pourtant pas un ponte statufié dans la rigidité de ses principes que Litur a rencontré en Novembre dernier, mais un colleur impénitent, traquant derrière sa mise en cause de la paternité auctoriale, l’image terrifiante du Père et de ses serviteurs zélés. (A.H)


SD | Conroy Maddox, vous avez fait profession de surréalisme intégral depuis soixante-six ans. Comment avez-vous découvert le mouvement?

CM | Un jour, à Birmingham, vers 1933, j’ai lu un ouvrage de R. H Wilanski qui parlait de la peinture française avec un court passage sur le surréalisme. Ca m’a donné une idée de ce que je pouvais trouver dans ce mouvement, mais je ne savais rien de ce qui se passait à Paris.
En même temps, j’ai lu les lettres de la reine Victoria . Ce qui m’a frappé dans cet ouvrage, c’était une lettre qu’elle avait écrite à une amie, lettre où elle disait que, ne sachant quoi offrir au Kaiser Willy pour son anniversaire, elle avait décidé de lui faire don de la montagne Kilimandjaro.
A ce moment, l’étrange cadeau de la reine Victoria à l’empereur d’Allemagne, combiné aux quelques lignes que j’avais lues sur le surréalisme dans le livre de Wilanski m’inspira mon premier tableau surréaliste. Il s’agissait d’une pièce de taille moyenne, qui a d’ailleurs disparu aujourd’hui, sans que j’aie jamais pu en prendre la moindre photographie, représentant l’empereur d’Allemagne monté sur un cheval, trônant devant la montagne du Kilimandjaro en arrière-plan. Il me semble que la reine y figurait également, mais je ne sais trop où.
Dès ce jour, je n’ai cessé de m’intéresser aux activités du mouvement: en 1935, je suis monté à Londres où j’ai acquis un certain nombre d’ouvrages en relation avec lui. Ainsi, chez Zwemmer, j’ai acheté Une semaine bonté de Max Ernst, mais aussi la revue parisienne de l’époque, et plus globalement tout ce que j’ai pu trouver sur la question. Parallèlement, j’ai entrepris de me plonger dans l’étude de l’automatisme, et j’ai réalisé quelques tableaux d’après cette méthode.
Je n’ai pas attendu, comme tant d’autres opportunistes, que s’ouvre l’exposition internationale du surréalisme pour être actif. C’est d’ailleurs parce que je me sentais réellement surréaliste que je n’ai pas voulu participer à cette exposition où s’étaient regroupés tant de pique-assiettes qui ne cherchaient qu’à se faire de la publicité et à vendre leurs œuvres, et qui, dès que l’exposition s’est terminée, sont retournés à leurs productions abstraites sans s’impliquer le moins du monde dans la vie du groupe. Le surréalisme n’est pas une étiquette qu’on affiche par intérêt ; c’est une façon de vivre.

SD | En plus de soixante ans de surréalisme absolu, vous avez eu l’occasion de fréquenter quelques-uns des artistes les plus remarquables de ce temps, non seulement parmi les membres du groupe anglais (Mesens, Penrose, Eileen Agar) mais aussi parmi les représentants du surréalisme parisien (Miro, Tanguy, Max Ernst, Jaguer et bien-sûr Dali, à qui vous avez consacré une biographie). Laquelle de ces rencontres diverses a été décisive pour vous?

CM | Les conversations que j ai eu avec Mesens ont été parmi les plus intéressantes de ma vie, même si je ne suis pas certain qu’elles ont eu un effet décisif sur mon travail. Mesens a été un ami proche, auquel j’ai souvent prêté mon appartement et avec lequel j’ai effectué quelques collages. Il connaissait tout du mouvement belge pour y avoir appartenu et avait une vision très fine de l’œuvre de Magritte. J’ai beaucoup appris grâce à lui, en particulier parce qu’il avait lu la poésie et les essais des auteurs français et que, de ce fait, il avait l’intuition de ce qu’était réellement le surréalisme. C’est une chose qui a manqué au groupe anglais, la connaissance de la philosophie véhiculée par le surréalisme. Les membres du groupe confondaient trop souvent imagerie et philosophie surréalistes, au détriment de cette dernière.
Et puis bien-sûr, la rencontre avec Max Ernst, à Paris, après la guerre, a été primordiale pour moi. D’abord parce que j’admirais énormément Ernst qui était un de mes peintres préférés. Et puis parce que c’était un artiste très volubile, qui n’était en rien avare d’informations sur les procédés techniques qu’il utilisait. Je me souviens que nous avons parlé du procédé de la décalcomanie qu’il venait de renouveler en l’appliquant à des épreuves colorées, et non plus à des travaux en noir et blanc comme ça avait été le cas jusqu’alors. Comme j’étais moi-même en pleine phase d’exploration de cette technique, il m’avait conseillé de me servir d’une plaque de verre et de la presser légèrement sur la palette de couleur avant de transférer l’image ainsi obtenue sur une feuille de papier, au lieu d’appliquer directement la feuille de papier sur la palette. Il avait découvert que, le verre étant une surface plus lisse que le papier, les couleurs accrochent moins et se répartissent plus librement sur le support final que lorsqu’on utilise directement le papier. J’ai immédiatement appliqué cette méthode à mes propres investigations.
En ce qui concerne Dalí, ça n’a pas été le même type de relation. Je l’ai rencontré plusieurs fois, dont une première lors de l’exposition internationale du surréalisme de 1936, ou Mesens me l’avait brièvement présenté. Il était débordant d’imagination, il voulait transformer Londres en une sorte d’image surréaliste permanente. Mais je n’ai jamais eu l’occasion d’avoir une véritable discussion avec lui. Par la suite, des années plus tard, en 1978, je me suis rendu à Port-Lligat pour collecter des informations afin d’écrire sa biographie. Nous avons eu des relations professionnelles très correctes; et, bien qu’on m’ait appris par la suite qu’il n avait pas vraiment apprécié mon livre pour la critique que j’y faisais de sa subite dévotion au christianisme, il m’a autorisé à reproduire certaines oeuvres comme un Nu ou le tableau intitulé ‘’Desnudo de Calcomania’’ qui ne l’avaient jamais été jusque-là. Cependant, on ne peut pas dire qu’il m’ait traité en ami: il avait l’habitude de demander aux gens qui venaient le voir - et qui pour la plupart possédaient des yachts – d’aller dormir sur leur bateau et il n’a pas fait exception pour moi. Mais comme je n’ai pas la chance d’avoir un yacht, je suis allé dormir a l’hôtel de Port-Lligat, avec comme seul privilège de dîner le soir en sa compagnie au restaurant de l’hôtel. Cela dit, je sais qu’il pouvait être très généreux. Il offrait quelquefois des oeuvres à ses amis proches, et il est même arrivé que son épouse Gala , dont on sait combien elle était avare de présents, ait été forcée d’aller reprendre certains tableaux qu’il avait offerts sans grand discernement.

SD | Qui a exercé la plus grande influence sur vous?

CM | Directement? Je ne saurais le dire. J’ai une grande admiration pour Picasso qui a éminemment contribué à changer la face de la peinture moderne, mais aussi pour Max Ernst. Je suis également fasciné par Grünewald, un peintre que j’ai vu exposé à Colmar, à cause de ses sujets horrifiques, de sa fantaisie, de sa capacité de représentation. Ou par Arcimboldo. Mais je ne peux pas dire qu’ils m’aient consciemment influencé dans mon travail.
Quand je travaille, je suis surtout inspiré par ce qui m’entoure, par tout ce qui appartient a la vie de tous les jours. Ce peut-être un livre que j’ai lu, par exemple L’enfant vert de Herbert Read qui m’a plu au point que j ai réalisé trois versions différentes du Green Child pour tenter de donner un visage à cet enfant qui me hantait.
Ce peut-être également un évènement des plus banals. Ainsi, j’ai peint un tableau représentant le Christ portant son crucifix dans un taxi juste après avoir entendu mon biographe Silvano Levy dire que le Christ s’était rendu à Calgary. J’ai tout simplement eu envie de faire un usage surréaliste de cette idée absurde. Voyez, un tableau doit toujours partir d’éléments concrets et reconnaissables, tirés du réel, pour les transformer en scénarios impossibles. C’est pour cette raison que j’apprécie les collages, lesquels usent précisément de matériaux tirés du réel comme les coupures de journaux. C’est aussi pour cela que j’ai très vite abandonné l’automatisme, lequel, en plus d’être monotone, conduit très rapidement à l’abstraction.

SD | En plusieurs dizaines d’années d’aventure surréaliste, vous avez essayé toutes les techniques, et peint plusieurs tableaux entièrement automatiques. Estimez-vous que l’automatisme pur soit efficace?

CM | J’ai effectivement peint et dessiné des séries entières de tableaux automatiques, mais je dois avouer que l’automatisme pur a ses limites (comme en littérature, voyez). A force, on ne progresse plus, on retrouve toujours les mêmes formes, les mêmes figures. Les tableaux que j’ai peints de cette façon sont vraiment à part dans ma production. Ils n’ont pas vraiment influencé le reste.

SD | Pouvez-vous préciser quelle part vous accorderiez au conscient dans le travail artistique?

CM | Si tout commence certainement par une idée inconsciente, il importe d’utiliser consciemment cette idée pour montrer une réalité réelle mais contradictoire.

SD | Vous êtes l’inventeur de la technique de l’écrémage. Pouvez-vous m’en dire plus sur ce moyen de forcer l’inspiration?

CM | Sur une surface donnée, où on a préalablement mélangé de l’eau à une substance qui ne s’y dilue pas, de l’huile en d’autres termes, on projette quelques gouttes de gouaches de différentes couleurs. On passe ensuite une feuille de papier sur le mélange, qu’on peut avoir tourné afin de modifier les formes prises par les éclaboussures, et on regarde le résultat. A l’inverse, il est possible d’obtenir une base similaire en parsemant de peinture à l’huile un plat dans lequel on a préalablement versé de l’eau pure.
Ce procédé n’est pas sans en rappeler d’autres, comme les sables de Masson ou la décalcomanie, mais, contrairement aux autres qui ont pu être pris comme moteur de création en soi, il se combine toujours à d’autres étapes créatrices. Il s’utilise comme une base à développer: à partir d’une forme purement involontaire obtenue par l’écrémage, ont peut créer une image, un monstre par exemple, ou un oiseau. C’est très intéressant, comme possibilité.
Voyez, l’inconscient et le conscient, l’involontaire et le volontaire sont étroitement mêlés ici. Mais c’est comme cela pour la plupart des peintures surréalistes.

SD | Vous semblez plus proche de la conception dalinienne du surréalisme que de la défense de l’automatisme…

CM | Dans un sens, vous avez raison. Je ne crois pas à l’automatisme pur. Pour moi, cette méthode n’est pas entièrement satisfaisante parce qu’elle éloigne celui qui s’y livre de la réalité. Or, je ne veux pas être arraché à la réalité. Les propositions de Breton, celles du début tout au moins, avaient le tort d’exclure la réalité en se fondant exclusivement sur l’étude de l’inconscient. Le surréalisme ne doit pas être l’occasion de s’évader mais d’accéder à une autre lucidité.
Il faut se garder d’acquiescer à toutes les idées de Breton sur le sujet. N’oublions pas (chose que je n’ai jamais comprise d’ailleurs, d’autant que même dada dédaignait d’établir une frontière entre les techniques poétique et artistique) que, sans pour autant la condamner formellement, il s’est longtemps demandé si la peinture pouvait être un moyen réellement efficace d’atteindre à la surréalité. En fait, je doute qu’il ait jamais vraiment compris la peinture en profondeur. C’était un poète. Voyez Le surréalisme et la peinture: il évoque beaucoup de choses, c’est plein d’idées, il écrit de très belles choses sur les tableaux, mais il ne parle pas de la peinture.
J’ai donné il y a quelques semaines une conférence sur Eileen Agar [une autre artiste, membre du groupe surréaliste britannique]. Croyez-vous que j’aie analysé les lignes de ses tableaux, la manière dont elle disposait ses formes dans le cadre, la structure de sa peinture ou son message sous-jacent? Non. Tout cela, chacun peut le voir, il suffit de regarder ses œuvres. La peinture existe en tant que phénomène. Ce que j’ai dit, et qui me paraissait important, c’était qu’Eileen Agar, entre autres choses, aimait collectionner toutes sortes de choses, des bouteilles, etc, et que c’est à partir de ces matériaux qu’elle travaillait. Je préfère parler de ces choses qui appellent le tableau, ces éléments épars qui lui permettent d’exister plutôt que d’en donner une interprétation.

SD | Vous parlez de la peinture comme phénomène, et refusez d’en parler comme d’un objet. Pour vous, la peinture aura donc toujours à voir avec la vie…

CM | Oui, je suis assez d’accord avec vous. Il serait impensable pour moi, en tout cas, de travailler sur des blocs de différentes couleurs comme un Mondrian. C’est trop abstrait, cela ne me parle pas. Evidemment, c’est amusant et décoratif, et il faut reconnaître que ce n’est pas désagréable à regarder, parce que toute cette structuration et cette recherche sur les couleurs tendent vers une certaine harmonie, mais, pour moi, cela revient à décorer une boîte ou un meuble d’appartement.
En faisant l’impasse sur la dimension humaine, on arrive à ce genre d’apories, desquelles il est impossible de s’échapper. Vous comprenez, cette peinture n’est rattachée au réel par aucun lien, d’aucune sorte: elle ne dérange donc ni ne stimule aucun esprit humain.
Au fond, l’abstrait est un mode de représentation très puritain, car il n’admet pas les conflits. Il passe sur la vie sans la toucher, regarde droit devant lui en dédaignant les obstacles, les cataclysmes, les raz-de-marée. Le surréalisme, lui, touche à tout cela, il met les pieds dans le plat. C’est cela que j’aime en lui.
Regardez Chirico, lui n’a jamais accepté de rompre avec la réalité. Il peignait des rues, des squares, tout à fait quotidiens. Et puis, dans toute cette quotidienneté, quelque chose se passait, l’étrangeté s’immisçait, mais sans heurt, presque normalement. Moi-même, j’ai l’ambition de ne jamais m’écarter de la réalité. C’est ma propre réalité, bien sûr, une combinaison des choses influencée par mon désir, mais quand je peins un ciel, c’est un ciel, une boîte, c’est une boîte.

SD | Le tableau serait la réalisation concrète du désir…

CM | Oui, tout à fait…

SD | Et c’est peut-être ce qui vous intéresse autant dans les objets. Qu’est-ce qui vous attire dans la création d’objets surréalistes?

CM | Je ne sais pas. Silvano [Levy] dit que c’est parce que mon père était un collectionneur d’objets. Mais, vous savez, je ne veux pas m’analyser moi-même. Je ne sais tout simplement pas quoi en dire.

SD | Vous ne voulez pas vous analyser…

CM | Non. Je pense sincèrement que c’est la dernière chose qu’un peintre doive faire: s’analyser. Je ne veux pas devenir conscient de mes propres procédés, de mes propres obsessions, car cela m’amènerait à construire sans cesse des démonstrations de mes fantasmes plus qu’à peindre des tableaux. C’est comme Chirico, on a beaucoup glosé sur les symboles sexuels dans ses œuvres… Mais, s’il avait été conscient lui-même de ces implications, il se serait peut-être dit: pourquoi peindre un cendrier si en fait je veux peindre une femme? Evidemment, dans ce cas, cela aurait beaucoup appauvri ses images.
L’exemple le plus frappant du problème posé par l’auto-analyse reste le travail de Reuben Mednikoff et de Grace Pailthorpe: lui analysait ses tableaux et elle analysait les siens. Résultat, à mon avis, un travail avorté tant du point de vue de la réflexion que du point de vue pictural. Leurs dessins se résumaient exclusivement à des signes sexuels, finalement très univoques. C’était assez manichéen, parce que trop transparent. On ne peut jamais réduire un tableau à une suite de perversions organisées sur la toile, comme il l’ont fait, et comme beaucoup de critiques le font à propos des tableaux surréalistes, en passant tout au travers du prisme freudien. C’est un peu facile et finalement pas très porteur. Beaucoup moins en tous cas que les images ambiguës d’une œuvre qu’on peint sans préjuger du sens qu’on va lui donner.

SD | Un des mouvements qui me semble animer vos oeuvre le plus clairement, que ce soit dans le J.C Kit, petit cadre dans lequel vous avez regroupé tous les éléments utiles à une crucifixion en bonne et due forme, dans les photos de nonnes débauchées que vous avez prises dans les années quarante , ou encore le bien nommé tableau Hôtel de Sade, c’est votre anti-cléricalisme, votre rejet du christianisme et de ses implications pudibondes…

CM | C’est vrai. Et j’ai également écrit aussi souvent que je le pouvais pour dénoncer les méfaits de la religion. S’il y avait eu plus de lions à Rome, on n’aurait pas eu droit à toutes les tortures mentales que la chrétienté nous inflige depuis si longtemps… Mais dans notre situation, il faut bien y suppléer, par la peinture et les collages, par exemple.
Vous avez vu ces crucifix qu’ils portent en guise de collier? Ridicule. Si le Christ était descendu sur terre aujourd’hui, ils ne l’auraient certainement pas crucifié…ils l’auraient mené à la chaise électrique, et après, ils auraient très certainement porté en son hommage une chaise électrique miniature autour du cou. Ils célèbrent sa mort, voyez. Ils font de l’humour noir sans même le savoir.
Vous savez, je ne vois aucune justification à la religion. Nous vivons dans des sociétés où les gouvernements nous laissent par chance une certaine liberté d’expression: nous ne vivons pas sous l’emprise d’une dictature. Et les seules personnes qui continuent à nous aliéner, ce sont les religieux. Je ne suis pas sûr qu’en Amérique, par exemple, je pourrais exposer mes collages anticléricaux sans me faire tout simplement lyncher, car, là-bas, les serviteurs de dieu ont plus que jamais pris le pouvoir. Ils contrôlent l’esprit des gens et profitent de leurs faiblesses pour les aliéner encore plus sûrement que ne le ferait une dictature. Une fois qu’ils ont pénétré leurs esprits, leurs paroles agissent comme un poison: ceux qui sont atteints sont très difficiles à guérir, parce que chaque évènement de leur vie quel qu’il soit nourrit leur névrose. Prenez le président des Etats-Unis, Georges Bush, il est en train de transformer la guerre contre les fanatiques musulmans en croisade chrétienne. Il attribue chaque nouvelle victoire à Dieu. Difficile d’en sortir dans ces conditions.
Et puis, c’est une question de vanité aussi. Un jour j’ai rencontre un évangéliste dans le métro qui prétendait avoir reçu directement de Dieu de l’argent au moment où il en avait besoin. J’ai eu beau tenter de lui prouver que ce n’était pas possible, il ne m’a pas écouté une seconde, et pour cause; dans son esprit, Dieu était descendu tout exprès pour le voir. C est tout de même séduisant comme idée, non? Voila sur quelle base les idées les plus absurdes se forment.
Le problème, c’est que ces idées ont concrètement coûté la vie à des centaines de milliers de personnes et que ça continue aujourd’hui encore. Voyez l’Inquisition, et maintenant ce qui s’est passé à New York, et la guerre en Afghanistan.

SD | D’un côté le puritanisme et la piété les plus zélés reviennent sous couvert des guerres de religion, d’un autre, la mode du ‘’porno-chic’’, et de la pornographie tout court, modifie singulièrement la conception qu’on peut avoir de l’amour. Ne pensez-vous pas que, dans ce contexte, les surréalistes, qui ont toujours affirmé leur désir de voir l’amour fou triompher dans toute sa liberté sur la trivialité quotidienne, aient une part importante à jouer?

CM | On ne peut que déplorer que la pornographie ait envahi toutes les ondes, de la télévision à internet. Mais attention, je ne me prononcerai jamais pour la censure.
Dans ce contexte, il est plus urgent que jamais de parler de Sade, de le réhabiliter, lui qui a été tellement dénigré par ses contemporains, et qui reste si mal compris aujourd’hui. Avec Sade, on n’est pas du tout dans la pornographie, on est impliqué différemment dans l’expression des choses de l’amour.
Une femme a très bien expliqué cela, une critique américaine, qui a consacré un volume excellent à La femme sadienne. Mais on ne doit pas s’arrêter là.

SD | C’est amusant que vous évoquiez le point de vue d’un écrivain féminin, car il me semble justement que la vision féminine de l’érotisme est encore trop méconnue. Aujourd’hui, d’ailleurs, un certain féminisme entre dans le mouvement. Il ne s’agit pas seulement de lectures féministes du surréalisme, dont vous avez dû entendre parler, mais d’une volonté des femmes impliquées dans les groupes actuels de se mettre en avant en tant que ‘’femmes surréalistes’’. Pensez-vous qu’il soit bon de parler de ‘’femmes surréalistes’’, ou que cela introduise une nouvelle ségrégation entre les surréalistes des deux sexes?

CM | Il me semble que chez Breton, il y a toujours eu une certaine propension à considérer les femmes comme des ‘’citoyens de seconde zone’’. Je n’ai jamais approuvé cette tendance, car il me paraît évident que les femmes ont les mêmes droits que les hommes.
Les femmes étaient effectivement soumises au tout début à une certaine ségrégation. Vous savez, au commencement, le groupe n’était constitué que d’hommes, de poètes (même pas de peintres d’ailleurs, il y avait aussi une certaine forme de ségrégation envers les peintres, et il a fallu attendre Dali pour que la situation à leur endroit se clarifie réellement, mais passons). Et puis, avec les années, les femmes ont commencé à prendre de l’importance dans le groupe, à conquérir une certaine liberté, liberté qu’elles n’auraient jamais eu dans un autre mouvement- cela aussi, il faut le souligner. De plus en plus de femmes sont entrées dans le mouvement, il y en a eu cinq dans le groupe britannique, elles étaient pratiquement majoritaires ! Et il est inutile de dire que j’approuve totalement cette évolution.
Quant aux livres sur les femmes surréalistes, j’en ai un, celui de Whitney Chadwick. Elle critique l’attitude des surréalistes français, leurs préventions à l’égard des femmes et il faut reconnaître qu’elle a en grande partie raison. Prenons les recherches sur la sexualité: ce n’est qu’au bout de plusieurs séances qu’ils se sont demandés s’il serait bon de convier une femme ! Et ils ne l’ont pas fait ! C’est comme leur attitude envers les homosexuels, en particulier leur prévention contre Cocteau, il y a là-dedans une intolérance inacceptable …même pour l’époque. Dans d’autres pays que la France, les femmes ont été acceptées beaucoup plus facilement. Pour en revenir à l’ouvrage de Chadwick, il est également précieux en ce qu’il rassemble des œuvres de valeur, qui ne seraient malheureusement pas connues si elle n’avait pas fait ce travail.
Vous parlez d’une nouvelle ségrégation dans le fait de mettre l’accent sur la ‘’femme surréaliste’’. Mais ce n’est pas en faire une que de savoir apprécier la manière très spécifique qu’ont les femmes d’aborder un sujet, de le peindre. Les femmes ne peignent pas comme les hommes, vous savez, il n’y a pas de hiérarchie mais des différences. D’abord, seules les femmes peuvent se peindre elles-mêmes comme sujets, et exprimer leurs propres sentiments. Les hommes ne les voient jamais qu’en tant qu’objets: même les femmes de Magritte restent des objets, à manipuler. Et puis, un tableau peint par une femme a une facture particulière, même si je n’irais pas jusqu’à dire qu’on puisse en distinguer la féminité immanquablement au premier coup d’œil. Regardez ce tableau de Leonora Carrington, Intérieur avec trois femmes: il y a une certaine délicatesse, une finesse d’exécution, une langueur presque spectrale des tons, qui me semblent très typiquement féminins. Je peux me tromper, ce n’est pas une garantie absolue, mais c’est mon sentiment.

SD | Vous continuez à être en relation avec plusieurs revues surréalistes internationales telles que Mandragore, Menu ou La tortue-lièvre. Quelles sont, d’après vous, les plus importantes innovations qu’ait apporté les publications du surréalisme actuel?

CM | En ce qui concerne les revues, et la philosophie qu’elles expriment, je ne vois pas d’innovations majeures. Les premières revues, comme La révolution surréaliste, répondaient à un projet quasi-scientifique, auxquelles elles se tenaient avec la plus grande rigueur. Aujourd’hui, ce n’est plus vraiment le cas, les revues se succèdent et on y gâche pas mal d’encre et de papier.
Le problème majeur me paraît tenir à leur financement. Alors qu’il est relativement facile d’obtenir de l’université ou d’autres organisme des fonds pour publier des stupidités sur le surréalisme, il n’est plus possible de sortir un ouvrage surréaliste digne de ce nom. Au début, nous contournions le problème en unissant nos forces et nos finances, mais à présent, avec la dispersion qui règne dans les groupes, ce n’est plus aussi facile.
Tout cela ne me rend pas particulièrement optimiste. Il est tellement plus facile et lucratif d’éditer des textes critiques sur le mouvement que de s’engager dans l’aventure créatrice. Il faut bien vivre, n’est-ce pas?


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EDIÇÃO COMEMORATIVA | CENTENÁRIO DO SURREALISMO 1919-2019
Artista convidada: Rachel Baes (Bélgica, 1912-1983)


Agulha Revista de Cultura
20 ANOS O MUNDO CONOSCO
Número 143 | Outubro de 2019
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