quinta-feira, 15 de outubro de 2020

FERNANDO ARRABAL | Patricia Highsmith et moi



I
l y a un demi-siècle, joignant la folie à la témérité, je me suis laissé porter, à bord d
un petit bateau rouillé, au pied des chutes du Niagara. Unique confident de mon propre trac et trempé jusqu’aux os (comme ma compagne dinfortune Patricia Highsmith), jai rendu un culte à Saint Tourisme et à ses absurdes cérémonies pour excursionistes. Car lutopie est une chimère des plus dangereuses qui sencapsule dans un présent rayonnant à tout prix.

Prisonnier d’un morceau de ferraille branlant, jai vécu un cauchemar auquel même une écrivaine de romans policiers n'aurait pu songer. Roulé dans le vacarme des tourbillons déchaînés, tout mon raisonnement paralysé par la frousse, j’ai avancé vaille que vaille vers le danger jusquau pied même des chutes. Quand la barcasse est enfin revenue au port, auréolée de son coup d’éclat, nous les passagers, encore bouleversés par la peur, ne nous sommes même pas permis un soupir de soulagement. Une voix inopportune et hautaine, de celles du genre braillard, amplifiée par un haut-parleur, a profité du retour au quai pour déverser dans nos oreilles un sac de chiffres sans queue ni tête, qui pleuvait sur notre passivité. Les billions de litres d'eau, les trillions d'e kilowatts, les quadrillions de mètres cubes de… et je ne sais plus quoi d’autre ont défilé avec leurs chiffres grinçants, parlant l'espéranto sans accent?

En quête d’encouragements, la voix mêlait cette kyrielle de chiffres exacts à d’effroyables anecdotes, comme celle du petit garçon tombé dans les chutes … mais dont saint Cucupha (patron des insurgés, des wall-hoppers et des parachutistes? ) sauva la vie sans même faire un accroc à sa culotte. Nous n'aimons pas les gens qui viennent critiquer nos rêves.

En vérité, experts et spécialistes, uniquement pendus à leurs lanternes magiques et à leur gloriole dans leurs batailles contre le sens commun, nous donnent la nausée avec leurs hordes de statistiques, aussi stupéfiantes que généralement incroyables. Avec beaucoup d’aisance et à leur grand ébaudissement, ils traitent le citoyen ordinaire comme un analphabète; qui en outre, ne saurait même pas compter sur ses doigts. Mais n’impoerte lequel d’entre eux sait qu'il n'en sait pas assez, pour affirmer qu'il ne sait rien?

Pour s’attirer les bonnes grâces des braves gens, un spécialiste je-sais-tout mi-philanthrope mi-fournisseur a déclaré sans sourciller que 15 millions d'enfants meurent de faim chaque année dans le Sahel africain. La mort d'une seule créature affamée est plus que suffisante pour faire surgir les larmes et les oboles des bien-nés. Quel besoin de se triturer les méninges pour lancer un tel bobard? Comment 15 millions d'enfants peuvent-ils mourir tous les 12 mois … alors que moins d'un million naissent par an? Pourquoi recouvrir d'une telle variété de guenilles un si horrible fléau?

Les phénix en matière de radioactivité nous ont assuré avec la même arrogance (et selon les années) que l'homme pouvait tolérer une radioactivité de 75 rems, ou 50, ou 20, et, aujourd’hui, de moins d’un rem. Celui qui aurait cru les règles édictées par ces Sénèques serait mort depuis longtemps couvert de radioactivité, en vomissant plus de crapauds et de serpents qu'à Tchernobyl. Quand rien résout tout avec de fausses feuilles de route intouchables.

 


 


Tous les records mondiaux d'inexactitude, d’absurdité, d’aberrations, d'erreurs et de bourdes ont été battus ces derniers mois par les spécialistes de la pandémie. Et ce n’est qu’un début! Une Organisation mondiale a déclaré que selon des estimations qui pourraient, néanmoins se révéler optimistes, il y aurait dans le monde aujourd'hui entre x et y millions de personnes infectées par le virus. Grâce aux lumières de la vérité transparente, nous avons été informés (avant-propos du livre de nos malheurs) que le nombre de patients et d'infectés était multiplié par deux tous les x ou y mois. L'Organisation était si distraite qu'elle n'a pas remarqué la fureur contenue de ses estimations (avec un peu de chance, elles n'ont péché que par frivolité); ses chiffres, s'ils étaient vrais, montreraient à tous ceux qui peuvent compter que chacun des mortels -jamais mieux nommés- portera le virus tueur dans ses entrailles et dans son coeur.

Le directeur adjoint d'un institut national a assuré qu'un chercheur de Washington (un individu qui n'appartient pas à une catégorie à risque, c'est-à-dire les redoutables vieillards) avait été infecté par le virus … peut-être par les yeux. Pourtant, tout au long de notre confinement, experts et spécialistes, consacrant toute leur ingéniosité à concevoir incohérences et dogmatismes, nous avaient répété qu'il y avait un remède infaillible contre le virus: le masque. Va-t-on maintenant fabriquer des masques pour les yeux?


Le plus grand spécialiste, selon certains médias, a déclaré au printemps que la contagion par la salive n'était pas possible, mais à l'arrivée de l'été il a changé d’avis. Faisant fi de sa première assertion à la hussarde, il décrétait déjà qu’il ne fallait pas se faire vacciner, ce qui fait de lui le candidat le plus sérieux pour le prochain prix Nobel de médecine.

Au commencement du sida le Dr M. Fischl, de Miami, (qu'il soit à la droite de Pan) assurait que si les hommes parvenaient à survivre de 12 à 14 mois à la maladie, les femmes n’atteindraient en moyenne que 6,6 mois de sursis. (Admirez la virgule, la précision et l'arrogance de celui qui, par sa science et sagesse, ne sera jamais passible de la fessée.) Un autre je-sais-tout, le Dr P. Harder de Kibbe Research and Consultants réduisait l'espérance de vie de ses patientes à 40 jours, mais, pour compenser, il augmentait celle des hommes qui vivraient plus d'un trimestre.

Tous ces calculs, projections et statistiques sont faits au doigt mouillé, sans rien ajouter ni supprimer à la science qui se situe dans d'autres régions infiniment plus humbles. Tous les chercheurs en biologie moléculaire que j'ai rencontrés, parce que ce sont les gens au monde qui connaissent le mieux le mal, n'oseraient jamais participer aux embrouillaminis et aux ragots de ce carnaval grotesque de chiffres inventés par des spécialistes et des experts. On craint toujours qu'avec leurs enquêtes exclusives, ils nous glissent une tapa d'anchois en peluche.

Les chercheurs se caractérisent par la modestie, par le désir de transmettre leurs connaissances au profane et par la simplicité avec laquelle ils essaient de communiquer aux curieux spontanés leurs investigations très complexes. Le jargon, aussi abstrait qu'inutile, est réservé exclusivement aux assis comme les qualifiait Rimbaud: c'est la tunique dont ils tentent de couvrir leur ignorance. Les responsables scientifiques, par atavisme, ont-ils perdu l’habitude de demeurer dans l'essentiel?

Modestement, mes amis chercheurs entrent dans les laboratoires en prenant plus de précautions que s'ils accédaient à une centrale nucléaire; comme pour se moquer des experts qui affirment que… Dans notre univers émouvant et dérisoire, des financiers et des spécialistes interviennent parfois avec leurs bottes de sept lieues et leurs comptes d’apothicaire… et ils mettent à mal nos fragiles tanières.

Alors que je retournais sur la terre ferme en brinqueballant das la barcasse rouillée qui m'avait amené au pied du dragon du Niagara, je pensais à tout cela avec plus de douleur que de rage.

Patricia Highsmith, ruisselante de la tête aux pieds et grelottant de froid enveloppée dans l’énorme imperméable bleu que nous avaient offert les bateliers, m’a semblé plus fragile que jamais. Je contemplais sa silhouette avec un vif plaisir. En la regardant, j'ai pensé que les experts et spécialistes, mêlant des bribes de logique à leur charabia de comptes, devraient, au moins, imiter la rigueur du roman policier … Afin de ne pas trop titiller le ver de notre angoisse.

J’aimais voir Patricia H. silencieuse, les cheveux dressés sur sa tête. 

 

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Agulha Revista de Cultura

UMA AGULHA NO MUNDO INTEIRO

Número 159 | outubro de 2020

Artista convidada: Mariana Palova (México, 1990)

editor geral | FLORIANO MARTINS | floriano.agulha@gmail.com

editor assistente | MÁRCIO SIMÕES | mxsimoes@hotmail.com

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revisão de textos & difusão | FLORIANO MARTINS | MÁRCIO SIMÕES

ARC Edições © 2020

 


 

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